Nous, lecteurs du XXIe siècle, sommes encore très imprégnés de la poésie du XIXe siècle. C’est que, de la poésie dite « moderne » à celle dite « contemporaine », il n’y a pas rupture mais continuité. Nous sommes les héritiers directs de Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé. Ces cinq poètes constituent, à coup sûr, les phares de la modernité. Ils sont parmi les plus lus, et les plus enseignés. Pourtant, le XIXe siècle ne saurait se réduire à ces quelques figures. Je vous propose de découvrir d’autres noms de la poésie française du XIXe siècle, en commençant, pour aujourd’hui, par des Romantiques.
Bien entendu, dès qu’il s’agit d’opérer un choix, on est forcément subjectif. J’ai préféré prendre le temps de parler correctement de quelques poètes seulement, plutôt que de proposer une liste interminable. Il va de soi que d’autres noms eussent pu être choisis. J’ai voulu sélectionner des poètes qui permettent de balayer tout le siècle et illustrer des tendances différentes, en commençant donc, pour aujourd’hui, par le début du siècle, avec ce grand mouvement qu’est le Romantisme.





Tentative de définition
Définir le romantisme en quelques mots n’est pas chose aisée, dans la mesure où ce mouvement artistique a connu plusieurs tendances différentes, où il est loin de se limiter à la France, et où il s’est exprimé dans de nombreux arts (poésie, littérature, musique…). Pour ne parler que de ce qui concerne la France, et pour en rester à des considérations générales, on peut évoquer les tendances suivantes :
- la prise en compte du bouleversement provoqué par la Révolution française, qu’il s’agisse de le regretter ou de l’approuver (puisque, selon Daniel Leuwers, il y a eu deux « vagues » romantiques qui s’opposaient sur ce point) ;
- un relatif rejet du classicisme français et une volonté de moderniser le vers : Victor Hugo parlera d’un vers « ami de l’enjambement » ;
- une redécouverte d’œuvres antérieures, notamment celles du Moyen-Âge qui se trouve parfois idéalisé ;
- un goût pour la contemplation de la Nature ;
- une tendance à l’expression de sentiments personnels.

La grande figure du romantisme français, c’est évidemment Victor Hugo, auquel j’ai déjà consacré ici de nombreux articles. J’ai, en particulier, voulu montrer que, si Hugo est connu pour avoir écrit de grands poèmes grandioses comme « Magnitudo parvi », il a également produit des poèmes très touchants par leur simplicité. J’en cite quelques-uns dans mon article intitulé « L’autre Victor Hugo ».
1. Alfred de Vigny

Très connu est également Alfred de Vigny (1797-1863). Il s’est illustré dans de nombreux genres (poésie, roman, théâtre). Pour ne parler que de ce qui concerne la poésie, son principal recueil s’intitule Poèmes antiques et modernes. Il s’ouvre avec un « livre mystique », se prolonge avec des poèmes « antiques » (antiquité biblique et homérique) et un « livre moderne ». C’est dire le poids de la culture religieuse et de la mythologie antique dans sa création.
Je vous propose de découvrir la première strophe d’un poème intitulé « La neige », qui fait partie du « livre moderne » :
"Qu’il est doux, qu’il est doux d’écouter des histoires, Des histoires du temps passé, Quand les branches d’arbres sont noires, Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé ! Quand seul dans un ciel pâle un peuplier s’élance, Quand sous le manteau blanc qui vient de le cacher L’immobile corbeau sur l’arbre se balance, Comme la girouette au bout du long clocher !"
2. Charles Nodier

