La syntaxe en maternelle

L’année 2021 a vu paraître une refonte des programmes de l’école maternelle. On remarque notamment un renforcement des mathématiques, mais aussi l’apparition du terme de « syntaxe ». Cela mérite quelques éclaircissements.

1. Ce que disent les programmes

Les programmes en vigueur parlent d’un « apprentissage conjoint du vocabulaire et de la syntaxe ». C’est dire que les enfants vont associer les axes paradigmatique et syntagmatique : ils vont enrichir leur banque mentale de mots, mais aussi découvrir et mémoriser les structures dans lesquelles ils s’insèrent.

« Acquérir et développer la syntaxe » devient ainsi une compétence à part entière de l’école maternelle. Les programmes développent cette compétence de la façon suivante :

La syntaxe s’acquiert conjointement avec la construction du lexique. L’appropriation progressive des structures syntaxiques se développe dans le cadre de toutes les activités de la classe, par la pratique de la langue orale et par la fréquentation de la langue écrite, mais aussi lors de courtes activités dédiées. Le professeur accompagne la production de phrases simples et courtes, qui vont se complexifier tout au long du cycle. Il emploie des structures de phrase qu’il veille à faire réutiliser en situation par ses élèves (forme négative, phrases de types interrogatif ou impératif, etc.). En prenant appui sur des objets, des jeux, des imagiers, des albums, des situations vécues dans les différents domaines d’enseignement, l’enseignant organise les apprentissages et adapte les objectifs et les attentes en fonction du développement de chaque enfant. De multiples emplois dans des contextes variés sont requis pour assurer la mémorisation et l’utilisation des mots et des structures par chaque élève.

Il en découle une démarche assez précise :

Ces quatre étapes permettent de structurer l’acquisition conjointe du lexique et de la syntaxe. La note ministérielle du 28 mai 2019, intitulée « L’école maternelle, école du langage », insiste ainsi sur cette structuration : « pour assurer la mémorisation et le réemploi du lexique, la simple fréquentation du vocabulaire et des formes syntaxiques en situation ne suffit pas ».

Le ministère parle ainsi en termes de fréquence (les mots et structures doivent revenir souvent), mais aussi en termes de catégorisation. Les mots et structures apparaissent comme reliés les uns aux autres : « Un enseignement structuré revient à ne pas isoler des mots mais à les présenter dans des regroupements sémantiques et logiques qui vont permettre d’en faciliter la représentation ». Et un peu plus loin : « L’appropriation des structures syntaxiques fait l’objet, au même titre que le lexique ci-dessus, d’une attention quotidienne et structurée. Elle se développe dans le cadre de toutes les activités de la classe, par une approche transversale mais fait aussi l’objet de séances spécifiquement dédiées, avec des objectifs définis et précis. »

2. Qu’est-ce que la syntaxe ?

Avant d’aller plus loin, il importe d’avoir une définition claire de la notion de syntaxe. Le Trésor de la langue française informatisé, développé par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRS/Atilf), fait d’abord de la syntaxe une science, une branche de la linguistique, et simultanément l’objet de cette science, à savoir les relations qu’entretiennent les mots dans la phrase.

Pour résumer (clic-droit pour voir l’image agrandie) :

Pour comprendre ce qu’est la syntaxe, il faut revenir à Ferdinand de Saurrure, grammairien français du début du XXe siècle, qui oppose les relations paradigmatiques qui existent entre les mots, et qui permettent de remplacer des mots par d’autres, et les relations syntagmatiques qui déterminent des relations de hiérarchie entre les mots et groupes de mots insérés dans une phrase. On se reportera, pour plus de détails, à la Grammaire méthodique du français, par Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat et René Rioul (Paris, puf, 2009, p. 10-11).

On peut rappeler que le mot syntaxe vient du grec σύνταξις qui signifie « mise en ordre, disposition, assemblage » (Ibid., p. 39). La syntaxe « décrit la façon dont les mots se combinent pour former des groupes de mots et des phrases » (Ibid.).

