Comment orthographier les homophones grammaticaux ?

S’il est une erreur fréquemment rencontrée dans les copies, c’est bien celle de la confusion entre des mots différents, tant du point de vue du sens que de celui de l’orthographe, et qui pourtant se prononcent de façon identique : il s’agit des homophones. La difficulté est d’autant plus grande que ces mots sont généralement très fréquents : on et ont, sont et son, à et a, sans oublier la série c’est, s’est, ces, ses, sais, sait. Comment aider les élèves à ne plus faire ces erreurs ? Telle sera ma réflexion d’aujourd’hui.

Pourquoi cette confusion ?

Lorsque les élèves apprennent à lire et à écrire, ils associent les sons qu’ils entendent avec les lettres qu’on leur montre. Ils font progressivement le lien entre l’univers connu de l’oral et le monde nouveau de l’écrit, à travers une série de correspondances. Je pense que cela les conduit à l’idée, inexacte mais sans doute nécessaire dans un premier temps, qu’à un son correspond une lettre ou un groupe de lettres. Or, l’existence même des homophones prouve que la prononciation d’un mot n’est pas toujours une aide suffisante pour être capable de l’orthographier.

Les homophones, sources inévitables de confusions

Pour le dire autrement, si l’on ne s’arme que d’outils grapho-phonétiques, on ne peut résoudre la question des homophones. Savoir qu’un mot se prononce [sé] ne suffit pas à savoir s’il faut l’écrire ces, ses, c’est, s’est ou encore sais ou sait. Les élèves doivent donc prendre conscience de la nécessité de recourir à des outils lexicaux (passer par le sens) et grammaticaux (passer par la syntaxe).

Pour le dire encore autrement, un élève qui écrirait, par exemple, « Sophie ses très bien c’est leçons », manque d’outils lexicaux et grammaticaux pour identifier le verbe savoir et le déterminant « ses ». Il est donc impossible de prétendre enseigner la non-confusion entre les homophones si un travail préalable n’a pas été conduit, pour fournir à l’élève ces outils.

On notera au passage que ces outils grammaticaux ne sont que progressivement enseignés. On ne demande pas à un élève qui découvre tout juste la conjugaison d’être capable de conjuguer un verbe du troisième groupe aussi difficile que savoir, qui présente des changements de radical en plus des variations désinentielles. Aussi faut-il accepter, dans un premier temps, que l’enfant fasse des erreurs, qui seront corrigées par l’enseignant sans que l’élève soit encore capable de les comprendre.

Ne pas opposer les homophones

Selon Nathalie Leblanc et Sophie Ngô-Mai, formatrices à l’ÉSPÉ de Nice, les enseignants ont tendance à opposer les homophones, ce qui reviendrait à mettre l’accent sur la difficulté sans réellement donner les moyens de la résoudre. On demande ainsi souvent aux élèves de choisir entre a et à, par exemple, à partir d’une leçon qui se contente d’énoncer une astuce telle que le remplacement du mot par « avait ».

Le recours à un tel test est utile, mais il n’est efficace que si les élèves savent pourquoi il fonctionne, autrement dit s’ils ont compris la différence entre un verbe et une préposition. Ici, ce n’est pas tant le vocabulaire grammatical (« verbe », « préposition ») qui importe, que la prise de conscience de la différence de fonctionnement de ces deux catégories.

Si l’on n’explicite pas tout cela, il y a des chances que seuls les élèves qui ont naturellement une bonne intuition linguistique ne fassent pas d’erreur, en laissant de côté tous les autres.

Il importe ainsi de relier la forme « a » aux autres personnes de la conjugaison du verbe « avoir », afin que les élèves prennent bien conscience qu’il s’agit de la troisième personne du verbe avoir, un mot qui fait partie d’une conjugaison verbale. J’ai, tu as, il a, nous avons…

De même, il faut que « à » soit associé à d’autres prépositions telles que « de » ou « en ». Je vais à la plage, je reviens de l’école, je grimpe à l’échelle, je descends de l’échelle. Les élèves prennent ainsi conscience que le sens et la fonction de ce mot à, avec accent, n’a aucun rapport avec celui du verbe avoir.

Autrement dit, chacun des homophones doit être remis à sa place, dans la série qui est la sienne. De la même manière, « on » sera rapproché de « je », « tu » et « il », tandis que « ont » sera étudié avec le reste de la conjugaison du verbe avoir.

Comment présenter la leçon ?

J’ai essayé de tenir compte de ces préconisations en rédigeant le texte de la leçon que j’ai préparé cette semaine pour mes CM1, pour lesquels j’ai observé de grands flottements dans l’écriture des mots se prononçant [sé]. Je ne prétends pas que cela soit un modèle du genre, mais je pense que ça peut aider les élèves à bien différencier les différents homophones.

Ma leçon sur les homophones (image personnelle)

On le voit, cette leçon intègre une terminologie plus avancée que ce qui se fait généralement. Celle-ci n’est bien sûr pas à retenir. Je n’exige évidemment pas de mes élèves qu’ils parlent de « présentatif » ou de « tournure réfléchie ». Mais j’ai malgré tout inscrit ces termes, afin de montrer que ces formes ont un nom et qu’elles sont donc différentes des autres. Les élèves devaient eux-mêmes trouver les mots de même prononciation dans les différentes listes.

