La poésie française au XIXe siècle

Avis aux amateurs de littérature et aux amoureux des mots ! Aujourd’hui, nous allons entreprendre un voyage littéraire et poétique au cœur du XIXe siècle. Une période passionnante et riche en rebondissements, qui a vu notre pays se transformer radicalement, et où les bouleversements sociétaux et politiques nourrissent l’inspiration des poètes. On assiste au XIXe siècle à un profond renouvellement des esthétiques poétiques. Cette époque ouvre une ère qui nous concerne encore aujourd’hui. Que vous soyez simple amateur de littérature, élève en quête d’une synthèse agréable ou encore enseignant préparant des cours, laissez-vous embarquer dans l’aventure des mots !

Contexte historique et social

Le XIXe siècle en France est une période de profonds bouleversements, tant du point de vue politique que social.

Sur le plan politique, la France voit se succéder de nombreux régimes, après que la Révolution française (1789) a rompu avec un Ancien Régime millénaire : l’Empire napoléonien (1802-1815), la Restauration monarchique (1815-1830), la Monarchie de Juillet (1830-1848), la Deuxième République (1848-1852), le Second Empire (1852-1870) et la Troisième République (à partir de 1870). Ces changements de régime s’accompagnent de moments de grande tension et d’incertitude, qui nourrissent un sentiment de désillusion et de remise en question chez les poètes. Bien des choses qui semblaient éternelles et immuables se révèlent périssables et contingentes. Il en résulte un profond sentiment d’inquiétude, analysé avec précision par le critique Hugo Friedrich.

Sur le plan social, la France connaît également de profondes transformations. L’industrialisation et l’urbanisation entraînent l’exode rural et l’émergence d’une nouvelle classe ouvrière. Les conditions de vie des plus pauvres sont souvent difficiles. Les villes deviennent de plus en plus grosses, hérissées de cheminées d’usine. Ces changements, admirablement décrits par des romanciers comme Balzac ou Zola, affectent aussi la poésie. Pour Baudelaire, la poésie moderne s’inscrit résolument dans un contexte urbain.

L’héritage de l’Ancien Régime

Les poètes du XIXe siècle sont baignés de culture classique. Aussi, avant de nous plonger dans les bouleversements du XIXe siècle, il est essentiel de nous pencher sur la poésie française de l’Ancien Régime, qui a posé les fondements sur lesquels les poètes du siècle suivant allaient s’appuyer, tout en s’en démarquant.

La poésie classique, notamment incarnée par des figures illustres comme Pierre de Ronsard, Jean de La Fontaine et Nicolas Boileau, était sans doute moins directement liée au vécu individuel que la poésie moderne, parce que davantage marquée par des références mythologiques et des formes fixes. Le respect de la rime et de la métrique était de rigueur, tout comme l’utilisation d’un vocabulaire soutenu et d’une syntaxe complexe. Le XIXe siècle, nous le verrons, fera voler ces règles en éclats. Les thèmes abordés étaient souvent nobles et moraux, inspirés de la mythologie, de l’histoire et de la philosophie antiques. La poésie amoureuse d’un Ronsard recourt au grandissement mythique pour évoquer des sentiments qui n’ont plus grand-chose de personnel. Les Fables de La Fontaine sont fermement campées dans le contexte de la Monarchie absolue. Nicolas Boileau édicte des règles qui façonneront le classicisme.

Si le XIXème siècle est marqué par une rupture majeure avec la tradition poétique classique, il est important de souligner que l’influence de cette dernière n’a pas disparu du jour au lendemain. De nombreux lecteurs et poètes de cette époque avaient encore fermement à l’esprit la vision classique de la poésie, ce qui a parfois donné lieu à des tensions et des débats houleux. Népomucène Mercier, figure emblématique du classicisme tardif, incarne cette résistance au changement. Dans ses textes critiques, il juge les œuvres du XIXe siècle à l’aune des critères classiques. La bataille d’Hernani (1830), pièce de Victor Hugo, illustre également la persistance des tensions entre partisans du classicisme et défenseurs du romantisme. Lors de la première représentation, des affrontements éclatent dans la salle entre les deux camps, symbolisant le choc des cultures et des esthétiques.

