Lire la poésie d’Aimé Césaire

Aimé Césaire est une grande voix de la poésie française du XXe siècle. Il fait partie des poètes qui seront célébrés par le Printemps des Poètes, dont la thématique est cette année « Afrique(s) ». L’ensemble de son œuvre poétique a été réunie aux éditions du Seuil en 1994 et rééditée en 2006.

article-afrique(Comme je le mentionnais dans un article précédent, j’ai l’intention de publier, d’ici à cet été, une série d’articles ayant pour sujet l’Afrique, puisque tel a été le thème sélectionné cette année par le Printemps des Poètes. Afin de vous aider à les repérer, j’insérerai dans ces articles l’icône ci-contre, chargée de signaler que le billet en question concerne cette thématique. Cette image a été créée par mes soins à partir d’une image gratuite de Pixabay.)

Qui est Aimé Césaire ?

Aimé Césaire (Wikipédia)
Aimé Césaire (Wikipédia)

Aimé Césaire (1913-2008) est un poète martiniquais, connu pour son chef d’œuvre qu’est le Cahier d’un retour au pays natal, ainsi que pour son engagement politique qui l’a conduit à devenir député.

Il fait ses études dans un grand lycée parisien où, tout en préparant le concours de l’École Normale Supérieure, il fait deux rencontres décisives : celle de Léopold Sédar Senghor et celle du Guyanais Léon Gontran Damas. Ces rencontres aboutiront à la création d’un concept promis à un bel avenir, celui de « négritude ».

C’est alors qu’il était en vacances en Croatie, chez son ami Petar Gubarina, que l’étudiant Aimé Césaire aurait conçu les premières lignes du Cahier d’un retour au pays natal. En effet, la vision, au large, de l’île Martinska, dont le nom est voisin de celui de Martinique, aurait provoqué chez lui une frénésie d’écrire.

Devenu professeur, Aimé Césaire retourne en Martinique où il est remarqué par André Breton qui dira de lui : « c’est l’oxygène à l’état naissant ». Toutefois, Césaire ne s’affiliera jamais vraiment au surréalisme. Une influence plus nette est celle de Lautréamont.

Après la guerre, Aimé Césaire devient le maire de Fort-de-France et le député de la Martinique. D’abord proche du parti communiste, il prend ses distances dès 1956, date des événements de Budapest, et fonde le Parti Populaire Martiniquais.

Quelques citations de Césaire

L’œuvre d’Aimé Césaire peut sembler difficile d’accès par l’abondance de termes rares ou spécifiques au monde antillais. Il existe un dictionnaire spécialement consacré au vocabulaire césairien. Je n’y ai personnellement jamais eu réellement recours, préférant « passer » sur quelques termes obscurs plutôt que de buter dessus.

1. Les premières lignes du Cahier d’un retour au pays natal

« Au bout du petit matin…
Va-t’en, lui disais-je, gueule de flic, gueule de vache, va-t’en je déteste les larbins de l’ordre et les hannetons de l’espérance. Va-t’en mauvais gris-gris, punaise de moinillon. »

  • Les mots « Au bout du petit matin » sont un leitmotiv qui reviendra très fréquemment dans le Cahier.
  • Ce « Va-t’en » initial peut se lire comme un geste d’exorcisme, un vade retro correspondant à la nécessité de se désenvoûter de l’autre en soi.

2. Césaire, voix de l’Afrique

« Histoire je conte l’Afrique qui s’éveille
les hommes
quand sous la mémoire hétéroclite des chicotes
ils entassèrent le noir feu noué
dont la colère traversa comme un ange
l’épaisse nuit verte de la forêt

Histoire je conte
l’Afrique qui a pour armes
ses poings nus son antique sagesse
[sa raison toute nouvelle
Afrique tu n’as pas peur tu combats tu sais
mieux que tu n’as jamais su tu regardes
les yeux dans les yeux des gouverneurs de proie
des banquiers périssables

belle sous l’insulte Afrique et grande de ta haute conscience et si certain le jour
quand au souffle des hommes les meilleurs aura disparu
la tsé-tsé colonialiste »

  • Dans ce passage extrait du poème intitulé « Le temps de la liberté », Aimé Césaire adopte une posture de conteur, de poète épique. La répétition des mots « Histoire je conte l’Afrique » insiste sur cette volonté d’être la voix de l’Afrique.
  • Ce passage exprime également l’espoir de la disparition de « la tsé-tsé colonialiste ». On le sait, la mouche tsé-tsé est responsable de la maladie du sommeil. Le colonialisme, assimilé par métaphore à cette mouche, est donc considéré comme un fléau.

3. Le poète comme porte-voix

« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche. »

  • Cette belle phrase, extraite du Cahier d’un retour au pays natal, fait du poète le porte-voix de ceux qui ne peuvent parler. Aussi la poésie d’Aimé Césaire a-t-elle une forte dimension politique.

4. « Moi qui Krakatoa »

« Moi qui Krakatoa
Moi qui tout mieux que mousson
Moi qui poitrine ouverte
moi qui laïlape
moi qui bêle mieux que cloaque
moi qui hors de gamme
moi qui Zambèze ou frénétique ou rhombe ou cannibale
je voudrais être de plus en plus humble et plus bas
toujours plus grave sans vertige ni vestige
jusqu’à me perdre tomber
dans la vivante semoule d’une terre bien ouverte. »

  • Ces vers constituent la première phrase du poème intitulé « Corps perdu ». J’ai choisi de les citer car, plusieurs années après avoir étudié l’œuvre de Césaire, je me souviens encore par cœur de ses deux premiers vers.
  • Le Krakatoa est le nom d’un volcan indonésien. Le poète semble ainsi s’identifier à la voix tonitruante du volcan.
  • Dans ce passage, Césaire chante aussi la terre nourricière, sa « vivante semoule », avec laquelle il rêve de se confondre.

5. La mère, la terre… et Homère !

« Et je redis : Hoo mère !
et je lève ma force
inclinant ma face.
Oh ma terre ! »

  • Ce passage est extrait d’un poème intitulé « Pour saluer le Tiers monde ».
  • J’ai choisi de le citer pour la référence implicite à Homère.

6. Miguel Angel

Je terminerai ce petit florilège avec un extrait d’un poème intitulé « quand Miguel Angel Asturias disparut » (Moi, laminaire…), qui m’avait marqué quand j’étudiais la poésie de Césaire.

« Miguel Angel immergea sa peau d’homme
et revêtit sa peau de dauphin

Miguel Angel dévêtit sa peau de dauphin
et se changea en arc-en-ciel

Miguel Angel rejetant sa peau d’eau bleue
revêtit sa peau de volcan

et s’installa montagne toujours verte
à l’horizon de tous les hommes »

  • Ces vers, qui terminent le poème, m’ont séduit par les multiples métamorphoses successives qu’ils mettent en scène.

*

J’espère que cet aperçu de la poésie césairienne vous a séduit. N’hésitez pas, si vous avez en tête d’autres citations marquantes de Césaire, à les proposer en commentaire.

Je voudrais conclure en remerciant Patrick Quillier, professeur de littérature comparée à l’Université de Nice, dont les cours m’ont permis de découvrir Césaire. Cet article est d’ailleurs largement inspiré de mes notes de cours.


Pour en savoir plus