Elle, c’est Marie-Claire Bancquart, l’une des grandes voix de la poésie française contemporaine, décédée en 2019. Lui, c’est Alain Bancquart, l’un des grands compositeurs de ce siècle, et, donc, le mari de la première. Il a publié en 2020 Il y a trace de nous, aux éditions Delatour, ouvrage qui revient sur près de soixante-huit ans de vie commune.
J’ai rencontré Marie-Claire et Alain Bancquart en 2010, à Cerisy, à l’occasion du colloque qui se tenait sur l’œuvre de la poète. J’en conserve un souvenir très fort. Il faut dire que c’était ma toute première participation à un colloque, et que ce n’était pas rien que de passer une semaine en compagnie de la poète dont j’avais étudié l’œuvre pendant plusieurs mois, et de présenter mon intervention à moins d’un mètre d’elle. Marie-Claire et Alain Bancquart étaient, tous deux, des sommités dans leur domaine, et se montraient pourtant tout à fait accessibles et sympathiques pour le doctorant intimidé que j’étais. Aussi est-ce avec joie que j’ai lu Il y a trace de nous, dans lequel le compositeur Alain Bancquart s’adresse à Marie-Claire en partageant les nombreux souvenirs d’une longue vie commune.
Une rencontre décisive

Comme toutes les rencontres qui comptent, celle de Marie-Claire et d’Alain Bancquart aurait fort bien pu n’avoir pas lieu. C’est parce qu’il aidait Louis Saguer, chef de chœur de son état, à faire apprendre la partition de la Médée d’Euripide à des étudiants de la Sorbonne, qu’Alain Bancquart rencontra Marie-Claire, alors étudiante, qui faisait office d’habilleuse. Tous deux auraient cependant pu se côtoyer sans pour autant se rencontrer. Il a fallu la grâce d’une averse pour que, réfugiés sous le même arbre, ils débutent une conversation dont ils ne soupçonnaient sans doute pas qu’elle allait durer toute une vie.
Deux carrières parallèles
Le livre déroule les carrières parallèles des deux époux. Universitaire pour l’une, musicale pour l’autre. Je connaissais déjà, dans ses grandes lignes, le parcours prestigieux de Marie-Claire Bancquart : normalienne, agrégée, docteur ès Lettres, spécialiste d’Anatole France, auteur de romans, de recueils de poésie et de nombreux essais critiques. Le livre m’a permis de découvrir le non moins prestigieux itinéraire d’Alain Bancquart, en tant que musicien, joueur d’alto, et en tant que compositeur. Je ne crois pas qu’il soit exagéré de dire qu’il a côtoyé les plus grands : les plus grands maîtres, d’abord ; les plus grands élèves, ensuite. Le livre permet de découvrir de l’intérieur ce que c’est que de vivre dans ce milieu particulier des musiciens professionnels, depuis le Conservatoire de Paris jusqu’aux plus grands orchestres. On imagine à peine les contraintes que font peser ces carrières exigeantes sur la vie d’un jeune couple. Les répétitions, les concerts, les déplacements… Les noms propres qui parsèment le livre font état d’un parcours jalonné de rencontres, qui semblent toutes avoir beaucoup compté : la musique n’a pas été une aventure solitaire pour Alain Bancquart, mais, bien au contraire, une affaire de partages et de liens, avec quantité d’artistes, musiciens, compositeurs.
La musique micro-tonale
Apparaît ainsi la genèse d’une œuvre musicale, et la façon dont Alain Bancquart s’est mis à composer de la musique micro-tonale. Je me souviens avoir entendu à Cerisy plusieurs extraits d’enregistrements de la musique d’Alain Bancquart, et écouté avec plaisir un grand flutiste professionnel, Pierre-Yves Artaud, exécuter devant nous l’un des morceaux du compositeur. La musique micro-tonale repose sur des intervalles plus petits que les habituels demi-tons qui séparent habituellement les notes. Elle nécessite, de fait, que les instruments soient spécialement accordés pour pouvoir produire ces sons inhabituels. Le livre montre bien que cela n’a rien d’évident, même pour de grands musiciens professionnels : Alain Bancquart a dû, plusieurs fois, accorder lui-même les instruments, et diriger lui-même les musiciens.
Des œuvres croisées
Cette aventure à deux rencontre, en arrière-plan, l’Histoire. Alain Bancquart raconte notamment ce que c’est que de vivre en France pendant la guerre d’Algérie. Sont également évoqués ce que l’on appelle pudiquement les « événements » de Mai 68. On assiste à une traversée du siècle, et c’est aussi une page d’histoire de la musique contemporaine qui se déroule sous nos yeux. En ce sens, le livre se présente moins comme une autobiographie que comme des Mémoires.
Le lecteur suit ainsi ces deux carrières parallèles. Alain Bancquart présente les recueils poétiques successifs de Marie-Claire, en citant certains poèmes, analysés du point de vue du rythme. Certaines œuvres ont été communes, le compositeur s’inspirant de certains poèmes pour écrire sa musique. Inversement, le poème peut faire allusion à la musique. Les deux époux ont été sources d’inspiration l’un pour l’autre, même s’il y eut aussi des désaccords, des ressentis esthétiques parfois divergents, que l’auteur n’a pas cherché à dissimuler.
Le récit, pudique, n’évoque que rarement l’intimité du couple. L’infinie tendresse qui unissait Marie-Claire et Alain Bancquart n’en est pas moins perceptible. Les pages finales, sur la maladie puis la mort de Marie-Claire Bancquart, sont très émouvantes dans leur retenue même. En lisant ce livre, j’avais constamment à l’esprit l’image de Marie-Claire et Alain Bancquart, tels que je les ai connus à Cerisy. Ce livre m’aura permis de mieux les connaître. On a l’impression de parcourir avec eux ces années de travail, de poésie et de musique. Je voudrais donc terminer cet article en remerciant Alain Bancquart pour ce beau témoignage, et en vous proposant d’écouter Violente Vie, un concerto qui possède le même titre que l’un des recueils de la poète :
Pour en savoir plus
Vous trouverez sur ce blog de nombreux articles sur la poésie de Marie-Claire Bancquart. Parmi ceux-ci, celui intitulé « La poésie de Marie-Claire Bancquart » peut se lire comme une introduction à la lecture de son œuvre. J’ai écrit « À Marie-Claire Bancquart » lorsque j’ai appris la triste nouvelle du décès de la poète. Je me permets également de signaler que j’ai écrit plusieurs articles universitaires sur son œuvre. Le compositeur Alain Bancquart se retrouve également cité sur ce blog, dans un article qui entend balayer quelques idées reçues à propos de la musique classique.

Merci ! J’apprends beaucoup de choses sur celle qui, au départ, fut ma professeure à Nanterre. Et je note le titre de ce livre qui a l’air passionnant.
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