De façon générale, les renouvellements esthétiques et poétiques ne sont jamais des tables rases du passé, et le renouvellement de la poésie moderne intègre bien des apports de la poésie antérieure.

Le Romantisme poétique en France

Pour brosser les choses de façon très succincte et caricaturale, on peut dire que l’histoire de la poésie française au XIXe siècle peut s’écrire en trois chapitres, correspondant à trois mouvements majeurs : le Romantisme, le Parnasse et le Symbolisme. Cependant, les plus grands poètes ont toujours dépassé le cadre étroit des mouvements littéraires dans lesquels on veut les inscrire. Commençons donc avec le Romantisme.

Vigny (Wikipédia)

Précisons tout de suite que le Romantisme n’est pas seulement français, mais européen, et qu’il ne concerne pas seulement la poésie, mais aussi le théâtre, le roman et même la musique ou la peinture. Il s’agit donc d’un mouvement extrêmement vaste, que je n’entends pas présenter de façon globale ici. Parmi les caractéristiques du romantisme, notons simplement l’exaltation de l’individualité et des sentiments personnels, l’importance de la nature, le goût pour le mystère, qui implique un certain intérêt pour un Moyen Âge fantasmé ou pour des cultures exotiques, et parfois un certain engagement politique et social.

Parmi les poètes romantiques français, on peut citer des poètes aussi différents entre eux que Victor Hugo, Alphonse de Lamartine, Alfred de Musset, Alfred de Vigny, Charles Nodier ou encore Gérard de Nerval. On peut également voir en Marceline Desbordes-Valmore une figure du romantisme. Dans mon article sur le romantisme poétique français, je vous avais également présenté Delphine Gay de Girardin, figure intellectuelle et poétesse brillante du XIXe siècle, ainsi que Agathe-Sophie Sasserno, que j’avais choisie parce qu’elle était Niçoise.

Victor Hugo

Le poète, dramaturge et romancier Victor Hugo

Né en 1802 et mort en 1885, Victor Hugo a traversé tout le XIXe siècle et l’a marqué durablement. Auteur de génie, il n’est pas exagéré de dire qu’il a marqué à la fois le roman, le théâtre et la poésie de son empreinte. On a souvent l’image d’un écrivain grandiloquent, solide comme un roc battu par les flots au-dessus des falaises de Guernesey. Pourtant, il sait aussi être tendre et léger dans ses poèmes, comme je l’ai montré dans un article intitulé L’autre Victlor Hugo, où je voulais présenter un Hugo moins solennel, plus accessible, moins sérieux que l’image qu’on s’en fait parfois. Je vous invite également à lire mon article sur « Magnitudo parvi » de Victor Hugo, qui montre la dimension cosmogonique du romantisme hugolien.

Pour aujourd’hui, puisqu’il s’agit d’un article d’introduction et de synthèse, je voudrais citer l’un des poèmes de Victor Hugo les plus connus, à savoir « Demain, dès l’aube ».

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Le Parnasse

Heredia (Wikipedia)

Le Parnasse est un mouvement poétique apparu en France dans la seconde moitié du XIXe siècle, en réaction contre les effusions lyriques du romantisme. Ses adeptes prônent une poésie impersonnelle, où la forme et la beauté de l’expression priment sur l’émotion subjective. Ce mouvement, dont le nom fait référence au mont Parnasse, demeure un symbole de l’art pur et du culte de la beauté formelle. Les parnassiens recherchent la perfection stylistique, valorisent l’objectivité et la retenue, et s’inspirent souvent de sujets historiques, mythologiques ou exotiques.

