C’est un fait : les ventes de poésie sont dérisoires à côté de celles du roman. Et il n’est pas rare de rencontrer des personnes qui, bien que plutôt cultivées par ailleurs, seraient bien en peine de nommer ne fût-ce qu’un seul poète vivant. Est-ce à dire que la poésie contemporaine serait trop élitiste ? C’est en tout cas le ressenti de plusieurs lecteurs de ce blog, qui m’ont témoigné de leur difficulté à réellement apprécier certains poèmes. Plutôt que de me contenter de répondre de façon personnelle, j’ai posé la question sur les réseaux sociaux, à de nombreux spécialistes et passionnés de poésie. Voici ce qu’il ressort de tout cela.
Je voudrais commencer par remercier les très nombreuses personnes qui ont bien voulu répondre à cette question. J’étais loin de penser que ce billet susciterait plus de 200 commentaires, et un véritable débat, passionnant et passionné. Je voudrais proposer ici une tentative de synthèse de tout ce qui s’est dit. Vaste entreprise !
Une création diverse et foisonnante
Bien entendu, la plupart de mes interlocuteurs ont d’abord rappelé la difficulté qu’il y a à répondre à cette question, étant donné le caractère diversifié et foisonnant de la création contemporaine. Pour Patrick Quillier, poète et professeur de littérature comparée à l’Université de Nice, cela « dépend beaucoup des courants et des poètes ». De même, Patrick Joquel, poète et enseignant, affirme que cela « dépend des poètes surtout ».
Jean-Yves Masson, poète, éditeur et professeur de littérature comparée à la Sorbonne, s’interroge : « Est-il encore possible de parler de « la » poésie contemporaine ? Elle est tellement diverse, éclatée, chaotique en un certain sens, qu’aucun jugement d’ensemble ne me semble possible. » Jean-Claude Pinson, poète et philosophe, indique ainsi qu’il y a, « aujourd’hui (comme hier, plus qu’hier ?), des poètes plus ou moins faciles d’accès. […] D’autres auteurs requièrent une lecture plus patiente, moins immédiate, si l’on veut accéder à ce qui en fait la saveur ».
Patrick Quillier insiste sur la diversité du paysage éditorial de la poésie, où, à côté de quelques grosses maisons d’éditions comme Gallimard et B. Doucey (on pourrait citer aussi Flammarion), l’essentiel du travail est fait par des éditeurs modestes, voire des éditeurs artisanaux. Il cite Unes, Federop, La Crypte, Arfuyen ; on pourrait mentionner aussi L’Amourier, L’Arrière-Pays, Fata Morgana… Il faut, je crois, rappeler aussi combien la poésie se plaît à s’imprimer dans des livres d’art, parfois tirés à quelques exemplaires seulement, qui relèvent du travail de quelques artisans passionnés, bien loin des gros tirages de l’impression industrielle.
Il faut tenir compte aussi, ajoute Patrick Quillier, « des auteurs publiés essentiellement dans des revues en ligne ou sur papier, d’autres publiés à compte d’auteur, des pratiquants du hip hop, du slam, de la poésie numérique, de la poésie dite de « performance », et ainsi de suite ». Ces diverses pratiques n’ont pas la même visibilité que les best-sellers des vitrines de librairie, lesquels ne sont jamais des livres de poésie. Autant dire que la poésie contemporaine vit largement en dehors des radars des médias, et qu’il faut donc le vouloir pour la rencontrer, ce qui ne facilite pas sa diffusion et favorise au contraire le sentiment d’élitisme.
Cette grande diversité des pratiques implique qu’il est des poètes plus populaires que d’autres, de plus lisibles que d’autres, de plus traditionnels que d’autres. Certains témoignent d’une volonté radicale de rupture avec un ensemble de conventions qui, pour être peut-être devenues trop banales, constituent néanmoins des repères sans lesquels le lecteur peut se sentir désorienté, et, dès lors, exclu.
Une poésie pas si élitiste ?
Certains commentateurs estiment que la poésie contemporaine n’est pas particulièrement élitiste. Pas plus, en tout cas, qu’une autre forme d’art. « Non, elle n’est pas élitiste. Il faut juste s’autoriser à la lire ou l’écouter. Ne pas la craindre. Il faut peut-être du temps, y revenir. » L’écrivain René Koehl affirme : « Je ne pense pas. Ceux qui aiment la poésie se fient à ce qu’il ressentent en lisant le texte. » Citons encore un autre commentaire : « Pas plus qu’autrefois. Elle manque cruellement de médiateurs, c’est tout. » Un autre commentaire cite Saint-John Perse : « Vous m’appeliez l’Obscur et j’habitais l’éclat ».
