Son influence demeure très forte sur les poètes d’aujourd’hui. Pourtant, il n’a qu’assez peu écrit, et pendant une période très brève, correspondant à une adolescence aussi intense que tumultueuse. Rimbaud est une comète, traversant de façon fulgurante le ciel de la poésie, pour la changer à jamais. Oui, sans doute, il y a un avant et un après Rimbaud. Certes, ce dernier ne fut guère connu de son temps, mais il fut admiré par les plus grands : Verlaine et Mallarmé, notamment.
Une existence fascinante
La célébrité posthume de Rimbaud est indissociable du parcours singulier du poète. Son jeune âge fascine. À seize ans, il a déjà beaucoup lu, grâce notamment à George Izambard, son professeur de collège, qui lui prêta des ouvrages. Il compose en latin des vers admirables. En deux ans, de 1870 à 1872, il rédige l’essentiel de son œuvre poétique, avant d’abandonner définitivement tout intérêt pour la littérature. Ce parcours fulgurant explique que Rimbaud sera surtout apprécié par la postérité, tandis qu’il a relativement peu participé à la vie littéraire de son temps.

C’est que Rimbaud a toujours été, en plus d’un intellectuel précoce, un homme d’action. On peut supposer qu’il participait à la rude vie de la campagne ardennaise pendant son enfance. Quand la Commune éclate à Paris, il veut être là où ça se passe. On sait qu’il a plusieurs fois fugué. Sa relation tumultueuse avec Verlaine, à Paris, à Londres ou en Belgique, ajoute à son existence un parfum de scandale. Si bien que cette relation a donné lieu à un film admirable, où Leonardo DiCaprio campe un parfait Rimbaud. Finalement, son exil au Harar, où il négocie des armes avec le Négus, n’est pas si surprenant qu’il paraît au premier abord.
Alors, oui, pour toutes ces raisons, Rimbaud fascine. Et le piège serait d’en rester là, à ce mythe qu’est devenu Rimbaud et qui fait sans doute un peu écran à sa poésie. Il faut lire les Poésies en vers, qui n’ont jamais été publiées par Rimbaud, mais qui contiennent des poèmes qui sont devenus des classiques : le « Dormeur du val », les « Voyelles », et bien entendu le « Bateau ivre ». On pourra ensuite découvrir la Saison en enfer, récit en prose, sans doute moins facile d’accès, la seule œuvre achevée et publiée de Rimbaud. Quant aux Illuminations, elles vous éblouiront.
Les Poésies en vers
1870-1872. Deux années, qui condensent un parcours poétique fulgurant. Il suffit de lire les Poésies de Rimbaud pour voir comment leur facture évolue, sur le plan de la versification notamment. Mais dès les premiers vers, Rimbaud adopte ce ton irrévérencieux qui sera sa marque de fabrique. Pensons à « Vénus Anadyomène » et son « clystère à l’anus », à cette « Oraison du soir » où le poète « pisse […] avec l’assentiment des grands héliotropes »… J’aime particulièrement « À la musique », satire au vitriol des bourgeois de son temps, digne d’une caricature à la Daumier.

Mais les Poésies de Ribaud ne sont pas seulement une pochade. Au-delà de la farce potachique, on remarque un fort degré de compréhension des enjeux historiques d’une époque qui, en quelques années, voit se multiplier les régimes et les conflits : Empire, Commune, République, guerre franco-prussienne… Rimbaud est fortement conscient des enjeux politiques de son temps, comme des poèmes tels que « Morts de Quatre-vingt-douze » le rappellent. On remarque aussi une lecture précise des aînés, y compris les grandes voix du XIXe siècle, que Rimbaud se plaît à parodier avec ses amis zutistes.
Pour ma part, j’aime particulièrement les poèmes de 1872 dont les vers plus courts, plus audacieux. Ce sont ceux qui me restent en mémoire, plusieurs années après avoir étudié de près l’œuvre de Rimbaud :
« Oisive jeunesse
À tout asservie
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie »
Si je cherche dans ma mémoire des poèmes de Rimbaud dont je me souviendrais par cœur, il y aurait aussi, bien sûr, le magnifique « Sensation » :
« Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme. »
Ces vers d’une complexe simplicité sont pour moi très près de la perfection. Simplicité, oui, de l’instant vécu, sans lexique recherché, c’est la sensation pure, la sensation même qui transparaît de chaque mot. Et complexité, parce qu’on se rend vite compte que tout est calculé, que ces quelques vers sont incroyablement ciselés, par leurs échos phoniques, leurs pauses rythmiques.
La Saison en Enfer