Parmi les figures emblématiques du Parnasse, on compte Théophile Gautier, initiateur du principe de « l’art pour l’art », ainsi que Leconte de Lisle, dont les poèmes exotiques et érudits incarnent parfaitement les idéaux parnassiens. On pourrait citer aussi José-Maria de Heredia, auteur du sublime sonnet des « Conquérants », qui pour moi est un modèle du genre, et Sully Prudhomme, premier lauréat du prix Nobel de littérature.

Citons donc le poème des « Conquérants » de José-Maria de Heredia :

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde Occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré ;

Ou, penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.

Le Symbolisme

Le Symbolisme n’est pas un mouvement structuré de manière rigide avec un chef de file unique et une ligne esthétique parfaitement homogène. Il est marqué par la diversité de ses membres et l’absence d’une organisation formelle. Les poètes symbolistes partagent une quête d’exploration des réalités intérieures, des émotions et des idées abstraites. Ils utilisent des symboles et des images évocatrices pour suggérer plutôt que pour décrire directement. Leur poésie se distingue par la musicalité et une tendance à l’évocation plutôt qu’à la narration directe. Ils ont une approche subjective de leur art, consistant moins à décrire de façon réaliste qu’à suggérer l’indicible. Charles Baudelaire est souvent considéré comme le précurseur du Symbolisme. Ses Fleurs du Mal ouvrent la voie à une nouvelle manière de concevoir la poésie, et son influence est palpable chez les poètes qui lui succèdent. On peut dire que le symbolisme, représenté entre autres par Baudelaire, Mallarmé ou Rimbaud, a été défini a posteriori par les critiques, mais n’a pas constitué un mouvement conscient de lui-même comme a pu l’être le romantisme. La formalisation du Symbolisme par les critiques littéraires a eu lieu principalement à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Des figures comme Jean Moréas, qui publie en 1886 un « Manifeste du symbolisme » dans le Figaro, ont contribué à clarifier et à promouvoir l’idée d’un mouvement symboliste, bien que ce soit surtout une reconnaissance rétrospective des tendances existantes.

Charles Baudelaire

Le poète

Charles Baudelaire est né le 9 avril 1821 à Paris, d’un père qui fut d’abord prêtre avant de travailler au Sénat, et qui était amateur d’art, et d’une mère issue de la bourgeoisie normande. Son père meurt alors qu’il n’a que six ans, et sa mère se remarie rapidement avec le commandant Jacques Aupick, un mariage qui marque profondément Baudelaire, instaurant un conflit latent avec sa mère et son beau-père.

En 1857, à l’âge de 36 ans, Baudelaire publie son recueil de poèmes, Les Fleurs du Mal, qui rassemble des œuvres écrites sur une quinzaine d’années. Ce recueil, conçu pour offrir une structure thématique et stylistique cohérente, explore la beauté, le mal, l’érotisme et la mort.

À peine publié, Les Fleurs du Mal fait l’objet d’un procès pour outrage à la morale publique et religieuse. Plusieurs poèmes sont particulièrement incriminés pour leur caractère jugé obscène, et Baudelaire est condamné à une amende et à les retirer du recueil. Cette censure, loin de le décourager, renforce sa notoriété et son image de « poète maudit ».

Les Fleurs du Mal

La poésie de Charles Baudelaire, unique en son genre, rassemble des éléments romantiques, symbolistes, modernistes, parnassiens, pour dépasser tout cela et fonder une œuvre résolument singulière. Les Fleurs du Mal se démarquent par leur exploration de thèmes sombres et leur style riche et musical. Baudelaire innove en abordant des sujets tabous comme le spleen, la débauche, la mort et la laideur avec une esthétique raffinée et une profondeur psychologique inédite.

En outre, Baudelaire est l’un des premiers poètes à célébrer la ville, notamment Paris, dans ses poèmes. Il capte la vie urbaine avec ses contradictions, ses beautés et ses horreurs, et décrit la ville comme un lieu de modernité, de mouvement et de transformation perpétuelle.