Pour André Chenet, il n’y a rien d’anormal à ce que la poésie contemporaine soit méconnue: « La poésie contemporaine ne dure que peu de temps et les siècles ne sont que poussière […]. Nos modernes produisent à un rythme effréné comme si les poèmes poussaient comme pissenlit au printemps. En fin de compte, il ne reste que très peu. » En somme, l’univers contemporain ne paraît immense et méconnu que parce que le temps n’a pas encore fait son œuvre de tri. Le grand public saura apprécier, en temps voulu, les quelques rares poèmes qui émergeront, une fois que seront tombés dans l’oubli tous les autres.
Jean-Claude Pinson tient « que tout esprit de bonne volonté est capable, dès lors qu’on lui en donne les moyens, d’accéder aux choses apparemment les plus difficiles ». Autrement dit, la difficulté durerait qu’un temps, mais on en vient à bout. Un certain effort serait ainsi nécessaire, mais finalement récompensé.
Il me semble également que la poésie n’est pas aussi incroyablement difficile que ce que supposent ceux qui la connaissent peu. Mais il me semble tout aussi impossible de ne pas tenir compte des personnes qui disent avoir du mal à apprécier la poésie contemporaine, impossible de balayer d’un geste leurs difficultés et leurs ressentis. Si certaines personnes ressentent la poésie comme élitiste, c’est bien qu’elle doit l’être, malgré tout, ne serait-ce qu’un peu.
Un genre intimidant ?
Il est possible également que le grand public se fasse des représentations de la poésie qui ne l’encouragent pas à la découvrir. De la même façon que certaines personnes peu habituées peuvent se sentir intimidées par l’ambiance silencieuse et feutrée des musées ou des bibliothèques, au point parfois d’hésiter à en franchir le seuil, certains lecteurs peuvent se sentir mal à l’aise à l’égard d’ouvrages qu’ils ne sont guère habitués à parcourir, estimant ainsi, peut-être un peu trop vite, que ces livres-là ne sont pas pour eux.
C’est ainsi que Jean-Yves Masson affirme : « La poésie fait peur, elle intimide, c’est vrai à des niveaux très variés et même dans la presse. Ce n’est pas la faute des poètes, en général, c’est plutôt que les ponts ont été coupés et que les reconstruire est une tâche qui décourage les bonnes volontés. »
Sans doute la poésie n’a-t-elle jamais été un genre particulièrement populaire. Il est probable qu’elle ait toujours été davantage présente dans les cours princières que dans les cours de ferme, dans les ambassades que dans les bureaux de poste, dans les salons littéraires que dans les bistrots de quartier. Cela ne signifie pas que les masses populaires vivent sans poésie, il s’en faut de beaucoup, mais elles s’abreuvent à d’autres sources que la poésie savante : à divers égards, on peut dire que la chanson, le sermon du curé, le slogan publicitaire, par exemple, ont quelque chose à voir avec la poésie, et peuvent, parfois, en tenir lieu.
Des pratiques particulières en cause ?
Est-il possible cependant, puisque la question portait précisément sur la poésie contemporaine, que cette dernière creuse davantage le fossé avec le grand public ? Davantage, je veux dire, que des pratiques antérieures de poésie ? En d’autres termes, peut-on identifier certains traits spécifiques de la poésie contemporaine, qui tout en la distinguant des formes plus anciennes de poésie, expliqueraient aussi un sentiment d’élitisme accru de la part du grand public ? Y a-t-il en somme, un spécificité propre à notre époque qui expliquerait ce sentiment d’élitisme ?
Certaines des réponses que j’ai reçues vont dans ce sens. Ainsi, l’un des commentaires évoque une excessive dimension méta-poétique : autrement dit, la poésie contemporaine aurait la tentation un peu trop nombriliste d’évoquer des problèmes qui n’intéressent que les poètes eux-mêmes. « Trop de poèmes actuels parlent du poète en train d’écrire son poème. » Il me semble que cette critique n’est pas sans fondement aucun, dans la mesure où, en effet, la réflexion sur la poésie et sur le langage dans son ensemble est devenue un thème majeur. Cependant, il faut rappeler que, depuis les années quatre-vingts, on assiste à une renaissance du lyrisme par laquelle la poésie retrouve des questions essentielles peut-être un peu trop laissées de côté auparavant.
