Les épreuves du Baccalauréat ont lieu cette semaine. Si les médias ont, comme de coutume, beaucoup parlé de l’épreuve inaugurale de philosophie, je voudrais, quant à moi, évoquer le sujet de français. Cette année, la poésie a été à l’honneur pour les élèves de Première des sections ES et S. À l’heure où une pétition circule qui juge cette épreuve trop difficile, je voudrais vous donner mon propre point de vue.
Quatre poètes modernes et contemporains
Le corpus proposé aux élèves de Première était constitué de quatre poèmes. Il s’agissait de:
- Alphonse de Lamartine, « L’Isolement », strophes 1 à 6, Méditations poétiques, 1820.
- Anna de Noailles, « La Vie profonde », Le Cœur innombrable, 1901.
- Andrée Chédid, « Destination : arbre », Tant de corps et tant d’âme, 1991.
- Yves Bonnefoy, « La pluie d’été », Les Planches courbes, 2001.
On peut louer le jury pour avoir respecté la parité (deux hommes, deux femmes). On remarquera également la présence de deux poètes contemporains, avec des recueils plutôt récents. Cette ouverture sur la poésie d’aujourd’hui est tout à fait appréciable, car elle permet de rappeler aux élèves que la poésie est bien vivante aujourd’hui.
Beaucoup d’adultes cultivés ne sauraient nommer aucun poète contemporain. En effet, la poésie demeure un genre assez confidentiel, comme en témoignent les ventes. Dans un précédent article, je mentionnais les chiffres donnés par L’Express pour l’année 2013, où les ventes cumulées de théâtre et de poésie avaient représenté 0,5 % des exemplaires vendus. En dépit des nombreuses manifestations qui cherchent à la mieux faire connaître, en particulier le Printemps des Poètes, la poésie reste un domaine méconnu.
Cette méconnaissance de la poésie d’aujourd’hui peut également sans doute s’expliquer par la priorité accordée par l’école aux grandes œuvres du patrimoine littéraire français. Ce qui est tout à fait légitime, quand on voit le peu de culture générale de bien des élèves. Je trouve donc très positif que le lycée, à côté de ces monuments incontournables, laisse un peu de place à des œuvres plus récentes, qui témoignent de la vivacité de la création contemporaine. Le choix d’Andrée Chédid et d’Yves Bonnefoy n’est par ailleurs pas très déroutant, s’agissant de voix majeures de la poésie de la deuxième moitié du XXe siècle.
Les poèmes du corpus
Que les élèves commencent par se rassurer : il n’était certainement pas attendu une connaissance fine des poètes proposés, étant entendu que chaque professeur a établi son propre choix de poèmes pour l’étude en classe. Il n’empêche que quiconque a suivi un cours sur « écriture poétique et quête du sens, du Moyen-Âge à nos jours » (pour reprendre l’intitulé des programmes) devrait avoir les moyens d’interpréter les quatre poèmes proposés.
« L’Isolement » de Lamartine
Alphonse de Lamartine (1790-1869) était un grand poète de la première moitié du XIXe siècle, l’une des principales voix du romantisme poétique (avec Victor Hugo), et également, ce qui est moins connu, un homme politique de premier plan. S’il a écrit des romans et quelques pièces de théâtre, il est surtout connu pour ses poèmes, et en particulier pour ses Méditations poétiques, dont « L’Isolement » est précisément le premier poème.

Dans l’édition de 1820, un « Avertissement de l’éditeur » précède les poèmes et donne le ton de ce que sera le recueil. Celui-ci est en effet présenté comme « les épanchements tendres et mélancoliques des sentiments et des pensées d’une âme qui s’abandonne à ses vagues inspirations ».
Il y a beaucoup de mots importants dans cette brève définition. Je retiendrai en particulier celui d’âme : la poésie de Lamartine est ainsi caractérisée comme possédant une profondeur spirituelle. C’est l’intériorité qui est mise en avant, tant dans sa dimension psychologique (« sentiments ») qu’intellectuelle (« pensées »). L’éditeur parle encore d’une « poésie rêveuse et entièrement détachée des intérêts actifs de ce monde ». Une poésie donc désintéressée…
La première strophe de « l’Isolement » donne le ton du poème en définissant la posture méditative du poète. Celui-ci se place en retrait de l’effervescence du monde des hommes, et trouve dans la nature le calme propice à la contemplation du paysage.
« Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds. »
En parlant « du vieux chêne » et non « d’un vieux chêne », Lamartine laisse comprendre qu’il se rend fréquemment sous cet arbre vénérable. Le choix de l’alexandrin confère une certaine solennité à son propos : il ne s’agit pas d’une banale promenade, mais d’une rencontre avec soi-même, ou encore, pour reprendre l’intitulé des programmes officiels, d’une « quête de sens ».
Les trois strophes suivantes se lisent comme une description du paysage environnant. Celle-ci, empreinte de gravité, voire de grandiloquence, évoque successivement le fleuve, le lac, le ciel, le son des cloches.