Le spleen chez Baudelaire symbolise un état de mélancolie profonde, de dégoût de la vie, et de désespoir existentiel. Il ne s’agit pas seulement pour Baudelaire de décrire un tourment personnel, mais bien un malaise universel, une sorte de mal du siècle, et ce qui a fait le succès des Fleurs du Mal, c’est sans doute que de nombreuses personnes se sont reconnues dans ce spleen. Ce terme, d’origine anglaise, incarne un sentiment de malaise diffus et une angoisse omniprésente, contrastant avec des moments d’élévation spirituelle et esthétique.

Baudelaire excelle dans l’art du sonnet, une forme poétique ancienne, qui doit ses lettres de noblesse à Pétrarque, et qu’il utilise pour exprimer ses thèmes de prédilection avec une grande maîtrise technique. Ses sonnets se caractérisent par une rigueur formelle et une musicalité qui subliment les contenus souvent sombres et introspectifs.

Baudelaire ne fuit pas la réalité, même dans ses aspects les plus prosaïques ou sordides. Il s’attache à dépeindre la vie dans toute sa complexité, sans idéalisation, offrant une vision crue et authentique de l’existence humaine. « Une Charogne » est un poème emblématique où Baudelaire transforme un sujet repoussant en une méditation esthétique sur la beauté, la corruption du corps et la mortalité. Le poète décrit avec une précision presque scientifique la décomposition d’un cadavre, tout en l’enveloppant d’une aura poétique.

Liste des poèmes les plus connus des Fleurs du Mal :

Liste de poèmes moins souvent cités des Fleurs du Mal, et commentés dans Littérature Portes Ouvertes :

Les Petits Poèmes en Prose

Comme Les Fleurs du Mal, Les Petits Poèmes en Prose explorent des thèmes tels que le spleen, la beauté, et l’évasion. Baudelaire y développe une esthétique du contraste, entre l’idéal et le banal, le beau et le laid. Les Petits Poèmes en Prose se distinguent par le choix de la prose, qui suppose une forme plus libre et fragmentaire, et permet à Baudelaire d’expérimenter de nouvelles manières d’écrire. Cette poésie en prose s’affranchit des contraintes du vers, offrant une fluidité et une spontanéité plus marquées.

Il faut enfin rappeler que Baudelaire a aussi écrit des critiques d’art, notamment ses Salons, où il analyse et juge les œuvres présentées lors des expositions artistiques de son époque. Il y révèle son goût pour le romantisme, l’innovation, la modernité. En outre, il a traduit en français les œuvres d’Edgar Allan Poe, contribuant à faire connaître l’auteur américain en France et influençant sa propre écriture.

Comme citation emblématique de Baudelaire, j’ai choisi le célèbre poème de l’Albatros :

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Stéphane Mallarmé

Mallarmé par Carjat (Wikimedia Commons)

Je connais moins l’œuvre de Stéphane Mallarmé, que j’ai rarement eu l’occasion de rencontrer au cours de mes études. Ce professeur d’anglais, qui tenait salon chaque mardi, a élaboré une poésie complexe. Son fameux Sonnet en X est un véritable tour de force poétique, avec des rimes rares et un vocabulaire très recherché. Son Coup de dés fait entrer la poésie dans le monde de la poésie visuelle, expérimentant l’éclatement des mots sur la page, rapprochant ainsi la poésie des arts plastiques, avec une approche que reprendront à leur manière de nombreux poètes du XXe siècle, comme Apollinaire ou Du Bouchet.

L’œuvre de Mallarmé se caractérise par une recherche intense de la beauté formelle et de la perfection stylistique. Sa poésie est souvent hermétique, jouant sur les ambiguïtés et les sonorités des mots. Mallarmé s’éloigne du lyrisme romantique pour se concentrer sur la suggestion plutôt que sur la description, cherchant à évoquer des états d’âme et des idées abstraites par des symboles et des images complexes. Il prône une « poésie pure », dégagée des contingences matérielles, où le langage devient un moyen d’accéder à une réalité supérieure et idéale. La structure de ses poèmes, parfois fragmentée, reflète sa conception du texte comme une œuvre ouverte, invitant le lecteur à une interprétation active et personnelle.