Parmi les nombreuses réponses que j’ai reçues, certaines portent des jugements assez sévères sur les poètes contemporains. La poésie, peut-on lire, « s’est fourvoyée dans bien trop d’impasses, mallarméennes, linguististiques, poésie prétendûment orale — charabia régressif –, objectale, américano-littérale, mystico-heideggérienne, lyrique sur le retour, etc. » Les poètes contemporains sont aussi accusés de manquer d’inspiration et de proposer des poèmes trop fades : « Je dirais que globalement c’est mal écrit, mal pensé, sans enjeu, sans intention, sans rythme, sans force, sans passion et narcissique. Avec des exceptions. » Un autre commentateur juge la poésie élitiste « dans le sens qu’elle se referme trop sur elle-même » ; « elle n’est qu’une « recherche » trop intellectuelle ». Contradictoirement, d’autres la jugent « trop futile, très ludique et simplissime de langage ». Ces commentaires ne sont pas sans intérêt, dans la mesure où ils montrent bien que, en sus des difficultés propres à toute poésie, certaines pratiques contemporaines sont pointées comme la cause de la désaffection du public.
En outre, si la poésie contemporaine est peut-être plus difficile d’accès que celle des siècles antérieurs (encore que cela ne soit pas absolument certain), ce serait aussi en raison d’une évolution historique qui place l’artiste en rupture avec le monde et la société. Pour Laurent Fassin, « si la période classique pouvait ainsi inscrire la démarche créatrice dans un ordre reconnu et réputé stable, a contrario le monde contemporain place le poète (au sens grec, celui qui crée) ou l’artiste en situation de rupture avec cet ordre ». En somme, la modernité, en ayant brisé bien des certitudes rassurantes, induirait une difficulté supplémentaire. De fait, le critique Hugo Friedrich a bien montré que la modernité s’accompagnait d’une certaine inquiétude, d’un sentiment de dissonance, là où régnaient auparavant l’ordre et l’harmonie.
Des facteurs externes
Au-delà de ces facteurs internes, portant sur les poèmes eux-mêmes, on peut mettre en évidence tout un ensemble de facteurs « externes », qui dépendent autrement dit moins de la volonté des poètes que de la situation actuelle de la société. Je voudrais commencer par en dresser une liste :
- Les livres sont trop chers, en particulier pour des élèves. C’est en effet, il me semble, un facteur important à prendre en compte.
- On est rarement bien informé. Or, pour découvrir des poètes, encore faut-il savoir qu’ils existent. Cela pose la question essentielle des relais, des passeurs de culture, et en particulier du rôle de l’éducation. J’y reviendrai.
- La société actuelle est trop consumériste, trop occupée à des préoccupations matérielles, trop guidée par l’argent. C’est ce que l’on ressent à travers cette remarque d’Olivier Barbarant, poète, critique, professeur et inspecteur général de l’Éducation Nationale : « Trop peu soutenue, trop peu mise en avant, la poésie contemporaine (les poésies, plutôt) survit (ou survivent) par le travail de quelques poignées de passionnés (éditeurs, écrivains, lecteurs) sans aucun impact économique et donc sans réalité ni exposition dans le monde colonisé par la seule valeur marchande. »
Jean-Claude Pinson juge également la société de consommation peu propice à la reconnaissance de la poésie : « La difficulté est aujourd’hui accrue de ce que l’art et la littérature (et pas seulement la poésie) sont bousculés par la culture de masse et que l’attente du lectorat (ou de l » »auditoriat », en ce qui concerne la musique) est formatée par cette culture (cette « industrie culturelle », comme disait Adorno). Il s’ensuit, sous l’angle de la réception, que pour le « grand public » la poésie contemporaine existe à peine – et existe encore moins la musique contemporaine (celle de tradition écrite). »
Un manque de relais ?
Nombreux aussi sont ceux qui témoignent d’un manque de relais à même d’assurer la transmission de la poésie contemporaine vers le plus large public. Le rôle des passeurs de poésie est ainsi maintes fois souligné : pour découvrir la poésie contemporaine, encore faut-il savoir qu’elle existe. Aussi faut-il y être introduit.
Il serait faux de dire que rien n’est fait en ce sens. On peut parler, par exemple, des nombreuses manifestations qui ont lieu chaque année, un peu partout en France, dans le cadre du Printemps des Poètes. Je me souviens avoir été marqué par le propos d’une spectatrice adressé à un poète, à l’issue d’une représentation poétique : « Vous m’avez réconciliée avec la poésie ». J’ai donc la conviction que de telles manifestations peuvent beaucoup. Il est important que les poètes aillent à la rencontre du public, et ils le font ! De façon générale, les lectures, les conférences, les manifestations, les spectacles ne manquent pas.