Comme le montre mon schéma ci-contre, les mots se combinent en syntagmes (groupes), qui eux-mêmes forment des phrases, qui elles-mêmes composent des textes ou des discours.

Faire l’analyse syntaxique d’une phrase, c’est donc déceler l’organisation hiérarchique des différents éléments, en segmentant les parties du discours et les syntagmes, qui s’imbriquent et s’enchaînent les uns dans les autres. C’est aussi voir comment une phrase se peut transformer en une autre par diverses opérations.

3. L’acquisition progressive de la syntaxe chez l’enfant

Selon le Ministère de l’éducation nationale, dans une note d’avril 2016 portant spécifiquement sur le lexique et la syntaxe, les enfants acquièrent prioritairement des noms, jusqu’à l’âge de vingt mois, les verbes ne venant qu’ensuite. C’est lorsque l’enfant a acquis une base suffisante de mots (environ 150) qu’il se met peu à peu à les combiner pour produire des phrases.

Il importe ainsi de veiller à ce que l’école n’apporte pas seulement des noms, mais aussi des mots grammaticaux, des verbes, des adjectifs, des adverbes… La variation en genre et en nombre semble pouvoir être évoquée lorsqu’elle repose sur des différences bien marquées oralement (un animal, des animaux).

3. Découvrir la syntaxe à la maternelle

Le ministère de l’Éducation Nationale propose, à travers son site Éduscol, un ensemble de ressources visant à faciliter la mise en œuvre du nouveau programme (juin 2021). Celles-ci évoquent l’ensemble des domaines liés au langage (« Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions »). Insistons ici sur ce qui concerne proprement la syntaxe.

► Dans les situations informelles

  • L’enseignant pratique un langage correct, faisant des phrases complètes.
  • Il reformule correctement les énoncés incorrects des élèves.
  • Il veille en particulier à faire exister dans la classe la négation bi-tensive en ne…pas.
  • Il veille à faire exister le futur simple de l’indicatif (nous irons, nous ferons…), sans le remplacer systématiquement par le futur proche (nous allons faire).
  • Il pose des questions dont la réponse ne peut se résumer à oui ou non, notamment en posant des interrogations partielles (pourquoi, comment, où, quand, etc.) plutôt que des interrogations totales (Est-ce que).

► Lors des rituels du matin

  • Lors du rituel de la date, faire dire et répéter « Hier, nous étions… », « Aujourd’hui, nous sommes… » et « Demain, nous serons… » (En GS, on peut même inscrire ces mots sur des étiquettes et les faire pointer par un élève responsable.)
  • Utiliser l’émotion du matin pour obtenir des phrases complètes du type « Je suis content parce que… », « Je suis triste parce que… »
  • Lors de l’appel, exiger une phase complète telle que « Je suis présent(e) » plutôt que « là ! ».

► En s’appuyant sur des chants et comptines

  • Utilisation de structures répétitives dans des chants et comptines.
  • Dans un premier temps, l’élève répète les structures telles quelles.
  • Petit à petit, on pourra demander l’invention d’une phrase inédite reposant sur la même structure.

On trouvera sur le site de l’Académie de Strasbourg des comptines mises à disposition gratuitement dans le cadre de la continuité pédagogique (confinement).

  • La chanson « Frottez frottez les petites mains » permet de mémoriser une phrase, puis de jouer sur l’axe paradigmatique en substituant d’autres parties du corps ou d’autres verbes (« Caresser le dos », etc.). → TPS/PS
  • Plus complexe, la chanson « Lundi matin, l’Empereur, sa femme et le petit prince » est également marquée par la répétition constante d’une même structure syntaxique. → MS/GS
  • On peut penser aussi à « Promenons-nous dans les bois » où la question « Loup, y es-tu ? », toujours identique, reçoit des réponses différentes : je mets mes chaussures / mon pantalon…

