A Marie-Claire Bancquart

Je viens d’apprendre le récent décès de la poète Marie-Claire Bancquart. Je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises de son œuvre que j’aime beaucoup. Je l’ai rencontrée à l’occasion du colloque de Cerisy-la-Salle qui lui était consacré en septembre 2011. Je voudrais aujourd’hui présenter son œuvre en guise d’hommage.

La vie, entre mystère et émerveillement

Toute la poésie de Marie-Claire Bancquart est indissociablement interrogation et célébration de la vie. Interrogation, parce que vivre est mystérieux, jetés que nous sommes dans une existence que nous ne maîtrisons qu’en apparence. Mais célébration, malgré tout, parce que vivre est précieux.

Il y a parfois, dans la poésie de Marie-Claire Bancquart, une forme de sérénité épicurienne consistant à jouir simplement de l’existence telle qu’elle s’offre à nous, en dépit de ce qu’elle peut avoir aussi de douloureux.

« Aujourd’hui, dans la quatre-vingtième année de mon âge,
me voici comme perdue d’allégresse.
[…]
Oui, longue joie, juste joie de l’âge venu
quand on peut serrer une main, sourire à un son, à un livre,
vieil animal qui reconnaît de loin les tristesses du monde,
les guerres, ruines, solitudes,
mais flaire et goûte aussi, de longue expérience, une allégresse lumineuse de la terre! »

Marie-Claire Bancquart,
« Poèmes » publiés en-tête des actes
du colloque de Cerisy (p. XXXIV)

J’aime beaucoup ce poème qui ne dissimule pas l’âge avancé de son auteur mais qui insiste essentiellement sur la joie et la sérénité. Il ne s’agit pas d’une joie naïve qui consisterait à se voiler la face en refusant de regarder ce qui pourrait déranger. Il s’agit bien au contraire d’une joie conquise, une joie qui tient compte des « guerres, ruines, solitudes » mais qui s’exprime malgré elles.

C’est une forme de sagesse que de savoir savourer les petites choses de la vie. Savourer : la poète parle de « flairer’, de « goûter ». Revenir aux sens, au sensible, aux joies simples de l’existence. Laisser parvenir la saveur de l’existence, en faisant taire les ruminations inutiles.

On peut lire, à la page précédente :

« Notre tour est venu d’être ici
d’aimer la terre
d’offrir un serrement de mains au monde

d’incarner une fugitive présence de l’être. »

Nous ne savons jamais totalement le pourquoi de notre présence en ce monde, mais il n’appartient qu’à nous de faire quelque chose de notre « fugitive présence » ici-bas. C’est « notre tour » : nous avons un rôle à jouer, quelque chose peut-être à accomplir. La poète y répond par des gestes de gratitude : « aimer la terre », « offrir un serrement de mains au monde ».

L’amour et la tendresse

Certains poèmes de Marie-Claire Bancquart abordent de façon originale le thème de l’amour, en choisissant non pas les traditionnels élans passionnés de la jeunesse, mais ce que devient la tendresse amoureuse quand on avance en âge. Effleurements de peau, caresses, sourires, mais aussi visites médicales et radiographies…

« Aimer.

Ce sera un mot sans suite.

Mais il aura été écrit, dans un moment lui-même ineffaçable du grand calendrier que nous ne connaissons pas. »

Marie-Claire Bancquart, Violente vie, Pantin, Le Castor Astral, 2012, p. 128.

Et cette autre citation :

« J’aurai donc vécu. […] L’amour. Maintenant que mon temps est compté, j’ai bien plus de temps : j’en profite davantage.

Nous voici, tous les deux. Les par-delà possibles gonflent nos corps et nos projets d’une seconde adolescence. »

Marie-Claire Bancquart, Rituel d’emportement, Obsidiane, p. 314.

Authenticité de la parole

Ce que j’aime enfin dans la poésie de Marie-Claire Bancquart, c’est l’absence de tout artifice. Il s’agit là d’une poésie qui vient du cœur, qui vient du corps autant que de l’esprit. La poète y dit la fragilité de l’existence. Elle ressent de façon très aiguë l’énigme permanente du monde. Ce mystère que nous sommes, y compris et surtout à nous-mêmes. Cette façon d’embrasser le mystère et de l’accueillir sans en faire un problème.

« Bonjour, violente vie ! » […] On dit souvent qu’ « il ne faut pas laisser passer sa jeunesse ». Moi, je dis qu’il ne faut pas laisser passer sa vieillesse.

Marie-Claire Bancquart, Violente vie, Pantin,
Le Castor Astral, 2012, quatrième de couv.