Outre le Printemps des Poètes, qui est une manifestation nationale de grande ampleur, de nombreux festivals, rencontres, lectures ont lieu un peu partout sur le territoire. Citons Patrick Quillier : « Je note d’ailleurs le grand nombre de « rencontres » ou de « petits festivals » qui se réalisent un peu partout: le Marché de la Poésie de Saint-Sulpice et le festival Voix vives de Sète, qui ont le mérite d’exister, notamment en ce que tous deux accueillent la diversité poétique, sinon dans sa totalité, du moins dans un grand empan, ne doivent pas être les arbres cachant la forêt: « Festival de poésie sauvage de La Salvetat-sur-Agout » (34), rencontres sous les arbres du Chambon-sur-Lignon, « rencontres de paroles d’Aiglun » (06), rencontres occitanes de La Guépie etc etc. J’ajoute que des lieux comme la Cave poésie de Toulouse, ainsi que la Maison la Poésie Rhône-Alpes, et bien d’autres maisons de la poésie entretiennent patiemment et tout au long de l’année le feu sacré de la poésie, et drainent un public non négligeable. » Mais on peut se demander si ne s’y rendent pas surtout des personnes déjà acquises à la poésie…
Le rôle de l’école
En particulier, le rôle de l’école paraît essentiel, et ce, depuis les plus petites classes jusqu’aux bancs de l’Université. Il importe que les enfants soient accoutumés à découvrir, lire, mais aussi écrire des poèmes. Faire écrire de la poésie à des enfants n’est d’ailleurs pas si insurmontable qu’il peut paraître, et cela donne parfois des résultats étonnants. Il me semble d’ailleurs que passer du côté de la production, au lieu de rester uniquement du côté de la réception, est un bon moyen de s’affranchir de certaines appréhensions vis-à-vis de ce genre intimidant.
Aussi faut-il rappeler que la poésie à l’école peut donner lieu à des activités très variées, qui vont bien au-delà de la récitation par cœur (laquelle est indispensable mais insuffisante) et des exercices codifiés que sont commentaires et dissertations. J’en propose d’ailleurs quelques uns sur ce blog. Il importe aussi, quel que soit le niveau d’enseignement, de disposer d’un corpus varié de poèmes, susceptible de donner une petite idée de la diversité des pratiques, des formes, des tendances, adapté bien sûr à chaque tranche d’âge.
Il faudrait également que soit mieux prise en compte la poésie étrangère, notamment francophone, mais pas seulement. Pour Jean-Yves Masson, « tant de débats sur la poésie en France ne considèrent que la poésie française en ignorant à la fois la francophonie et les poètes des autres langues, et leurs traducteurs. Il y a tout une école de poésie en France qui n’aura connu de la poésie étrangère qu’Oppen et Zukofski pris pour combles de la modernité la plus actuelle, à la rigueur un peu Pound et rien d’autre. »
Faire aimer la poésie suppose aussi, sans doute, de se départir d’un certain académisme. Un commentaire d’une prof de français rappelle qu’il est rare de trouver de la poésie aux épreuves du Brevet des collèges. France Burghelle Rey affirme que la poésie contemporaine n’est pas assez connue des enseignants eux-mêmes, malgré un certain « effort au niveau des sujets du bac ». Il faut oser proposer des auteurs récents ou méconnus, sortir des sentiers battus, sans croire que cela serait trop difficile. Cela n’a rien d’évident dans la mesure où même des choix éclectiques peuvent être perçus, pour un adolescent ou un étudiant, comme une forme, malgré tout, d’autorité, comme une lecture obligatoire aussi ennuyeuse qu’une autre… J’ai donc l’impression que l’adhésion de l’élève ou de l’étudiant tient moins au contenu proposé en lui-même, qu’à la façon de le faire passer, la passion de la littérature étant sans doute bien plus contagieuse qu’on ne l’imagine.
Il serait faux de croire que l’école et l’université ne font rien pour la poésie contemporaine. Patrick Quillier et Jean-Yves Masson, tous deux professeurs de littérature comparée à l’Université, ont ainsi rappelé que la poésie la plus récente est bel est bien au programme des études supérieures de lettres. Moi même, quand j’enseignais à la fac, n’ai rencontré aucune difficulté à proposer des ouvrages postérieurs à 1990. Et avec mes élèves de primaire, je ne rate pas une occasion de participer au Printemps des Poètes. Quel que soit le niveau d’enseignement considéré, il me semble cependant que l’école ne peut pas tout et qu’elle fait avec les moyens qu’elle a…
Élitiste, et alors ?
Enfin, parmi les nombreuses prises de position que j’ai reçues, il en est qui assument, et même revendiquent, un certain élitisme. Faut-il vraiment que toute difficulté soit abolie ? Pour Jean-Claude Pinson, il faut, pour se rendre sensible à la poésie, comme sans doute d’ailleurs à d’autres formes d’art, une certaine « capacité d’écoute et d’attention qui n’est jamais innée ». En ce sens, « le reproche d’élitisme dessine en creux une tentation démagogique » : on ne peut pas, sans cesse, supprimer toute difficulté et niveler par le bas. Il est nécessaire que perdurent des formes exigeantes d’art. On en revient, alors, à la nécessité d’une transmission efficace, c’est-à-dire capable de rendre accessibles des œuvres qui ne le sont pas d’un premier abord.
