La poésie au CP

Dans l’une des classes dont j’aurai la charge l’an prochain, je vais enseigner la poésie. Un domaine qui me passionne, comme vous le savez. Or, enseigner la poésie à des élèves qui ne savent pas encore lire, mais sans bénéficier des possibilités dont dispose l’école maternelle, cela demande des aménagements par rapport à ce que j’ai l’habitude de faire…

Les séquences qui vont suivre ressemblent à ce que j’ai pris l’habitude de proposer en poésie et écriture poétique, à ceci près qu’elles sont adaptées pour le niveau CP que j’aurai l’an prochain. Dès mes débuts dans le métier, j’ai proposé de gros projets poésie : l’année de stage, j’y ai consacré mon mémoire professionnel ; les années suivantes, j’ai inclus un projet porté par les animateurs de BCD dans le sillage du Printemps des Poètes… C’est ici l’occasion de rassembler un peu tout cela.

Mes objectifs

1. Faire aimer la poésie

Il me semble que, bien souvent, la poésie à l’école est vécue comme un passage obligé, un moment somme toute plutôt désagréable, où il faut d’abord copier, puis mémoriser un poème, avant de le réciter devant toute une classe, avec ce que cela suppose de stress, pendant que les autres sont généralement occupés à illustrer leur poème. Aussi, mon premier objectif sera de faire aimer la poésie, ce qui supposera, nous le verrons, de mettre en place de multiples activités, dont certaines, mais non toutes, sont assez ludiques.

2. Faire évoluer les représentations sur la poésie

Le grand public en général a des conceptions assez floues sur la poésie. Rappelons que Paul Valéry disait : « Certains se font de la poésie une idée si vague qu’ils prennent ce vague pour l’idée même de la poésie ». L’école entretient sans doute ce flou, dans la mesure où, bien souvent, les poèmes rencontrés se ressemblent, centrés sur un univers enfantin, relativement pauvres tant du point de vue du fond que de la forme. Je crois, pour ma part, qu’il est possible de proposer autre chose que les sempiternels Maurice Carême et Jacques Charpentreau, qui sont trop souvent l’alpha et l’oméga de la poésie enseignée aux enfants. Même s’il ne s’agit pas de les dédaigner non plus !

3. Montrer la diversité de la poésie

Point corollaire du précédent, il m’importe que les élèves aient accès à des poèmes de différentes formes, et pas seulement des poèmes en vers réguliers rimés. Le haïku, le calligramme, le poème en prose font pleinement partie de la poésie, de même que certaines expérimentations contemporaines qui défient les représentations traditionnelles de la poésie.

Trop difficile au CP ? Je ne crois pas. Bien sûr, les choses doivent être amenées progressivement, mais un haïku, par exemple, est un texte bref, dont des élèves de CP peuvent venir à bout, avec aide s’il le faut. On peut aussi appréhender des poèmes en observant leur forme générale, leur disposition sur la page, sans du tout les lire, comme je le fais parfois en maternelle.

4. Travailler toutes les composantes de la poésie

Je tiens à ce que les élèves soient dans le « faire », et pas simplement dans une réception passive. Et justement, avec la poésie, il y a beaucoup à faire : lire, mémoriser, réciter, illustrer certes, mais aussi et surtout écrire des poèmes de diverses sortes. Et, bien sûr, au CP, il faut que cela soit très guidé.

MÉMORISER – Je ne crois pas que l’on puisse se contenter de donner un poème à apprendre à la maison, et de laisser se débrouiller enfants et parents pour que le poème soit su. Je crois surtout qu’il importe de donner du sens à cette mémorisation, en n’en faisant pas simplement un exercice, un passage obligé, mais en montrant aux élèves que cela a du sens d’avoir des poèmes en soi, disponibles à tout instant. Parmi les techniques de mémorisation, j’aime bien la répétition en chœur, la suppression progressive de mots, la mise en voix…

RÉCITER – Là encore, la récitation ne doit pas se limiter à l’évaluation finale. Réciter peut être un jeu, en variant le ton, l’intensité, l’émotion. Dire un poème comme si on était triste, joyeux, calme, fatigué/endormi, en colère, etc. Ce sont de petits jeux de théâtre qui se prêtent bien, aussi, à la poésie. À force de répéter le même texte dans tous les sens, la mémorisation se fait toute seule. Il importe aussi de montrer que la récitation n’est pas seulement un exercice scolaire : des comédiens comme Jacques Bonnaffé, des poètes comme Marc Alexandre Oho Bambe accordent une importance essentielle à l’oralisation du poème, qui est bien plus qu’un texte imprimé dans un livre.