Énigme du corps dont les replis internes nous restent à jamais inaccessibles, énigme du monde dans lequel nous tâchons de vivre, ce mystère pourrait être source d’inquiétude, et il l’est parfois, mais il est aussi, notamment dans les recueils les plus récents, appréhendé avec sérénité.

« On s’accorde avec un espoir minuscule
en pot sur le balcon.
Notre précieux rien. Notre indéfectible amour, à deux, à d’autres, au milieu du monde presque défait. Notre évidence. »

Marie-Claire Bancquart, Avec la mort, quartier d’orange entre les dents,
Obsidiane, p. 24.

Récusant les frontières et les étiquettes trop souvent posées par une science trop classificatrice, certains poèmes nous rappellent que nous faisons partie du grand cycle de la vie. « L’anthropocentrisme m’est étranger », écrit quelque part la poète, capable de voir un égal dans un insecte.

« Être au monde
avec l’arbre et les passagers d’autobus
le long de la Seine, en cette minute précise de mars. »

Marie-Claire Bancquart, Rituel d’emportement, Obsidiane, p. 317.

Là où le commun des mortels n’observerait sans doute rien de particulier, le regard affûté de la poète perçoit la co-appartenance de toute chose et de tout être, réunis dans le même « pli d’univers ». Ce regard permet de voir que le simple fait de faire cuire un œuf dans une cuisine est une « minute d’Eden » (Ibid., p. 315-316).

*

La poésie de Marie-Claire Bancquart ne se résume pas à ce que j’en ai dit aujourd’hui. Tant s’en faut. Vous trouverez, ici même sur ce blog, ainsi que dans mes articles universitaires, des considérations sur d’autres aspects de sa poésie. Mais aujourd’hui, apprenant la triste nouvelle de son décès, c’est là-dessus que j’ai voulu insister : sur sa façon extrêmement authentique et personnelle d’envisager la poésie comme précaire moyen d’habiter le monde, parmi tous les êtres vivants sans hiérarchie aucune, rassemblés dans le même « pli d’univers », depuis la microscopique cellule jusqu’aux plus grandes structures du cosmos. Marie-Claire Bancquart ressent de façon très aiguë le caractère énigmatique du monde et de toute chose, mais fait, par la grâce des mots, de notre faiblesse constitutive une force, quelque chose comme un émerveillement sans bornes, et le principe d’une joie constamment renouvelée.


Pour en savoir plus :

D’autres articles de ce blog consacrés à Marie-Claire Bancquart :

Mes recueils préférés de Marie-Claire Bancquart :

  • Avec la mort, quartier d’orange entre les dents (Obsidiane)
  • Rituel d’emportement (anthologie personnelle, éd. Obsidiane / Le Temps qu’il fait)
  • Violente vie (Le Castor Astral)

Mes articles universitaires consacrés à Marie-Claire Bancquart :

  • Gabriel Grossi, « Du lyrisme au mythe, une poésie de l’énigme », in Béatrice Bonhomme, Aude Préta-de Beaufort, Jacques Moulin (dirs.), Dans le feuilletage de la terre, sur l’œuvre poétique de Marie-Claire Bancquart, colloque de Cerisy, Berne, Peter Lang, 2013.
  • Gabriel Grossi, « Entretiens intimes dans la poésie de Marie-Claire Bancquart », in Béatrice Bonhomme, Anna Cerbo, Josiane Rieu (dirs.), La poésie comme entretien – La poesia come colloquio, Paris, L’Harmattan, coll. Thyrse (n°12), 2018.
  • Gabriel Grossi, « Espaces méditatifs dans la poésie contemporaine : Exemples chez Marie-Claire Bancquart et Jean-Michel Maulpoix », in Béatrice Bonhomme, Gabriel Grossi (dirs.), La poésie comme espace méditatif, Paris, Classiques Garnier, 2015.

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17 commentaires sur « A Marie-Claire Bancquart »

  1. J’ai découverte la poésie de MC Bancquart il y a vingt ans, quand j’arrivais à travailler – jeune anglaise – à Paris. Sa poésie m’enseignais l’importance et beauté des choses simples. Ma poème préféré commence ‘le chat de la maison n’a jamais vu la mer…..’ si simple mais totalement parfait…

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  2. Merci beaucoup pour ce texte. Une amie m’a offert un recueil de poèmes de Marie-Claire Bancquart. Quelle découverte! Sa poésie « me parle ». Je viens d’entamer Rituel d’emportement dont le seul titre me met en joie. Je ne comprend pas comme cette fabuleuse poétesse n’est pas plus connue.

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