L’important réside peut-être dans le maintien de la communication entre les différentes sortes de création. Pour Florie Adda, « que ce soit pour la poésie ou la littérature ou culture de manière générale, ce qui me semble important c’est que puissent cohabiter création exigeante et création plus démocratique. Depuis toujours la culture dite élitiste puise dans dans la culture populaire et la culture populaire moque et s’approprie la culture dite élitiste. Cette circulation est ce qui manque aujourd’hui. On a besoin qu’une création pointue et qui ne s’adresse pas à tout le monde puisse perdurer, car elle nourrit toute la société. Et on a besoin d’une création populaire qui la revisite, la malmène, ça a toujours été le jeu. Malheureusement j’ai le sentiment qu’aujourd’hui ça ne passe plus, les courants s’opposent au lieu de se compléter, et chacun préfère rester chez soi. »
« La poésie populaire est élitiste ! »
En somme, l’existence d’une poésie élitiste et de formes d’art plus populaires ne serait pas un problème si celles-ci se parlaient davantage, au lieu de constituer des mondes qui s’ignorent. De fait, la poésie dite « populaire » n’est pas forcément mieux connue que les formes plus savantes de poésie.
Comme le précise le poète Serge Pey, « la poésie populaire est une poésie savante et très complexe. Vous n’avez qu’à venir en Sardaigne écouter les joutes poétiques faites par les bergers et les ouvriers maçons, ou encore au pays basque… C’est d’une complexité fascinante…Cela serait trop long à développer ici. Mais attention à ne pas tout confondre. La poésie populaire est une poésie absolument élitiste ! »
Patrick Quillier ajoute à ce propos : « Qu’on aille lire les poèmes recueillis par Jerome Rothenberg dans ses « techniciens du sacré », magnifiquement traduits et annotés par Yves Di Manno, et l’on comprendra sans peine que la poésie des peuples est parfois « élitiste » en ce sens-là, je veux dire d’une complexité exigeant une initiation, d’ailleurs souvent parfaitement ritualisée dans les traditions existantes. »
Il convient en somme de se garder d’une réflexion binaire qui se contenterait d’opposer l’élitisme et le populaire, en attribuant tous les mérites à l’un et en affublant l’autre de tous les vices, quelle que soit la position envisagée. Pour Patrick Quillier, « dès lors que vous faites la constatation d’une diversité de la vie du poème, dans toutes les strates de la société, il est bien logique de ne pas tomber dans un tel binarisme et, puisque nous avons dit qu’il faut appliquer votre question à tous les courants poétiques existants, il semble que dans certains cas on puisse en effet reprocher à certains poètes ou groupes de poètes d’être « élitistes », formant une caste consciente de ses privilèges, mais que dans d’autres la poésie soit de plein pied avec des aspirations ordinaires et populaires. »
Maintenir le dialogue
Aussi sans doute faudrait-il conclure sur cette nécessité de la circulation et de la communication entre les différentes formes de poésie et de littérature. À côté des formes savantes de poésie, il ne faut pas oublier toutes les pratiques populaires, le rap et le slam notamment, mais aussi tout ce qui s’écrit sur Internet, toutes les pratiques amateures qui, même si elles ne correspondent pas aux tendances modernes, contribuent aussi à leur manière à faire vivre la poésie. Il ne s’agit pas pour autant de prétendre que tout se vaudrait, que toute expression artistique serait digne du même intérêt. Il ne s’agit pas de placer sur le même plan les plus grands écrivains et les poètes du dimanche. Je ne pense pas que les hiérarchies soient inutiles. Mais il ne faut pas qu’elles s’accompagnent de mépris, dans un sens comme dans l’autre (mépris des élites pour ce qui est « populaire », mépris des artistes populaires pour les formes d’art plus académiques ou officielles). Il ne faut pas qu’elles empêchent les différentes formes d’art, savantes ou populaires, de se parler.