« Ici, gronde le fleuve aux vagues écumantes,
Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur ;
Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres, Le crépuscule encor jette un dernier rayon,
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l’horizon.Cependant, s’élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs,
Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts. »
C’est beau, quand même, non ? Il y aurait beaucoup à dire sur ces trois strophes, mais il importe avant tout de relever le caractère grandiose de ce crépuscule qui approche. On notera la périphrase métaphorique « le char vaporeux de la reine des ombres », qui désigne la lune nimbée de nuages. Le rejet du verbe « monte » ajoute encore à l’ampleur de la phrase. Je voudrais aussi signaler la diérèse sur l’adjectif « religieux », lequel se trouve ainsi mis en valeur. Le son de la « cloche rustique » ajoute une dimension sacrée à ce paysage naturel.
Les deux quatrains suivants s’opposent aux précédents, comme l’indique d’emblée la conjonction « mais ». Nous quittons le registre de la description pour revenir au « je », qui ne parvient pas à trouver la paix dans ce paysage pourtant sublime :
« Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente N’éprouve devant eux ni charme, ni transports,
Je contemple la terre, ainsi qu’une ombre errante :
Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : Nulle part le bonheur ne m’attend. […] »
Le rythme binaire « ni charme, ni transports » martèle l’indifférence du poète face à la douceur de la nature. Le poète ne parvient pas à communier avec une nature dont la beauté est pourtant soulignée. La cause de ce malaise ne sera explicitée que plus loin, alors que les élèves de Première ne disposaient que des six premières strophes : c’est le fameux « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ».
En se comparant à une « ombre errante », en s’identifiant aux « morts », le poète fait état d’un profond malaise intérieur. Renforcé par l’annonce « Et je dis », le dernier vers indique très puissamment le désarroi du poète. En ces temps romantiques, l’on ne parlait probablement pas encore de dépression, et pourtant un tel terme peut convenir à caractériser l’extinction de toute joie de vivre et la certitude de l’impossibilité du bonheur.
« La vie profonde » d’Anna de Noailles

Fille d’un prince roumain et d’une pianiste grecque, épouse d’un comte, Anna de Noailles (1876-1933) a vécu dans les milieux aisés parisiens, mais aussi sur les bords du lac Léman. En 1901, elle publie Le Cœur innombrable, recueil qui rassemble 59 poèmes, répartis en six sections au nombre décroissant de poèmes. Le poème liminaire, intitulé « Au Pays », est un éloge de la France. « La Vie profonde » se trouve également dans la première section.
« Être dans la nature ainsi qu’un arbre humain,
Étendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l’orage,
La sève universelle affluer dans ses mains.Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l’espace.Sentir, dans son cœur vif, l’air, le feu et le sang Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre :
— S’élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l’ombre qui descend.Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du cœur vermeil couler la flamme et l’eau,
Et comme l’aube claire appuyée au coteau
Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise… »
Encore un très beau poème, n’est-ce pas ? Celui-ci est tout entier rédigé à l’infinitif: dès lors, le « je » s’efface, au profit d’une expression universelle. La subjectivité de la poète n’a pas disparu pour autant, mais s’exprime de façon plus discrète, sans mise en avant du « je ».
Dès la première strophe, le lexique végétal construit la métaphore filée d’un devenir-arbre. La poète s’imagine sous les traits d’un arbre. Il y a donc une forme de fusion avec la nature, une identification avec elle. « Vivre », « sentir » : la poète défend un idéal de vie qui consisterait à vivre en phase avec la nature, en étant ouvert aux sensations qu’elle provoque. Cette volonté de savourer pleinement l’existence, que l’on peut comparer à une forme d’épicurisme, revient à tout prendre de la nature, aussi bien « la joie » que « la douleur ». Il s’agit de « s’élever au réel et pencher au mystère », autrement dit de tenir pleinement compte de la réalité immanente, ici-bas, tout en trouvant dans cette réalité quelque chose de plus, une dimension spirituelle suggérée par le terme de « mystère ».
C’est dans ce poème que l’on trouve le vers qui fournit le sujet de dissertation proposé aux élèves : « Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise… » Ce vers contient plusieurs idées, qu’il convient de ne pas amalgamer dans une vague définition de la poésie comme rêverie. Il faut retenir le terme d’âme, qui suggère une dimension spirituelle. Celui de rêve, qui associe la poésie avec l’imagination. Enfin, l’apposition « au bord du monde assise » définit une attitude contemplative. Il s’agit d’une position qui n’est ni pleinement engagée dans le monde, ni pleinement dégagée de celui-ci : ni militantisme, ni réclusion dans une tour d’ivoire, mais une observation attentive et distanciée du réel, en léger retrait hors du tumulte.
