« Mon rêve familier » est sans doute l’un des plus célèbres poèmes de Paul Verlaine. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, le voici en vidéo, prononcé sur une Gymnopédie d’Erik Satie. Eh bien, je vous propose de tourner la page et de découvrir le poème d’à côté…
« Mon rêve familier » en vidéo
Source : YouTube.
Le poème d’à côté
Tournons la page : voici le poème qui précède immédiatement « Mon rêve familier » dans les Poèmes saturniens.
LASSITUDE
A batallas de amor campo de pluma.
(Gongora.)De la douceur, de la douceur, de la douceur !
Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.
Même au fort du déduit, parfois, vois-tu, l’amante
Doit avoir l’abandon paisible de la sœur.Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,
Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur.
Va, l’étreinte jalouse et le spasme obsesseur
Ne valent pas un long baiser, même qui mente !Mais dans ton cher cœur d’or, me dis-tu, mon enfant,
La fauve passion va sonnant l’oliphant
Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse !Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,
Et fais-moi des serments que tu rompras demain,
Et pleurons jusqu’au jour, ô petite fougueuse !
Paul Verlaine, « Lassitude », Poèmes saturniens,
éd. Vanier, 1902, p. 14, via Wikisource.
Une adresse à la femme aimée
Ce sonnet adressé à la femme aimée est tout entier rédigé à la deuxième personne. Il est même à l’impératif ! Ce mode est récurrent dans la totalité du poème. On a donc l’impression que Paul Verlaine parle directement à la femme aimée, comme si les deux amants étaient seuls, dans une chambre ou un boudoir. Mais il ne faut pas oublier que le poème est aussi destiné à la publication, destiné à être lu par un large public qui est le destinataire réel de ce poème : à la limite, il importe peu que la femme aimée soit un être réel ou un personnage de fiction.
C’est précisément ce que je trouve très savoureux dans ce poème, qui offre une impression de spontanéité au sein de la forme composée du sonnet, ou, pour le dire autrement, une impression d’oralité dans un poème très écrit.
L’expression de la passion
D’emblée, le trimètre répétitif « De la douceur, de la douceur, de la douceur ! » brise le rythme habituel de l’alexandrin (4/4/4 au lieu de 6/6) pour faire commencer le poème sur une exclamation. Dès les premiers mots du poème, Paul Verlaine adopte un ton passionné. Le voici qui réclame de la douceur à sa très fougueuse partenaire.
Le champ lexical de la passion est, de fait, très présent dans l’ensemble du poème :
- le terme de transport désigne une « vive émotion », un « sentiment passionné » (pour reprendre la définition du CNRLT) ;
- l’adjectif fébrile signifie « fiévreux » et qualifie souvent des mouvements rendus imprécis ou désordonnés par l’excitation ;
- le substantif déduit désigne une « occupation procurant du plaisir », et plus spécialement le « plaisir amoureux » (toujours selon le CNRLT). Il s’agit du participe passé substantivé du verbe déduire ;
- le terme d’abandon appartient également à ce champ lexical, s’agissant de s’abandonner soi-même, de « laisser aller son corps, son cœur, son esprit à leur pente naturelle » (CNRLT).
Bref, ce poème s’inscrit dans la tradition du discours amoureux. Il ne s’agit pas ici d’une déclaration d’amour, mais d’une succession de recommandations qui sont celles d’un amant à son amante. La sensualité du poème est assez évidente : Verlaine réclame des gestes moins violents, des caresses plus douces, des baisers langoureux.
Le passage des quatrains aux tercets marque l’abandon du poète qui se résigne à ce que la femme aimée laisse aller sa sauvage passion. « Laisse-la trompetter à son aise » : Verlaine ne tente plus, désormais, de réclamer de la douceur. Il est des passions si vives qu’on ne saurait les contraindre…
J’aime beaucoup le premier vers du dernier tercet, « Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main ». La répétition des mots « front » et « main », avec changement des déterminants possessifs, montre bien l’union des deux êtres, qui ne font plus qu’un.
« Et fais-moi des serments que tu rompras demain » : peu importe après tout que ces promesses ne soient pas sincères, le poète les réclame malgré tout, peut-être parce que ces douces paroles ajoutent à la sensualité des caresses. Ce vers rappelle la précision « même qui mente » qui terminait le deuxième quatrain.
Inscrire de l’oralité dans le corset du sonnet
On notera le caractère familier de l’apostrophe finale, « ô petite fougueuse ». Le « ô » de louange ne parvient pas, en effet, à faire vraiment oublier ce qu’il y a de familier dans le fait d’appeler son amante « petite fougueuse ». On a vraiment l’impression que Paul Verlaine parle « en vrai » à son amante, comme si celle-ci était devant lui. Or, tel n’est pas le cas : le charme de ce poème me semble tenir notamment à la façon dont Paul Verlaine a su inscrire cette oralité dans le corset du sonnet. Quatorze alexandrins rimés, deux quatrains, deux tercets, qui n’empêchent pourtant pas l’impression d’un « rendu naturel ».
Le vers final et les pleurs
Souvent, dans un sonnet, le vers final, tout en étant ce vers quoi convergent les treize vers précédents, introduit une surprise finale. Ici, l’apparition de la première personne du pluriel montre les deux amants réunis, mais réunis dans des pleurs. Pourquoi ce « pleurons » ? Déjà, cela laisse entrevoir la sensibilité à fleur de peau du poète, qui ne se contente pas de simplement jouir de ces caresses mais expose un sentiment plus complexe. Au-delà du désir et de la passion, les pleurs font entrevoir un tout autre aspect de la relation, sans doute indissociable, comme si la passion suscitait de la douleur autant que du plaisir.
Ce vers est quand même incroyable : « Et pleurons jusqu’au jour, petite fougueuse ! » Il y a opposition, voire oxymore, entre la fougue, d’un côté, qui est élan, extraversion, pulsion, et les pleurs, qui sont peine, chagrin, repli sur soi. La seule fois où le poète utilise la première personne du pluriel, c’est pour dire « pleurons » !
Certes, dès le premier quatrain la fougue de l’amante demandait à être tempérée par « de la douceur ». En quelque sorte donc, le premier quatrain prépare ce trait final. Mais ce dernier va beaucoup plus loin, grâce à cet hémistiche inattendu, en total contraste.
On comprend ainsi mieux le titre de ce poème « Lassitude ». Peut-être parce que le poète sait trop bien la part de feintise, d’affection et de simulation dans les transports de la femme aimée. Peut-être parce qu’il est un peu blasé par la « fauve passion » et lui préfère des formes plus douces. Peut-être parce qu’il y a aussi de la douleur dans la passion.
Le génie de Verlaine
Le génie de Verlaine est donc évident dans ce poème. J’y suis d’autant plus sensible que, durant mes études, on m’a beaucoup moins parlé de Verlaine que de Baudelaire et de Rimbaud. Et chaque fois que je lis Verlaine, je me dis, quand même, on a tort de le mettre de côté. Qu’en pensez-vous ?
Merci pour ce beau poème moins connu.
Et merci pour la lecture de « mon rêve familier » avec la musique de Satie qui s’y prête bien.
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mon sujet du bac à l’époque… un bon souvenir.
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je fais de jolis tableaux moi valérie je souhaite en exposer
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