Les écrivains et les écrivaines sont des hommes et des femmes comme tout le monde. Comme tout le monde, vraiment ? Pourtant, lorsqu’ils accèdent à la gloire, leur personne s’enveloppe d’une aura de mythe. Mêlant vérité biographique et fantasmatique collective, l’écrivain devient un véritable personnage. Romanciers et cinéastes content alors parfois leur légende. J’ai eu l’occasion de m’intéresser à la question du mythe de l’écrivain grâce aux très intéressants cours de M. Paul Léon, enseignant à l’Université de Nice.
Qu’est-ce qu’un écrivain ? Quelques stéréotypes…

Connaissez-vous Le Magnifique, célèbre film de Philippe de Broca, avec Jean-Paul Belmondo dans le rôle principal ? Cette savoureuse comédie présente une certaine image de l’écrivain : talentueux et fauché, il mène une existence misérable, seul face à sa vieille machine à écrire, tout en rêvant à la vie exaltante de ses personnages. Le film s’appuie sur un stéréotype de l’écrivain, selon lequel celui-ci ne peut rencontrer de réelle gloire que de façon posthume. L’écrivain est aussi présenté comme un incompris, méprisé par son éditeur, ce qui rejoint un peu le mythe du « poète maudit ».
Encore aujourd’hui, être écrivain s’accompagne d’un certain prestige : il n’y a guère d’homme politique qui n’ait écrit un livre afin de s’attirer un peu de cette gloire. L’idée persiste selon laquelle l’écrivain serait un être d’exception, même s’il n’est plus aujourd’hui question d’en faire littéralement un interprète des Muses.

Cette aura mythologique qui enveloppe l’écrivain est renforcée par des textes, des photographies, des films, qui le donnent à voir au grand public. La célèbre photo d’Arthur Rimbaud par Carjat a ainsi, probablement, pesé sur ce qui est devenu le « mythe Rimbaud », celui d’une révolte adolescente et transgressive. On pense aussi aux pierres tombales des grands écrivains, ou encore à ces objets du quotidien conservés longtemps après la mort de l’artiste et exposés dans des musées…
On voit ainsi se déployer différentes versions du mythe de l’écrivain, dans lesquels des fragments de réel — des biographèmes — se mêlent à des éléments de légende. Paul Léon, lors de ses cours à l’Université de Nice, s’est en particulier appuyé sur trois films pour le démontrer.
Ces trois films s’intéressent plus particulièrement aux écrivains dans leurs relations amoureuses. Il s’agit, dans les trois cas, de relations compliquées, voire tourmentées, où l’art et la littérature occupent une place éminente. Ces films étaient les suivants :
- Rimbaud Verlaine, par Agnieszka Holland, film sorti en 1997, avec Leonardo DiCaprio et David Thewlis dans les rôles principaux.
- Sartre, l’âge des passions (2006), par Claude Goretta. Avec Denis Podalydès dans le rôle de Jean-Paul Sartre et Anne Alvaro dans celui de Simone de Beauvoir.
- Cet amour-là (2002), par Josée Dayan. Sur la relation entre Marguerite Duras, incarnée par Jeanne Moreau, et Yann Andréa, sous les traits de l’acteur Aymeric Demarigny.
Arthur Rimbaud et Paul Verlaine

Ce fut une relation tout à la fois intense et tumultueuse que celle du jeune Arthur Rimbaud avec le poète Paul Verlaine, de dix ans son aîné. Elle présente d’emblée une dimension romanesque : adultère, homosexualité, absinthe, et le fameux coup de revolver. Il y a bien quelque chose de mythique chez les deux poètes : d’un côté le bouillant Ardennais, « Petit Poucet rêveur », fuguant vers Paris pour ne pas manquer la Commune, le poète « voyant », qui marqua profondément la poésie en quelques années avant de se taire à jamais ; de l’autre, le chauve Verlaine, le « poète maudit », dont la sensibilité exacerbée lui permit d’écrire quelques uns des plus célèbres vers du dix-neuvième siècle.
La relation entre les deux écrivains se prêtait donc bien à l’adaptation cinématographique. Leonardo DiCaprio convient parfaitement pour le rôle de Rimbaud : visage fin, cheveux longs, on croirait presque reconnaître le portrait du Coin de table de Fantin-Latour. L’acteur qui incarne Verlaine, David Thewlis, est également très convaincant en Verlaine tourmenté, hésitant entre Mathilde, son épouse, et Arthur.
Est-il possible de lire Rimbaud aujourd’hui sans que n’interviennent tous ces éléments ? Peut-on lire Rimbaud sans penser aux multiples portraits essaimés dans la ville par Ernest Pignon-Ernest ? Arthur Rimbaud n’est plus seulement un homme, ni même un poète, il est devenu une légende.
Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir

C’est un autre couple très célèbre que celui de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Là encore, le mythe et la légende accompagnent l’histoire et la biographie. Peut-on lire Sartre sans avoir à l’esprit des images de l’écrivain, cheveux cirés, lunettes sur le nez et pipe à la main, que l’on imagine dans un café parisien en train de deviser politique, philosophie ou littérature ?
A côté de celui qui refusa le prix Nobel, la figure de Simone de Beauvoir n’est pas moins intéressante : elle joua un grand rôle pour l’œuvre de Sartre, tout en développant elle-même une réflexion de premier plan. Leur relation complexe s’affranchissait des règles bourgeoises et des codes traditionnels, au profit d’une union libre qui n’a pas dû être facile à vivre tous les jours.
Plusieurs films ont porté à l’écran l’histoire singulière de ces deux grandes figures littéraires du XXe siècle. Paul Léon nous a invités à étudier et analyser celui de Claude Goretta, où Jean-Paul Sartre était incarné par Denis Podalydès. Anne Alvaro, dans le rôle de Simone de Beauvoir, toujours un foulard sur la tête, était également très convaincante.
Ce n’est pas sans raisons que le cinéma et la télévision ont plusieurs fois choisi d’illustrer la vie de Jean-Paul Sartre. Philosophe, dramaturge, romancier, il a produit une œuvre abondante qui a profondément marqué son siècle. Il est aussi l’incarnation du mythe de « l’écrivain engagé », prenant parti sur des questions politiques sensibles, cherchant à influencer l’opinion publique. Ses funérailles furent impressionnantes : l’encyclopédie Wikipédia parle d’un cortège de cinquante mille personnes. Quel écrivain, aujourd’hui, pourrait se targuer de susciter un tel élan de sympathie ?
Marguerite Duras et Yann Andréa

Troisième couple mythique, celui de Marguerite Duras et Yann Andréa. Le film de Josée Dayan, intitulé Cet amour-là comme le livre de Yann Andréa dont il s’inspire, emprunte aussi à L’été 80 et à Yann Andréa Steiner de Marguerite Duras. En regardant le film, on finit par oublier que c’est Jeanne Moreau, et non Marguerite Duras en personne, qui apparaît à l’écran. L’actrice, qui connaissait personnellement l’écrivaine, use de sa voix grave pour recréer le mythe Duras.
On voit l’écrivaine à sa table d’écriture, à sa machine à écrire, dans la semi-obscurité des volets entrebâillés de son appartement des Roches Noires, à Trouville. La réalité et le mythe s’interpénètrent dans un film fondé sur des éléments biographiques précis, mais qui s’attache aussi à montrer une image de l’Écrivain. Le point obscur qu’est l’alcoolisme n’est pas nié mais au contraire intégré au mythe : il fait partie de la légende durassienne. Et le film reprend des mots, des phrases, des tournures, empruntés aux livres de Marguerite Duras et de Yann Andréa.
Là encore, la relation amoureuse placée au centre du film n’avait rien de banal. Yann Andréa, dernier compagnon de Marguerite Duras, de trente-huit ans plus jeune qu’elle, fut d’abord séduit par l’œuvre avant de rencontrer l’écrivaine. Ils vécurent ensuite une relation complexe, tumultueuse, passionnée. La littérature y fut omniprésente.
Mythe et réalité
L’écrivain demeure une figure qui fait rêver. Il suscite les fantasmes du grand public, tout autant que son admiration. Son existence s’en trouve nimbée d’une aura de légende. Départager ce qui ressort de la vérité biographique et ce qui correspond davantage au mythe devient alors une gageure. Mais, au fond, est-il toujours nécessaire de distinguer les deux, si l’on estime que la légende finit par faire partie de la vérité d’un écrivain ?
Sources et prolongements
- Merci à Paul Léon, maître de conférences en Littérature du XXe siècle à l’Université de Nice, pour ses cours stimulants.
- Pour en savoir plus, je vous conseille l’intéressant article, par ailleurs fort agréable à lire, que Paul Léon a publié dans Loxias, intitulé « Images idiotes de Rimbaud » (Loxias 27, décembre 2009).
- Les images insérées dans l’article proviennent de Wikipédia. L’image d’en-tête, destinée à rassembler les trois figures de Rimbaud, Sartre et Duras, consiste en l’assemblage de trois images de Wikipédia recolorisées.
Excellent article, merci.
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Merci beaucoup !
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