Comme illustration de la poésie de Mallarmé, j’ai bien sûr choisi le célèbre sonnet en X :

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L’Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d’inanité sonore
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)

Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor.

Arthur Rimbaud

Un poète hors normes

Arthur Rimbaud, né le 20 octobre 1854 à Charleville dans les Ardennes, est le fils de Frédéric Rimbaud, capitaine d’infanterie, et de Vitalie Cuif, une femme austère et rigide, qu’il appellera « la mother ». Son père abandonne la famille en 1860, laissant Vitalie élever seule la fratrie. Enfant prodige, Arthur montre dès son plus jeune âge une aptitude exceptionnelle pour la poésie et la littérature, remportant plusieurs prix scolaires. Son professeur Georges Izambard a remarqué son talent. Il nous reste des écrits en latin qui montrent les qualités de l’élève Rimbaud. Mais sa relation avec sa mère, sévère et peu affectueuse, influence profondément son désir d’évasion et de révolte.

À l’âge de 16 ans, Rimbaud, frustré par la vie provinciale et oppressé par l’autorité maternelle, rêve de quitter Charleville. Il tente plusieurs fois de s’enfuir, souvent sans succès, mais répond à l’invitation de Paul Verlaine, qu’il a contacté par courrier. La rencontre avec Verlaine, séduit par le génie poétique du jeune Rimbaud, ouvre une période tumultueuse et féconde de la vie du poète.

La relation amoureuse entre Rimbaud et Verlaine, marquée par la passion et la violence, devient rapidement destructrice. Les deux poètes mènent une vie de bohème, entre excès d’alcool et disputes incessantes, jusqu’au moment où Verlaine, en proie à une crise de jalousie et d’alcool, tire au pistolet sur Rimbaud et le blesse légèrement au poignet. Cet épisode dramatique conduit à l’arrestation de Verlaine et marque la fin de leur relation. Un magnifique film avec Leonardo Di Caprio dans le rôle de Rimbaud retrace l’histoire de cette relation hors normes.

À l’âge de 20 ans, après avoir produit une œuvre poétique révolutionnaire et fulgurante, Rimbaud décide de cesser d’écrire. Les raisons de cet arrêt abrupt restent mystérieuses et font l’objet de nombreuses spéculations. Certains évoquent une désillusion profonde, une quête d’absolu insatisfaite, ou encore un rejet de la vie littéraire et de ses conventions. Après avoir renoncé à la poésie, Rimbaud mène une vie d’aventurier et de commerçant. Il voyage d’abord en Europe, puis en Afrique, où il s’établit comme trafiquant d’armes et négociant dans la région du Harrar, en Éthiopie. Cette période africaine, marquée par l’isolement et la maladie, contraste fortement avec sa jeunesse poétique. Rimbaud meurt à Marseille le 10 novembre 1891, à l’âge de 37 ans, des suites d’une infection gangréneuse à la jambe.

Les publications de Rimbaud

La plupart des poèmes de Rimbaud ont été publiés sans sa participation expresse, le seul volume agencé par le poète étant Une Saison en Enfer. Les Poésies rassemblent ses poèmes en vers. Il a également écrit Les Illuminations, sous-titré « painted plates », qui renvoient à la fois à une expérience mystique et aux illustrations et enluminures.

Les « Poésies » : Les Poésies de Rimbaud, écrites entre 1869 et 1872, révèlent son génie précoce et sa capacité à renouveler les formes poétiques. Des poèmes comme « Le Bateau ivre » illustrent son talent pour la métaphore audacieuse et l’imagerie éclatante, où se mêlent lyrisme, révolte et vision prophétique.