« Je serai la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche » dit Aimé Césaire dans son Cahier d’un retour au pays natal. Par cette phrase (citée de mémoire), le grand poète martiniquais nous rappelle l’une des fonctions essentielles de la poésie, qui serait peut-être à même de réconcilier le grand public avec la poésie. Depuis les origines, le poème n’est pas seulement la voix d’une individualité singulière, mais bien celle d’un groupe, clan ou tribu. La poésie soude le groupe autour d’un même chant. Le poète, aède ou griot, ne parle pas seulement de lui-même, il parle aussi et surtout au nom du groupe. Cette dimension épique de la poésie est chère à Patrick Quillier, responsable d’un programme d’agrégation sur les « permanences de la poésie épique au XXe siècle », et auteur des Voix éclatées, épopée de la Première Guerre mondiale. Elle nous rappelle que la poésie n’est pas faite pour un aréopage de spécialistes, mais qu’elle s’adresse à tous et à chacun. Cette parole collective est sans doute d’autant plus nécessaire que nous vivons à bien des égards dans une époque de « crise ». La fonction épique me semble d’autant plus intéressante qu’elle permet d’introduire du tiers au sein des binarités telles que lyrique/antilyrique, formaliste/sentimental, élitiste/populaire… Ce serait là, ainsi, une façon de maintenir le dialogue, non seulement entre les différentes formes d’art, qui ont toutes droit de cité, mais aussi entre les différentes composantes de la société, qui ont toutes à gagner à s’intéresser à la poésie…
*
Impossible, bien entendu, de restituer dans ses moindres détails le passionnant débat qui s’est tenu sur les réseaux sociaux à la suite de la question que j’ai posée. J’étais loin de m’attendre à recevoir plus de deux cents messages, et je voudrais encore remercier tous ceux qui ont participé. Cela montre l’intérêt que suscite cette question. Il serait intéressant que le débat se poursuive dans l’espace des commentaires : et vous, pensez-vous que la poésie, contemporaine en particulier, soit trop élitiste ? N’hésitez pas à proposer vos réactions !
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Image d’en-tête : The John Rylands Library (Pixabay).
Je viens un peu après la bataille, mais il me semble qu' »élitisme » n’est pas le bon mot : car de quelle élite parle-t-on ? En revanche, la poésie contemporaine s’adresse sans doute à des initiés. Il me semble que c’est en partie lié à quelque chose d’élémentaire, sa condition de pauvreté : quelques mots, disposés sur une page blanche. Cela n’est pas très impressionnant, à priori. Pas très blockbuster. Pas facile de tourner les esprits, avec ça. On pourrait dire « le roman aussi, ce sont des mots sur une page blanche ». Mais le roman dispose de deux cents voire cinq cents pages pour construire un monde : et à l’intérieur, des dragons peuvent rugir, des princesses mourir, des révolutions avoir lieu. Le poème, lui, n’a souvent que quelques lignes. (En cela, il me semble qu’on ne peut pas dire que la chanson est la nouvelle poésie, car elle s’aide pour divertir du support incroyablement efficace de la musique (qui porte souvent la culotte, dans leur couple)). Comment peut-on intéresser quelqu’un avec quelques lignes ? C’est la question fondamentale de la poésie. Une des réponses possibles se nomme « l’avant-garde », c’est-à-dire une posture radicale qui prétend : « moi je fais tout, je peux tout faire, avec quelques lignes ». Par exemple : « Je fais la révolution, dans un blanc entre deux lignes » (c’est un peu la lecture que fait Kristeva de Mallarmé). Lorsqu’elle n’est pas radicale, c’est-à-dire qu’elle ne promet pas grand-chose, ou qu’elle s’est rendue compte qu’elle n’obtiendrait jamais les grands lendemains qu’elle avait promis, la poésie devient nécessairement un peu fade : « oui dit-elle, je ne suis pas grand-chose, à peine quelques mots ». La poésie n’est pas élitiste. C’est plutôt qu’elle oscille comme un pendule de droite à gauche entre la radicalité et la fadeur. Ni l’une ni l’autre (la radicalité et la fadeur) ne peut être gage, on le comprend bien, de popularité. Car le plaisir qui peut être pris (à ces constructions de quelques mots, qui ne peuvent pas grand chose) est dès lors forcément un peu subtil, et réclame habituation. Mais la distinction n’est qu’une condition extérieure de l’habitus que réclame cette habituation à distinguer son plaisir dans quelques articulations peu impressionnantes de mots qui ne font pas la révolution.
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Il me semble que la poésie « doit raconter », EST une histoire… même difficile symbolique, métaphorique (fiction) et capter alors l’Imaginaire…
et non vouloir exister que par quelques mots bien choisis…
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Une question qui m’apparaît à la lecture de cet intéressant billet et qui peut être l’un des prolongements de cette réflexion : masculine la littérature contemporaine ? (je crois n’avoir relevé qu’une femme dans les personnes que vous citez et la réaction d’ « une spectatrice ») 🙂
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Les femmes sont bien présentes dans le champ contemporain : voyez mon article sur la poésie au féminin.
