Qui n’a jamais entendu le nom d’Émile Zola ? Le romancier prolifique, célèbre en particulier pour les vingt romans de la série des Rougon-Macquart, est souvent présenté aux élèves et étudiants à partir du concept de « naturalisme », une notion intéressante en soi mais qui ne suffit sans doute pas à donner envie de lire ces romans. Alors, essayons de le présenter autrement.
1. Le Zola « naturaliste »
Quand on m’a présenté Zola dans le cadre de mes études, on m’a parlé, bien entendu, de « naturalisme ». On m’a expliqué que, après un Balzac qui souhaitait concurrencer l’état civil, Zola s’appuyait, lui, sur les sciences, sur la toute nouvelle conception de l’hérédité, sur la notion de déterminisme, pour décrire l’histoire d’une famille sous le Second Empire. On m’a raconté que Zola prenait des notes sur tout, si bien que ses romans tiennent largement du documentaire.
Eh bien, moi, quand on m’explique tout ça, cela ne me donne pas du tout envie de lire Zola. Une description minutieusement scientifique des tares d’une famille de dégénérés, ça ne fait pas rêver.
Et puis j’ai lu Zola. Et j’ai adoré.
2. Zola, romanesque
Ce qu’il faudrait dire, pour donner envie de lire ou relire Zola, c’est qu’il a beaucoup d’imagination. On parle toujours du réel, du réalisme, du naturalisme, sans rappeler que Zola est avant tout un romancier, et un des meilleurs qui soient. Ses personnages sont attachants, ses romans suscitent de l’émotion. Renée en proie à la voracité des hommes dans La Curée, Nana qui se révèle fragile malgré sa force dans le roman éponyme, sans parler de Gervaise ou encore de Lantier…
Je me souviens avoir fait étudier à mes étudiants de première année de licence un extrait de Nana qui correspondait à la répétition d’une scène de théâtre. C’est un passage très vivant, où l’humour s’invite dans le roman, où Zola s’amuse à montrer tous les « ratés » qui peuvent surgir lors d’une répétition générale. Un passage où il y a de nombreux dialogues, si bien que l’on dirait presque un scénario de cinéma. Il y a quelque chose de très moderne chez Zola.
3. Un maître de la description
Ce qu’il faudrait dire aussi, c’est que Zola est un maître de la description. On parle souvent des descriptions de Balzac. Mais Zola n’a pas son pareil pour restituer des ambiances. Il est attentif aux détails, si bien que ses descriptions sont souvent régies par la figure de la métonymie. Les lumières, les ombres, les objets s’animent sous sa plume. Ses descriptions sont vivantes, jamais pesantes.
Un exemple de description chez Zola
Dans la salle, Fauchery et La Faloise, devant leurs fauteuils, regardaient de nouveau. Maintenant, la salle resplendissait. De hautes flammes de gaz allumaient le grand lustre de cristal d’un ruissellement de feux jaunes et roses, qui se brisaient du cintre au parterre en une pluie de clarté. Les velours grenat des sièges se moiraient de laque, tandis que les ors luisaient et que les ornements vert tendre en adoucissaient l’éclat, sous les peintures trop crues du plafond. Haussée, la rampe, dans une nappe brusque de lumière, incendiait le rideau, dont la lourde draperie de pourpre avait une richesse de palais fabuleux, jurant avec la pauvreté du cadre, où des lézardes montraient le plâtre sous la dorure. Il faisait déjà chaud. A leurs pupitres, les musiciens accordaient leurs instruments, avec des trilles légers de flûte, des soupirs étouffés de cor, des voix chantantes de violon, qui s’envolaient au milieu du brouhaha grandissant des voix. Tous les spectateurs parlaient, se poussaient, se casaient, dans l’assaut donné aux places ; et la bousculade des couloirs était si rude, que chaque porte lâchait péniblement un flot de monde, intarissable. C’étaient des signes d’appel, des froissements d’étoffe, un défilé de jupes et de coiffures, coupées par le noir d’un habit ou d’une redingote. Pourtant, les rangées de fauteuils s’emplissaient peu à peu ; une toilette claire se détachait, une tête au fin profil baissait son chignon, où courait l’éclair d’un bijou. Dans une loge, un coin d’épaule nue avait une blancheur de soie. D’autres femmes, tranquilles, s’éventaient avec langueur, en suivant du regard les poussées de la foule ; pendant que de jeunes messieurs, debout à l’orchestre, le gilet largement ouvert, un gardénia à la boutonnière, braquaient leurs jumelles du bout de leurs doigts gantés.