« Une Saison en Enfer » : Une Saison en Enfer, publiée en 1873, est un texte autobiographique et introspectif, où Rimbaud se livre à une analyse implacable de ses expériences et de ses tourments. Cependant, on peut se demander dans quelle mesure le réquisitoire que le poète dresse à l’encontre de sa propre pratique poétique n’est pas en même temps une forme de plaidoyer déguisé. Ce recueil, mêlant prose et poésie, témoigne d’une certaine forme de désespoir ou d’amertume et se présente comme une quête de rédemption, tout en marquant explicitement des prises de position subversives, anticléricales et anti-occidentales. Il s’agit d’une œuvre majeure à de nombreux points de vue.

Les Illuminations : Les Illuminations, écrites entre 1872 et 1874, constituent l’œuvre la plus novatrice de Rimbaud, et sans doute la plus difficile d’accès : « J’ai seul la clef de cette parade sauvage », écrit le poète à la fin de l’un des poèmes. Ce recueil de poèmes en prose, publié après sa cessation d’écriture, est caractérisé la richesse de ses images et la liberté absolue de sa forme. Les Illuminations reflètent une vision hallucinée du monde, où se mêlent le fantastique et le réel dans une syntaxe éclatée et musicale.

Son esthétique

Rimbaud est profondément ancré dans son époque, mais il dépasse également les conventions littéraires de son temps. Il s’inspire des révolutions politiques et sociales de la Commune de Paris, qu’il soutient avec ferveur, et adopte une attitude de rébellion contre l’ordre établi. Sa poésie est marquée par une modernité fulgurante, anticipant de nombreux mouvements littéraires du XXe siècle.

Rimbaud incarne le rejet de la tradition littéraire, manifestant une attitude iconoclaste typique de l’adolescence. Il méprise les conventions académiques et les valeurs bourgeoises, proclamant dans ses célèbres Lettres du Voyant son désir de « changer la vie ». Son écriture est une rupture radicale avec le passé, une tentative d’inventer un langage nouveau, libéré des contraintes classiques.

Dans ses Lettres à Demeny, Rimbaud expose sa théorie du « Voyant », où il affirme que le poète doit se faire voyant par un dérèglement systématique de tous les sens. Ce processus, selon lui, permet d’accéder à une vision supérieure et prophétique, de percevoir l’invisible et de révéler des vérités cachées. Cette conception visionnaire de la poésie témoigne de son ambition de transcender la réalité et de réinventer le langage poétique.

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Le « mythe Rimbaud », construit autour de sa figure d’enfant prodige, de poète maudit et d’aventurier, tend souvent à éclipser ses poèmes eux-mêmes. La fascination pour sa vie tumultueuse, son génie précoce et son rejet de la poésie a alimenté une légende qui parfois occulte la richesse et la complexité de son œuvre. Pourtant, il est essentiel de revenir aux textes de Rimbaud pour apprécier pleinement la beauté de sa poésie. Sa capacité à capturer l’inexprimable, son audace formelle et sa verve demeurent des éléments essentiels de son héritage.

Voici mon poème préféré d’Arthur Rimbaud, qui est aussi l’un des plus connus :

SENSATION

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue !

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

Mars 1870.

Rimbaud dans Littérature Portes Ouvertes :
La “Vierge folle” d’Arthur Rimbaud
“Sensation” de Rimbaud
“La Maline” de Rimbaud
Arthur Rimbaud : “Marine”
Le progrès chez Rimbaud
Arthur Rimbaud : Oraison du soir
Introduction à la lecture de Rimbaud
Arthur Rimbaud : les étrennes des orphelins
Arthur Rimbaud dans la vie littéraire de son temps
Arthur Rimbaud dans le temps

Paul Verlaine

L’auteur des Poèmes Saturniens est connu pour la subtilité et la musicalité de sa poésie. Son œuvre, délicate, sensible, mélancolique, tranche avec certains épisodes de sa biographie, marquée par les violences conjugales et les excès d’alcool. On sait que Verlaine battait sa femme et a tiré un coup de revolver sur Rimbaud. Il a d’ailleurs fait deux ans de prison pour cela. Cela n’enlève rien à la beauté des poèmes de Verlaine, mais cela les assombrit malgré tout.