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Un peu tard, mais… je viens de voir la question sur Facebook et d’y répondre (je me connecte rarement)… j’ai hésité à rédiger un commentaire, puis je me suis décidé à écrire ceci :
Bonjour, Je ne sais si je peux ajouter quelque chose à tout ce qui a été dit, et je suis d’accord avec le propos de Jean-Yves Masson. J’espère faire partie moi aussi des rares mammouths qui offrent encore un peu de poésie contemporaine dans la maison éducation nationale … Je voudrais revenir sur la question posée de l’élitisme de la poésie contemporaine. Excellente question et point névralgique, je dirais… Venant d’un milieu où on ne lisait pas beaucoup pour ne pas dire pas du tout – j’ai été happé par la littérature et j’ai choisi la poésie contemporaine comme domaine de recherche. Il faut dire que j’ai fait une rencontre déterminante dans ma vie, et j’ai eu beaucoup de chance en cela, celle de Christine Van Rogger Andreucci qui m’a donné les clés du domaine Poésie et à qui je dois tout. Cela me permet de rappeler à quel point Christine manque aujourd’hui toujours autant. Femme extraordinaire en tout. Et d’une humanité sans pareille… Mais je reviens à la question de l’élitisme. Nous avons l’habitude, nous, lecteurs réguliers de poésie contemporaine de penser que cette poésie est accessible à tout un chacun. Il n’en est rien et c’est dommage car les amateurs en puissance sont légion, ils attendent seulement qu’on leur donne quelques clés pour pouvoir entrer eux aussi au domaine… dès qu’ils les ont, c’est un vrai bonheur si j’en juge par les retours que j’ai eus de la part de certains étudiants. Mais pas que. J’ai aussi animé un atelier d’écriture poétique à l’université du temps libre. Je l’ai fait pendant 3 ans auprès de personnes qui venaient là par curiosité et qui se demandaient bien qui pouvait avoir écrit des poèmes après Paul Valéry ou René Char et ce que ça pouvait donner… Nous avons commencé à 6 personnes dans le groupe. Au bout de 3 mois nous étions 22. C’était en 2013. L’atelier a duré jusqu’en 2016. Je vois toujours une bonne moitié de ces 22 personnes et nous parlons poésie. Leur culture en poésie contemporaine, comparée à celle de nos étudiants, ferait pâlir d’envie, je pense, beaucoup de professeurs d’université. Car une fois les clés dans leurs poches, ces personnes sont allées seules dans les librairies et les bibliothèques et le cipM que nous avons ici à Marseille pour enrichir leur connaissance… Voilà, c’était juste un petit témoignage, rien de plus. La poésie contemporaine restera avec cette idée d’élitisme qu’indéniablement elle porte comme un fardeau tant que nous, passeurs de poésie, ne descendrons pas régulièrement dans l’arène et ne montrerons pas le chemin… il est vrai qu’il existe des institutions qui aiment cet élitisme parce qu’elles pensent que ça les classe haut… mais haut par rapport à quoi ?… Relire Montaigne peut apporter une réponse : « Et au plus élevé trône du monde, si ne sommes assis que sus notre cul. » écrit-il à la fin de cet admirable essai « De l’expérience » qui commence ainsi : « Il n’est désir plus naturel que le désir de connaissance. »
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Merci beaucoup pour ce beau témoignage.
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Je vous approuve et vous rejoins – et d’abord pour ce bel hommage que vous rendez à Christine Van Rogger Andreucci, bien que que je n’aie fait, de mon côté, que la croiser.
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Régis Lefort, vous dites exactement ce que je pense et vous le dites mieux que moi. Merci!
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Bonsoir, tout ce qui est écrit dans ce long article de Gabriel Grossi et dans les commentaires, je le partage.
Ce qui me semble le plus difficile à porter, c’est le manque d’écoute de ceux qui ont une oreille et une Voix sur Internet. Voilà, je publie pour « rien » chez l’Harmattan mes textes personnels et je le ferai encore car écrire est devenu mon désir et ma survie !
De nombreux textes écrits en atelier d’écriture sont publiés sur le Site « A la littérature » de Pierre Campion; mais il est important d’écrire et de publier ses textes (« Femmes Voix de libertés d’Ici et Ailleurs »; « Etres de Solitude. Poésies ») il s’agit de notre Imaginaire et notre vision du Monde, tant enrichis de nos chers grands poètes que vous citez, qui travaillent nos poèmes…depuis l’enfance (disons l’adolescence)!
Je regrette ma solitude trop grande.
Bel Eté à vous! Vues de nos ciels divins, comète brillante encore et arc de lune naissant, ciels de feux sur ma Rivière. Françoise Sérandour.