► En s’appuyant sur un conte ou un album

  • Des contes comme Boucle d’or ou Les Trois petits cochons possèdent des structures répétitives que les élèves mémorisent et peuvent ensuite manipuler. Pour des élèves un peu plus grands, on pensera au jeu de questions-réponses entre le Petit Chaperon Rouge et le loup déguisé en mère-grand : « Que tu as un gros nez ! – C’est pour mieux te sentir, mon enfant ! »
  • L’album L’oiseau d’or, par Solenne et Thomas, se prête à toutes sortes d’activités, notamment à la mise en place d’un tapis de contes évoqué dans un autre article. Or, ce bel album présente une structure répétitive que mes élèves répétaient tous en chœur : « Que fais-tu ? – Je cherche la couleur, l’as-tu vue passer ? – Oui, continue ton chemin. »

► En atelier d’étude de la langue

Les enseignants de l’école maternelle sont habitués à consacrer des ateliers à l’étude de la langue, mais il s’agit généralement de travailler sur les sons (ce que l’on appelle, un peu abusivement d’ailleurs, « faire de la phonologie »). Les nouveaux programmes rappellent la nécessité de travailler spécifiquement le lexique, ce qui donne lieu à des ateliers de catégorisation de mots, des créations de fleurs de lexique, des dessins légendés en dictée à l’adulte… Et donc, chose nouvelle, ils insistent désormais aussi sur la syntaxe. Quels ateliers pourrait-on mettre en place ?

  • Continuer une phrase : Quand je serai grand, je… L’enfant doit introduire un groupe verbal au futur. Évidemment, « quand j’étais petit » fonctionne de la même manière. On peut de la même manière jouer avec l’irréel (Si j’étais un chevalier…).
  • Le jeu de l’âne têtu : Jeu que je pratique beaucoup au cycle 2 pour faire découvrir la phrase négative, mais auquel on peut jouer dès la maternelle. L’âne têtu dit toujours le contraire de ce qu’on lui dit. Les enfants apprennent à produire des phrases négatives en insérant les mots « ne » et « pas ».
  • Manipuler des étiquettes : Cela me semble indispensable pour pouvoir combiner des mots sur l’axe syntagmatique. On voit souvent en maternelle des ateliers consistant à reproduire un modèle : c’est une activité indispensable qui montre que les mots se suivent les uns derrière les autres, et que pour reproduire une phrase, il faut assembler les unités que sont les mots dans le bon ordre. Mais on peut imaginer aller plus loin, avec des activités de production et non plus seulement de reproduction, en faisant varier le modèle. Par exemple à partir de « Elle prend un sac » on peut former « Elle prend un ballon », etc. Dans un premier temps, c’est l’enseignant qui manipule les étiquettes devant l’enfant, puis l’enfant compose progressivement des phrases. L’enseignant reste le garant de la grammaticalité des phrases produites : à lui d’indiquer si telle combinaison est possible ou non, et éventuellement de préciser les changements nécessaires.

On trouvera une liste très riche d’activités possibles à la fin de la note ministérielle sur le lexique et la syntaxe en maternelle (avril 2016).

Les ateliers spécifiquement consacrés à la syntaxe me semblent d’autant plus importants qu’ils permettent à l’enfant de ne se soucier que de ce seul aspect, sans avoir à gérer un trop grand nombre d’éléments. Il va de soi que l’on travaille la syntaxe quand on raconte une histoire entière : le rappel de récit, le tour de table, les tapis de conte sont indispensables au développement du langage. Mais il s’agit là d’activités de très haut niveau, où il est non seulement nécessaire de produire des énoncés corrects, mais aussi de se souvenir de l’histoire, de l’ordre des différents événements, et en somme d’avoir compris l’histoire. L’atelier de syntaxe, tel que je le conçois, porterait plutôt sur une seule structure syntaxique, à manipuler par substitution, ajout, suppression d’éléments…

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J’espère que cet article vous aura donné une idée de ce que peut être le travail de l’enseignant de maternelle sur la syntaxe. Il va de soi que la syntaxe se travaille indissociablement de l’oral et du lexique, mais ces deux autres dimensions sont plus couramment travaillées à l’école maternelle, alors que l’introduction du terme de syntaxe est un fait nouveau dans les programmes de cycle 1. C’est pourquoi je me suis concentré ici sur la seule syntaxe.

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