Sa prédilection pour les mètres impairs, son attention aux sonorités, aux rythmes et aux assonances, mais aussi la fluidité et le naturel de ses vers, en font un poète très agréable à lire. Sa poésie mélancolique, sa peinture de l’amour et de ses douleurs, sa capacité à saisir des impressions fugitives et des impressions diffuses, à l’instar des impressionnistes, font de Paul Verlaine l’une des plus grandes voix de la poésie de son temps.

Il est moins souvent rappelé que Verlaine sait aussi être mordant et ironique. Il pratique l’auto-pastiche de façon jubilatoire, il joue avec les formes fixes, proposant ainsi un « sonnet inversé », il présente un enterrement comme un événement presque festif, il se moque des « fêtes galantes »…

Comme exemple de la poésie de Paul Verlaine, je vous propose de découvrir « Le ciel est par-dessus le toit », paru dans Sagesse :

Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit
Berce sa palme.

La cloche dans le ciel qu’on voit
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.

— Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?

Paul Verlaine dans Littérature Portes Ouvertes :
Le « rêve familier » de Paul Verlaine
« Un soir d’octobre » de Paul Verlaine
« Résignation » : le sonnet inversé de Verlaine
« L’enterrement » de Paul Verlaine
Paul Verlaine : « Il faut, voyez-vous, nous pardonner… »
L’auto-pastiche de Paul Verlaine
Le poème d’à côté : Paul Verlaine

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Véritable laboratoire d’expérimentations et de renouvellements, la poésie française du XIXe siècle est à l’image de son temps : diverse, variée, marquée par la confrontation d’esthétiques très différentes entre elles, et par leur conjonction sous la plume de grands poètes qui dépassent de loin les mouvements littéraires dans lesquels on voudrait les enfermer. Dire que c’est le XIXe siècle qui a donné à la poésie française ses plus grands poètes, c’est sans doute exagéré et de parti pris, mais ce n’est, en somme, pas très éloigné de la réalité. Les Hugo, les Baudelaire, les Verlaine, les Rimbaud, les Mallarmé ont profondément renouvelé la poésie, ils l’ont durablement marquée, au point d’ouvrir un chapitre qui n’est toujours pas clos aujourd’hui.

Ces cinq poètes sont bien ceux par lesquels, à mon sens, il faut commencer pour découvrir la poésie du XIXe siècle, et c’est pourquoi c’est sur eux que j’ai insisté dans cette petite introduction. Bien entendu, si vous voulez avoir une connaissance plus fine, il vous faudra aller voir aussi du côté de Vigny, Musset, Nerval, Banville, Leconte de Lisle, Heredia, Desbordes-Valmore, Corbière, Verhaeren… et tant d’autres !

Les anthologies et livres d’introduction, même récents, ne mentionnent qu’un tout petit nombre de femmes. Dans un article précédent, je vous avais présenté, outre la très connue Marceline Desbordes-Valmore, les figures de Delphine Gay de Girardin ou encore d’Agathe Sasserno.

Et si vous voulez aller au-delà, sachez que Wikipédia recense 741 poètes français du XIXe siècle, et 92 poétesses françaises. Vous avez donc de quoi lire pendant quelques années !

Cet article ne prétend rien d’autre qu’être une première introduction très générale, à l’attention du plus grand nombre. J’espère qu’il vous aidera à vous repérer dans le XIXe siècle poétique, et qu’il vous donnera envie de lire d’autres poèmes de cette époque si riche en découvertes poétiques. À bientôt sur Littérature Portes Ouvertes pour de nouvelles aventures !

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