ILLUSTRER – Dans mon souvenir d’élève, si nous illustrions les poèmes que nous recopions, c’était avant tout parce que nous utilisions des cahiers de travaux pratiques où alternaient pages blanches et pages lignées. Il fallait bien remplir quelque chose sur ces pages… C’était aussi, sans doute, un moyen de nous tenir tranquilles pendant que les copains récitaient individuellement au tableau. Le dessin était parfois évalué en même temps que la récitation, alors que ces compétences n’ont rien à voir. Il importe d’engager une réflexion collective sur ce qu’on peut dessiner, sur les techniques, les couleurs qui correspondent à l’émotion dégagée par le poème. Certes, il convient aussi de laisser de la liberté aux élèves, dans la mesure où le dessin libre est trop rarement pratiqué aussi, et qu’on aura davantage d’ambition dans les séances d’arts plastiques dédiées. Mais le dessin doit découler d’une compréhension du poème, travaillée en classe.

ÉCRIRE – Dès mes débuts d’instit, j’ai tenu à intégrer des séances d’écriture poétique. Mon mémoire de « Master Enseignement » portait précisément sur le sujet. Mais il s’agissait d’élèves de cycles 2 et 3, donc des élèves qui savent écrire. En début d’année, on pourra passer par la dictée à l’adulte, comme je le fais en maternelle. Ensuite, petit à petit, ce serait bien que les élèves écrivent quelques textes poétiques brefs. J’ai aussi envie d’expérimenter l’enregistrement des voix des élèves, comme une amie collègue l’a proposé en maternelle, mais cela demande tout de suite une autre organisation, en particulier en termes légaux (il faut faire signer des autorisations aux parents, etc.).

Ressources (CE-CM)

Pour mémoire, voici quelques articles concernant la poésie dans les cours élémentaires et moyens, dont il sera possible de s’inspirer :

Période 1 – Septembre-Octobre

Le début d’année est la période la plus délicate, puisque les enfants ne savent pas encore lire et écrire. Il importe donc de trouver des séances qui impliquent peu ces compétences, tout en ne reposant pas uniquement sur de l’oral, dans la mesure où de trop longues phases orales finissent par lasser certains enfants, qui risquent dès lors de se montrer agités.

Pour la période 1, j’ai donc décidé, en reprenant une proposition qui nous avait été faite lorsque j’étais étudiant-stagiaire à l’ESPE, de travailler sur le cut-up et le calligramme. Ces propositions ont été indiquées comme faisables en maternelle, et il me semble ainsi qu’elles conviennent bien à un début de CP.

La différence entre les deux techniques, c’est que dans le cut-up, on va prélever quelques mots-clefs pour en faire un dessin, alors que dans le calligramme, on va découper tous les mots pour les coller en les disposant sur la page de manière à ce qu’ils forment un dessin.

Séance 1 : Représentations initiales, tri de poèmes

► Lien vers un article reprenant cette séance pour des élèves plus âgés (CE-CM)

Séance 2 : le cut-up

  • Phase 1 : Distribution des poèmes, lecture par le maître, discussion orale (Quel est le thème commun aux poèmes ? La mer. De quoi ça parle ? Est-ce qu’on arrive à reconnaître le mot mer ?).
  • Phase 2 : Discussion : quels sont les mots qu’on a envie de garder ? Les mots qui vous émeuvent, qui vous semblent importants ?
  • Phase 3 : On illustre le poème au crayon, avec de simples silhouettes. Le maître peut donner des idées (poissons, coquillages, vagues, etc.).
  • Phase 4 : le cut-up. Le maître distribue des étiquettes qui reprennent de nombreuses fois les mots-clefs. Les élèves découpent des mots de leur choix et les collent pour former un poisson, un coquillage… Remarque : la différence d’avec le calligramme est que ce sont seulement des mots-clefs répétés qui forment le dessin, non la totalité du texte. Il y a l’idée d’un prélèvement de mots-clefs.

Comme je tiens toujours à rendre à César ce qui appartient à César, je souligne que cette proposition vient d’une idée de Nathalie Leblanc, Conseillère Pédagogique Départementale en Maîtrise de la Langue, qui la développe sur le site de la DSDEN06. De façon générale, je ne peux que vous conseiller ce site dont j’apprécie énormément la démarche et la façon de travailler.

Vous pouvez télécharger ci-dessous la fiche de préparation et les étiquettes. En revanche, je ne donne pas le texte de ces poèmes, car ils ne sont pas libres de droits. Mais vous les retrouverez sans peine sur Internet.

Séances 3 et 4 : mémorisation des poèmes, jeux de théâtralisation et de mise en voix

  • Collage des poèmes dans le cahier de poésie.
  • Relecture des poèmes, rappel du sens des mots, etc.
  • Répétition à l’unisson, segment par segment.
  • Mises en voix avec variations d’intensité (de chuchoter à parler fort)
  • Théâtralisation en variant l’émotion (émerveillé, endormi, en colère…). On se demande quelle émotion va le mieux.
  • Mise en voix avec gestes (individuellement, à tour de rôle) d’un bref extrait du poème
  • Le maître dit le début et les élèves disent le mot qui va après
  • Dire le poème en disant un seul mot à tour de rôle (le premier élève interrogé dit le premier mot, le deuxième dit le deuxième mot, et ainsi de suite).
  • Les élèves qui se sentent déjà prêts peuvent réciter un poème devant les autres.

La part de l’évaluation sera plus importante dans la séance 4.