Émile Zola, Nana, chapitre I.
Quelle description vivante ! Notez tous les détails par lesquels Zola prépare la représentation qui va avoir lieu, comment il nous en suggère le luxe et le clinquant, comment il campe une ambiance par quelques détails bien choisis !
Il y a quelques années, à l’époque où j’étais encore étudiant, j’ai voulu écrire une description à la manière de Zola. Ça a donné « Enchères », un texte déjà paru dans ce blog. Je l’ai lu en atelier d’écriture, sans le présenter comme un pastiche. On m’a dit : « On dirait du Zola ». On ne pouvait pas me faire un meilleur compliment.
4. Zola, tragique ?
Ce qu’il faudrait dire aussi, c’est que Zola a le sens du tragique. Ses histoires finissent mal, en général. Mais ce n’est pas pathétique, il parvient à sublimer ça en tragique. Aussi le roman de La Curée est-il magnifié par la référence, explicitement inscrite, à la Phèdre de Racine.
Renée, personnage tragique ?
Renée comprit alors ce tourbillonnement des jupes, ce piétinement des jambes. Elle était placée en contrebas, elle voyait la furie des pieds, le pêle-mêle des bottes vernies et des chevilles blanches. Par moments, il lui semblait qu’un souffle de vent allait enlever les robes. Ces épaules nues, ces bras nus, ces chevelures nues qui volaient, qui tourbillonnaient, prises, jetées et reprises, au fond de cette galerie, où la valse de l’orchestre s’affolait, où les tentures rouges se pâmaient sous les fièvres dernières du bal, lui apparurent comme l’image tumultueuse de sa vie à elle, de ses nudités, de ses abandons. Et elle éprouva une telle douleur, en pensant que Maxime, pour prendre la bossue entre ses bras, venait de la jeter là, à cette place où ils s’étaient aimés, qu’elle rêva d’arracher une tige du Tanghin qui lui frôlait la joue, de la mâcher jusqu’au bois. Mais elle était lâche, elle resta devant l’arbuste à grelotter sous la fourrure que ses bras ramenaient, serraient étroitement, avec un grand geste de honte terrifiée.
Émile Zola, La Curée, dernier paragraphe de l’avant-dernier chapitre,
pp. 332-333 dans l’édition « Pocket ».
Le moins qu’on puisse dire, à la lecture de ce passage, c’est que Zola est un romancier de génie. Pour moi, — et peut-être ferai-je hurler des spécialistes en affirmant cela — le discours « naturaliste » est avant tout un outil de promotion littéraire, par un Zola qui a très bien compris la nécessité de se démarquer tout à la fois de ses prédécesseurs et de ses contemporains. En affirmant que son écriture est guidée par la science, il apparaît comme un écrivain singulier, il suscite l’intérêt des lecteurs comme celui des critiques. Mais ce qui fait que Zola reste l’un des écrivains les plus lus, les plus imprimés, les plus traduits au monde, ce n’est pas ce « package », c’est bien plutôt son sens du drame, son goût des personnages, son style.
Ce qu’il faudrait dire enfin, c’est que Zola est un poète. Ses romans sont des fables autant que des peintures sociales. Il érige les objets et les situations en symboles, en métaphores. L’assomoir, la mine, l’usine sont les plus connus. On pourrait ajouter Paris. Il y a tout un travail sur la symbolique chez Zola, qui n’a pas grand-chose à voir avec la rigueur scientifique. Le monde fictionnel qu’il invente est beaucoup plus signifiant que la réalité, où la plupart des événements n’ont pas une telle portée symbolique et métaphorique.
*
Pour conclure, je voudrais rappeler que je ne suis ni un spécialiste de Zola, ni même un spécialiste du genre romanesque. Cet article part simplement d’une expérience personnelle, à savoir que la façon dont on présente un auteur en cours ne donne pas forcément envie de le lire. J’ai découvert un tout autre Zola en lisant ses romans. Et j’espère que ce très modeste article vous aura donné envie de faire comme moi, d’aller lire ces romans qui n’ont pas pris une ride.

Image d’en-tête : Zola par Nadar. Source : Wikipédia.
J’ai lu quelques Zola. J’ai adoré La terre, Le docteur Pascal et d’autres plus connus… Après cette belle étude, je suis prêt à en reprendre… La curée par exemple ! Merci
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La Curée est un roman magnifique, très riche.
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Quel bel article!
Je me suis régalée à le lire.
J’ai surtout lu Zola à mon adolescence mais ça me donne envied en relire.
Merci beaucoup
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Merci !
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