(« Et la lumière sera ». Impressions confinées, vues de ma Rivière jusqu’à la mer), bientôt)!
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Passionnant article, argumenté et ouvert, merci.
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Bravo pour cet article !
J’aimerais apporter ma modeste contribution au sujet de la diffusion de la poésie auprès des scolaires et des jeunes en général.
La poésie peut paraître « élitiste » aux jeunes, mais c’est la manière dont on l’amène qui peut changer la donne : à travers des rencontres et des ateliers avec les poètes, à travers des Prix dont les Jurys sont des élèves. Je m’attarderai sur ce dernier point. Il existe de nombreux Prix dont les jurys sont des lycéens : Prix des Découvreurs (créé par Georges Guillain : http://lesdecouvreurs2.blogspot.com/), Prix Trouvères des Lycéens (proposé par les éditions Henry, créé par Jean Le Boel), Prix Copo des Lycéens… ; des collégiens avec le Prix PoésYvelines et le Prix Saint Quentin-en-Yvelines des Collégiens lecteurs de poésie (initié par Jacques Fournier)… ; des primaires avec le Prix Lire et faire Lire du Printemps des Poètes, le Prix Jean-Claude Touzeil (proposé par les Trouées poétiques et créé par Lydia Padellec http://lestroueespoetiques.blogspot.com/). Cette liste est bien sûre non exhaustive. Le principe est simple : on propose un corpus de recueils de poètes contemporains (vivants) aux classes et les élèves choisissent leur préféré. Des rencontres avec les poètes en lice peuvent être organisées. Les élèves sont confrontés directement au texte poétique et je tiens à mentionner le travail exceptionnel des professeurs, souvent passionnés, qui s’impliquent à leur faire découvrir la poésie contemporaine ! Un travail d’écriture, de lectures à voix hautes, de mises en scène et en voix, un travail plastique ou autre peuvent être faits à partir des poèmes. Ce ne sont pas toujours les recueils les plus « faciles », les plus « accessibles » qui deviennent lauréats.
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Merci pour ce très beau témoignage !
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Dommage que ce concept de « poésie contemporaine » soit aussi flou que celui d’art contemporain… Voilà des décennies que l’on trimbale cet adjectif dont le sens ne cesse de varier selon les époques – et quoi de plus normal ?
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Absolument passionnant. Je rejoins toutes les analyses.
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Bonjour à vous et merci pour votre passionnant travail sur une question rendue aujourd’hui essentielle. Tout ou presque me semble avoir été abordé par vous et bien sûr c’est à chaque sensibilité particulière de poursuive dans sa propre voie (voix). Personnellement comme j’ai pu l’écrire dans mon propre blog je remercie les poètes prétendument illisibles (voir http://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2018/06/dites-merci-aux-poetes-pretendument.html?m=1) et je recommande vivement un livre de Marielle Macé qui permet le semble t’il de voir plus loin : http://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2016/11/de-notre-pouvoir-dassecher-ou-de.html?m=1
Merci encore à vous.
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Merci beaucoup !
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Bonne synthèse (bravo,ce n’était pas facile !)
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Merci beaucoup !
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L’élitisme pourrait venir de la poésie contemporaine elle-même, qui dénigre très majoritairement (dans tout un tas de revues/festivals/concours) les formes patrimoniales et traditionnelles de la poésie : les vers réguliers et les rimes.
On retrouve ce décrochage patrimonial dans d’autres arts contemporains (peinture avec l’abstrait vs figuratif ; bien d’autres avec le conceptuel…), ce n’est pas une exception. Actuellement, c’est d’autant plus prégnant que les événements/éditeurs sont prestigieux, mais ça diffuse beaucoup en local.
Sans faire de démagogie, il faut reconnaître que la légitimité s’acquiert AUSSI quand on s’inscrit dans un patrimoine et une lignée : c’est ce qu’on constate dans les pays où la poésie est roi connue et populaire (1million de $ pour lea vainqueur-e d’un concours télévisé de poésie perse en Iran…).
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Merci beaucoup d’avoir « reblogué » cet article !
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Oui, elle est illisible.
Rendez-nous des Baudelaire, Hugo, Vigny, Musset, Verlaine, Rimbaud, Apollinaire, Aragon…
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Bon jour,
Je n’y connais pas grand chose, mais je retiens de cet article assez élitiste : « … les différentes formes de poésie et de littérature. » Je ne savais pas que l’on faisait une différence.
Max-Louis
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Il y a encore des passeurs et j’en fais partie ( avec mes modestes moyens ) par ma revue littéraire en ligne Le Capital des Mots: http://le-capital-des-mots.fr
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Merci pour l’info !
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Très belle analyse sur un sujet délicat. Merci.
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