La Saison en Enfer est un texte en prose relativement bref, mais d’une telle densité qu’il en devient difficile à lire. Il a fait couler beaucoup d’encre et on en a proposé de nombreuses interprétations. On peut lire la Saison comme le récit rétrospectif d’une aventure poétique en apparence présentée comme un échec, mais où le réquisitoire se transforme fréquemment en art poétique. Difficile de savoir ce que pense Rimbaud, tant il est adepte de l’ironie et du second degré.
Le poète s’y présente lui-même comme une sorte de sauvage, rejetant les oripeaux de la civilisation occidentale, pour préférer, tantôt les « ancêtres gaulois », tantôt « l’Orient ». Il s’agit, dans les deux cas, de s’inscrire dans un univers non chrétien, dans le rejet des normes bourgeoises. D’où les « pustules sur le corps » et le « carnet de damné ». Cela explique aussi qu’il préfère les « livres pornographiques sans orthographe » aux ouvrages plus civilisés. Le poète revendique son « mauvais sang ».
La prose fulgurante de la Saison en Enfer est fascinante. Elle est toute de raccourcis syntaxiques, de rythmes syncopés, à l’image de ce poète-comète qui semble ne pouvoir demeurer immobile.
Les Illuminations
Si le titre de ce recueil renvoie aux enluminures, aux « painted plates », il nous fait penser aussi aux nombreuses images que font naître en nous les poèmes, si lumineux en effet et hauts en couleur, à l’instar de mon poème préféré, « Parade ». Je vais me permettre de le citer en entier, même s’il est un peu long :
Des drôles très solides. Plusieurs ont exploité vos mondes. Sans besoins, et peu pressés de mettre en œuvre leurs brillantes facultés et leur expérience de vos consciences. Quels hommes mûrs ! Des yeux hébétés à la façon de la nuit d’été, rouges et noirs, tricolorés, d’acier piqué d’étoiles d’or ; des faciès déformés, plombés, blêmis, incendiés ; des enrouements folâtres ! La démarche cruelle des oripeaux ! — Il y a quelques jeunes, — comment regarderaient-ils Chérubin ? — pourvus de voix effrayantes et de quelques ressources dangereuses. On les envoie prendre du dos en ville, affublés d’un luxe dégoûtant.
Ô le plus violent Paradis de la grimace enragée ! Pas de comparaison avec vos Fakirs et les autres bouffonneries scéniques. Dans des costumes improvisés, avec le goût du mauvais rêve, ils jouent des complaintes, des tragédies de malandrins et de demi-dieux spirituels comme l’histoire ou les religions ne l’ont jamais été. Chinois, Hottentots, bohémiens, niais, hyènes, Molochs, vieilles démences, démons sinistres, ils mêlent les tours populaires, maternels, avec les poses et les tendresses bestiales. Ils interpréteraient des pièces nouvelles et des chansons « bonnes filles ». Maîtres jongleurs, ils transforment le lieu et les personnes et usent de la comédie magnétique. Les yeux flambent, le sang chante, les os s’élargissent, les larmes et des filets rouges ruissellent. Leur raillerie ou leur terreur dure une minute, ou des mois entiers.
J’ai seul la clef de cette parade sauvage.
Rimbaud a su ici transformer ce qui a probablement dû être une scène vue en un univers étrange et mystérieux, au point que le poème se présente explicitement comme hermétique, le poète réservant les « clefs » de lecture du poème, et se gardant bien de les partager.
Il y aurait, bien sûr, tant d’autres poèmes à citer, tant les proses que les poèmes en vers libres ! Mais je vous les laisse découvrir par vous-même. J’espère que cette petite introduction vous aura permis de mieux découvrir l’univers de Rimbaud. Pour aller plus loin, n’hésitez pas à faire un tour sur les autres articles de ce blog consacrés à ce grand poète :
- Arthur Rimbaud et le temps
- Rimbaud vu par Mallarmé
- Une phrase de Rimbaud
- Le poème d’à côté : Arthur Rimbaud
- Le poème d’à côté (3) : Arthur Rimbaud
- Les Assis de Rimbaud
- Rimbaud dans la vie littéraire de son époque
- Rimbaud : les étrennes des orphelins
- Rimbaud par Verlaine (article « reblogué »)
- Citation du jour : Arthur Rimbaud
La parole est à vous !
Quel est votre poème de Rimbaud préféré ? Qu’aimez-vous chez Ribaud ? N’hésitez pas à laisser un petit commentaire ! (Si vous ne l’aimez pas, ça ne vous empêche pas de commenter aussi ^^).
Première soirée qui commence par:
Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
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Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
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J’ai toujours aimé Rimbaud, particulièrement « Vierge Folle » dans La Saison en Enfer, un très beau poème d’amour, et j’aime aussi les Vers Nouveaux, La Rivière de Cassis, par exemple, ou encore Aube dans les Illuminations …
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Excellents choix !
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Merci 🙂
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J’aime beaucoup Rimbaud, que j’ai lu et relu.
J’aime particulièrement ce quatrain :
« L’étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,
L’infini roulé blanc de ta nuque à tes reins
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et l’Homme saigné noir à ton flanc souverain. »
Merci pour cet article
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C’est aussi l’un de mes poèmes préférés. Merci de l’avoir cité !
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Merci pour Sensation: « par les soirs bleus d’été …. », j’ai la sensation d’y être…perfection oui!.J’adore aussi ses petits poèmes aux vers libres, « Aube » très élaboré et très symbolique pour moi (jouissance de l’imaginaire).
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Merci pour ce commentaire. Oui, tout est bon dans Rimbaud !
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Bonjour Gabriel, Pourriez-vous un jour nous offrir un article concernant l’influence comparée de Rimbaud et Verlaine sur la poésie contemporaine ? PS Je commence moi-même une note sur le dernier livre De Jean-Michel Maulpoix, « le jour venu ». Amitiés; France BR
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Excellente idée, je m’en occuperai dès que j’aurai davantage de temps car c’est une très vaste question, et il faudrait y ajouter Baudelaire et Mallarmé pour être complet.
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son nom restera attaché à Verlaine
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