Séance 5 : les calligrammes

Là encore, je me fonde sur une proposition de l’ÉSPÉ, à la différence près que je donne deux poèmes au choix aux élèves, ce qui introduit une forme supplémentaire et invisible de différenciation. On notera que je procède à peu près de la même manière avec des élèves plus âgés (cours élémentaire et cours moyen), à ceci près qu’ils écrivent eux-mêmes, cela va de soi, les poèmes, sans recourir au découpage-collage.

  • Phase 1 : Affichage au vidéo-projecteur de quelques calligrammes d’Apollinaire. On essaie de trouver ce que ça représente. Le maître dit quelques mots sur Apolinnaire et lit certains poèmes.
  • Phase 2 : Affichage au vidéo-projecteur des deux poèmes « Le nuage » (Desnos) et « Le chat-livre » (Jean Joubert). Lecture des deux poèmes par le maître. Explicitation du sens. On discute sur ce que ça veut dire, les élèves expriment leur ressenti. Faire émerger le fait que le chat-livre est une étrange créature, mi-chat, mi-livre. Parler de l’indien et du nuage.
  • Phase 3 : Les élèves dessinent au crayon gris le poème choisi : soit un chat-livre, soit l’indien et le nuage. Donner les poèmes photocopiés aux élèves. Les élèves découpent les mots et les collent sur les lignes de leur dessin, de façon à constituer un calligramme.
  • Phase 4 : Présentation des travaux des élèves.

Séances 6 et 7 : mise en voix et théâtralisation des nouveaux poèmes

  • Coller les poèmes dans le cahier de poésie.
  • Reprise des mêmes techniques que lors des séances 3 et 4 (jeux de mise en voix et de théâtralisation).
  • Passage des élèves en récitation orale, en commençant par ceux qui ne seraient pas passés lors des séances 3 et 4.
  • Pendant la récitation individuelle, les autres produisent une illustration en autonomie pour le cahier de poésie.

Période 2 : autour des haïkus

SéanceTitre de la séanceDocuments
1Découverte des haïkus de RyôkanFiche de prep S1
2Le lexique des saisons (adapté CP – CE – CM)Prep S2 + Fiches élèves
3Écriture outillée de haïkus au brouillonPrep S3 + Fiches élèves
4Relecture et mise en forme des haïkus – DifférenciationFiche de séance
5Création d’un arbre d’automne de haïkus – Arts plastiquesFiche de séance
6Présentation des haïkus aux autres classes de l’écoleFiche de séance

Période 3 : autour du Printemps des Poètes

  • Fin des activités de la période 2 : écriture de haïkus en vue d’une restitution sonore dans le cadre du Festival Poët Poët, dans le sillage du Printemps des Poètes
  • Activité période 3 : sensibilisation au thème du Printemps des Poètes 2023, à travers une réflexion et une découverte de poèmes autour des frontières. Voir ci-dessous.

Période 4 : autour du printemps et des acrostiches

Work in progress : je mettrai progressivement en ligne mes projets, mes fiches de prep, mes activités.

Période 5 : autour de l’Oulipo

Work in progress : je mettrai progressivement en ligne mes projets, mes fiches de prep, mes activités.

8 commentaires sur « La poésie au CP »

  1. Bonjour
    Quel plaisir de lire cet article qui correspond tout à fait à ma vision de l’enseignement de la poésie. J’ai moi aussi décidé d’en faire mon projet pour ma dernière année en CP. Nous ne sommes pas loin puisque j’enseigne à Nice. Et comme vous, j’apprécie énormément les apports de Nathalie Leblanc. Une piste que j’utilise chaque année avec mes CP : le carré Lescurien : j’ai plastifié des verbes, des noms et des adjectifs (écrit au masculin et au féminin, car ce sont des CP…): les enfants en binôme piochent 2 noms, un adjectif et un verbe, et ils créent une phrase avec. Cela donne souvent des phrases qui nous font un eu rêver… On assemble ensuite pour faire un poème surréaliste. Une année, au FAPE « Haz’Arts », j’ai présenté ainsi une œuvre plastique, sur laquelle j’avais collé autant de « scratch » que de phrases. les phrases étaient plastifiées, dans un pot, avec chacune un scratch au dos, et les visiteurs étaient invités à créer leur « poème du hasard » en piochant les phrases au hasard dans le pot…
    Je vais suivre vos publications de près, et sans doute m’en inspirer car pour des raisons personnelles, je vais sans doute manquer de temps pour préparer tout correctement.

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  2. Voici ce que mes CP m’ont dit la semaine passée :
    «  C’est presque comme une histoire mais ce n’est pas une histoire. »
    « C’est quelqu’un qui l’a écrit. »
    «  On écrit un poème quand on aime quelqu’un. »
    « Il y a une personne qui écrit et une personne qui illustre. »
    « C’est un peu comme une chanson mais dans une chanson il y a de la musique. »

    Du coup, je pense leur faire visionner un site que je viens de découvrir :
    https://sway.office.com/qxK4oSfRtq59nl9Y

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