Je précise au passage, car ce n’est sans doute pas inutile, que l’on écrit bien « Nous nous sommes fait mal » et non « faits », dans la mesure où le pronom réfléchi n’est pas un complément direct. On peut dire : « Ils ont fait mal à eux-mêmes« . Je vous renvoie, pour plus de précisions, à mon article sur les subtilités de l’accord du participe passé. Vous pouvez aussi consulter cet article de l’Office québécois de la langue française.

Quels exercices proposer ?

J’ai essayé d’inventer des exercices qui n’opposent pas les homophones, mais portent plutôt sur le sens de ces mots et sur leur classe grammaticale. J’ai donc banni les exercices du type « Complète avec sais, sait, ces, ses, c’est, s’est« , dans la mesure où ils supposent d’avoir déjà tout compris, ce qui n’en fait pas un bon support d’apprentissage.

Voici, donc, les consignes que j’ai données :

  • Parmi les mots en gras, surligne ceux qui correspondent au verbe savoir.
    → Pour aider les élèves, j’ai conjugué le verbe savoir au présent dans un encadré à droite de l’exercice. Trop facile, du coup ? Oui, mais c’est volontaire, dans le cadre d’un exercice d’apprentissage destiné à tous les élèves et situé en début de séquence, qui seront en outre rassurés de voir qu’ils y arrivent.
  • Utilise le verbe « savoir » pour raconter quelque chose que tu sais bien faire.
    → J’aime faire le lien entre l’orthographe et la production d’écrit. Il s’agit certes ici d’une production minimale, limitée à une seule phrase, mais cela permet aux élèves de se rendre compte que les leçons d’orthographe ont une utilité puisqu’elles permettent de produire des énoncés correct.
  • Transforme les phrases en les encadrant par « C’est… qui » et « Ce sont… qui ».
    → Cet exercice permet aux élèves de manipuler la forme « C’est » à travers une opération de transformation qu’ils connaissent, puisqu’ils l’ont déjà utilisée en grammaire pour repérer le sujet. Je ne manquerai pas, à l’issue de l’exercice, de demander aux élèves quelle est la fonction du groupe situé entre « C’est » ou « Ce sont » et « qui ». On le voit, la forme « c’est » n’est pas ici opposée à d’autres homophones : il s’agit simplement de permettre aux élèves de se familiariser avec cette forme, en espérant qu’ils seront ainsi moins prompt à la confondre avec d’autres.
  • Mets ces groupes nominaux au pluriel ou au singulier selon le cas.
    → Il s’agit d’un exercice d’orthographe traditionnellement utilisé dans le cadre de leçons portant sur les déterminants et le pluriel des noms, mais rarement dans le cadre d’une séquence portant sur les homophones. Pourtant, cela permet de manipuler les formes « ces » et « ses » en se rendant compte qu’elles sont respectivement le pluriel de « ce/cet/cette » et de « son/sa ». Là encore, au lieu d’opposer les homophones, on a travaillé sur leur sens en les reliant à leurs séries d’origine : les déterminants démonstratifs et possessifs.
  • Classe les mots en gras dans deux colonnes : déterminants et verbes.
    → Là, pour le coup, en fin de séance, les homophones sont opposés, mais précisément pour inviter les élèves à les distinguer. Je ne leur demande pas de choisir la bonne orthographe, mais de classer les verbes (sais et sait), d’une part, et les déterminants (ces et ses), d’autre part. Il s’agit donc véritablement d’un travail de grammaire, nécessaire à l’acquisition de la bonne orthographe. Ce travail de classement permet de varier les approches en sollicitant ce que Howard Gardner appelle l’intelligence naturaliste (classer, trier, ranger).

Et ensuite ?

Après ce travail d’entraînement que je mènerai demain matin, je prévois, pour la troisième séance, une dictée négociée, qui me permettra de voir si les enfants sont capables de trouver seuls la bonne orthographe dans un premier temps, puis de voir s’ils parviennent à s’entraider pour orthographier correctement ces homophones.

Pour conclure

Au terme de la séquence, qui se poursuivra encore plus ou moins selon les réussites observées, les élèves devraient parvenir à une représentation mentale plus ordonnée de ces homophones. À la confusion initiale représentée par l’image d’en-tête, devrait donc succéder une compréhension du sens et du rôle de chaque homophone, que l’on pourrait représenter comme suit :

Une représentation mentale plus aboutie des homophones en [sé]

Pour conclure

J’espère que cet article vous aura intéressé. Il me semble que cette question des homophones peut être travaillée et retravaillée dans l’ensemble des années des cycles 3 et 4, du CM1 à la Troisième donc, tant il est vrai que ce point d’orthographe n’est pas toujours acquis à la fin de la scolarité obligatoire.

Si vous avez des remarques, des suggestions ou des questions, n’hésitez pas à utiliser l’espace des commentaires. Je vous invite également à consulter les autres articles consacrés à la langue française et à l’enseignement.

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