J’ai eu la chance d’étudier en khâgne, dans le cadre de la préparation à l’épreuve de commentaire composé, un extrait de Smarra de Nodier. Charles Nodier est un poète beaucoup moins connu, et c’est pour cette raison que je l’ai choisi. Si mes souvenirs sont bons, il illustre une autre facette du romantisme, un romantisme noir, proche du fantastique. Il a écrit un grand nombre de contes fantastiques, comme Smarra, ou les démons de la nuit ou encore Trilby ou le lutin d’Argail. Il mériterait sans doute d’être davantage connu, car il pourrait plaire aux fans de Lovecraft ou de Tolkien…
Voici un extrait des Stances à A. de Musset :
Quand, du haut d’un char d’opale, L’aube pâle Chasse les chœurs clandestins Des lutins, Si l’aurore mal-apprise L’a surprise, Peureuse, elle part sans bruit Et s’enfuit, En exhalant dans l’espace Qui s’efface Le soupir mélodieux Des adieux. Fuis, fuis le pays morose De la prose, Ses journaux et ses romans Assommants. Fuis l’altière période À la mode, Et l’ennui des sots discours, Longs ou courts. Fuis les grammes et les mètres De nos maîtres, Jurés experts en argot Visigoth. Fuis la loi des pédagogues Froids et rogues, Qui soumettraient tes appas Au compas. Mais reviens à la vesprée, Peu parée, Bercer encor ton ami Endormi.
3. Marceline Desbordes-Valmore
Marceline Desbordes-Valmore est la seule poète-femme du XIXe siècle un tant soit peu connue. De fait, les manuels et les anthologies présentent fréquemment, notamment en ce qui concerne le romantisme, des florilèges presque exclusivement masculins. Marceline Desbordes-Valmore a su sortir du lot. Ayant déjà consacré deux articles à cette poète, je me permets d’y renvoyer :
Desbordes-Valmore : « La jeune fille et le ramier »
Née en 1786 et morte en 1859 à l’âge de 73 ans, Marceline Desbordes-Valmore est l’une des figures féminines de la poésie les plus connues. Son poème le plus célèbre s’intitule Les roses de Saadi : le dessinateur de bande dessinée Gotlib a d’ailleurs proposé, dans une de ses planches, une parodie d’analyse critique de…
Le poème d’à-côté : Marceline Desbordes-Valmore
Marceline Desbordes-Valmore est une poète du XIXe siècle, dont l’un des poèmes les plus connus est sans doute « Les roses de Saadi ». Dans la logique de la catégorie « Le poème d’à côté », je vous invite à découvrir un autre poème de Marceline Desbordes-Valmore…
4. Delphine Gay de Girardin
Delphine Gay, épouse de Girardin, née en 1804 et morte en 1855, s’est illustrée dans de nombreux genres littéraires : poésie, roman, récits, chroniques, théâtre… Son salon littéraire était fréquenté par les plus grands écrivains de son siècle. Ses Poésies complètes n’ont été que très partiellement mises en ligne sur Wikisource.
J’ai été séduit par ce poème qui traite d’un sujet très grave, la mort d’un petit frère, à travers un dialogue qui fait apparaître la douleur sans excès de pathos. Voici les trois premières strophes :
— « Où donc, ma mère, où donc est-il mon petit frère ? « Sous les branches du vieux tilleul « Autrefois nous jouions si gaîment, ô ma mère, « Et maintenant je suis tout seul. « Oh ! quel plaisir c’était d’être ensemble, ô ma mère, « De rire et de jouer toujours ! « Où donc, ma mère, où donc est-il mon petit frère ? « Je l’appelle en vain tous les jours. » — — « Regarde, enfant, là-haut ces nuages étranges. « Le ciel est bien loin au-dessus. « Ton petit frère est là qui joue avec les anges « Et le petit enfant Jésus.
5. Agathe-Sophie Sasserno
Pour conclure sur les poètes romantiques méconnus, je voudrais vous parler d’Agathe-Sophie Sasserno. Pourquoi elle ? Parce qu’elle était Niçoise, et qu’elle était très attachée à sa ville. Née à l’actuelle place Garibaldi, elle n’a cessé dans son œuvre de chanter Nice, mais aussi l’Italie, avec un nationalisme tout romantique. En effet, bien qu’elle écrivît en langue française, elle se considérait Italienne. À Nice, une place et un collège portent son nom. Pourtant, on ne trouvera aucun texte de sa main sur Wikisource, ni même sur Gallica. Heureusement, il y a Google Livres, qui permet de feuilleter des fac-similés de nombreux ouvrages.
Voici les premiers vers de son « Hymne de la mer », dans Ore meste : chants sur l’Italie et poèmes intimes et religieux, Fontane éd., 1846 :

► Découvrir d’autres poèmes de ce livre en le feuilletant sur Google Livres.
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J’espère que ces cinq noms vous auront permis de découvrir une autre facette de la poésie française du XIXe siècle. Vous l’aurez compris, après ce premier article sur les Romantiques méconnus, viendront les Parnassiens méconnus, les Symbolistes méconnus, et ainsi de suite, l’objectif étant de revisiter l’Histoire de la poésie française, en découvrant d’autres noms, d’autres poètes, d’autres vers que ceux qui sont toujours repris dans les manuels scolaires et les anthologies.
Image d’en-tête : un tableau de Caspar David Friedrich trouvé sur Wikipédia.