Outre les poèmes du corpus, nombreux étaient les poèmes auxquels les élèves pouvaient faire appel pour étayer une telle prise de position. Je pense en premier lieu au poème « Sensation » de Rimbaud, qui rejoint sur bien des points la posture d’Anna de Noailles. On peut aussi penser, chez le poète latin Lucrèce, au fameux « Suave mari magno » où l’auteur définit la joie d’observer de loin le tumulte sans y participer, comme s’il était effectivement assis « au bord du monde ». La notion de rêve nécessite un petit passage sur les poètes surréalistes.
En guise d’anti-thèse, on pouvait rappeler que rêver, ce n’est pas rêvasser, et que le poète peut aussi faire le choix de s’engager bien plus avant dans les affaires du monde (on trouvera des exemples dans notre article sur « poésie et guerre » ou dans celui sur la poésie épique), tout comme au contraire avoir une posture plus expérimentale, faisant de la poésie un objet d’étude (on pourrait alors parler des productions oulipiennes ou du littéralisme contemporain).
« Destination : arbre » d’Andrée Chédid
Andrée Chedid, née en 1920 au Caire et morte en 2011 à Paris, est une voix majeure de la littérature française de la deuxième moitié du XXe siècle. Elle s’est illustrée dans de nombreux genres : roman, nouvelle, théâtre, essai, et, donc, poésie. Le poème proposé aux élèves était extrait de Tant de corps et tant d’âme (1991).
La présence de tabulations au sein du poème m’oblige à le citer sous la forme d’une copie d’écran. Cela vous permettra de le lire avec la mise en pages voulue par la poète.

Les points communs avec les autres poèmes du corpus, et en particulier avec le poème d’Anna de Noailles, sont nombreux. On notera le même recours à l’infinitif que dans ce dernier poème (on pourra se demander si ces infinitifs ont une valeur prescriptive, comme une sorte de recette pour accéder à la vérité de l’arbre), et le même désir d’identification à l’arbre.
Les connecteurs temporels (« peu à peu », « puis », « ensuite ») dessinent une progression qui aide à se repérer dans le poème. Andrée Chédid définit d’abord un désir de connexion avec l’arbre (« parcourir », « se lier », « se mêler », « plonger »), comme s’il s’agissait de ne faire qu’un avec l’arbre.
L’idée de « renaître de l’argile » peut faire référence à la glaise originelle dont serait extraite toute chose, arbre et homme inclus. « Plonger au fond des terres / pour renaître de l’argile » semble ainsi s’apparenter à une sorte d’épreuve initiatique à l’issue de laquelle l’on accéderait à une nouvelle naissance.
Andrée Chédid définit ensuite un mouvement vertical, des racines aux frondaisons. On peut y voir le symbole d’une ascension, d’une élévation. L’arbre est ce qui naît dans le sous-sol pour s’élever jusqu’au ciel. On peut également y voir la métaphore d’un itinéraire spirituel, depuis les « sols » et les « racines » jusqu’à l’immensité du ciel : « embrasser l’espace », « déchiffrer les soleils ».
La suite du poème nous plonge dans un univers urbain qui n’apparaissait pas de prime abord, et qui témoigne d’un rapport bien différent à la nature. Voici donc que l’arbre est cette fois-ci encerclé d’asphalte, seul, isolé. Le terme d’orphelin humanise cet arbre qui devient le symbole de nos existences déconnectées de la nature. Cet arbre, que la poète décrit sobrement à l’aide de phrases nominales, dépérit par son éloignement de ses semblables, comme le montrent les adjectifs « rêche », « taries », « éteintes ».
L’on retrouve alors le désir de ne faire qu’un avec l’arbre. Les infinitifs « s’unir » et « sentir » montrent que la poète fait siennes les sensations de l’arbre en pleine germination. On peut penser au genre médiéval de la reverdie : tout germe, tout croît, tout verdit. La nature met en marche ses forces vitales. Sans avoir à employer le terme, la poète parvient à donner l’idée d’un printemps. La comparaison introduite par « semblables » rapproche cette force vitale de la germination avec les « rêves […] qui fortifient nos vies ». Nos rêves semblent donc posséder eux aussi cette énergie printanière.
On relèvera, dans la dernière strophe, l’opposition de « l’éphémère » et de « la durée » : en allant « d’arbre en arbre« , la poète se fixe finalement comme objectif de saisir le temps lui-même. Cet itinéraire papillonnant se révèle donc bien plus profond qu’il ne paraîtrait à première vue. Il s’agit de prendre pied dans le temps, de prendre racine dans le monde.
« La pluie d’été » d’Yves Bonnefoy
Yves Bonnefoy est l’une des voix majeures de la poésie d’aujourd’hui. Né dans les années vingt, il se fait connaître sur la scène poétique française dans l’après-guerre. Il fait partie de ces poètes — Philippe Jaccottet, André du Bouchet, Jacques Dupin — qui, sans toutefois être regroupés dans un mouvement littéraire structuré, ont en commun une ambition semblable, celle de retrouver une voix poétique authentique, loin des artifices du langage. Yves Bonnefoy est connu pour sa quête d’un « vrai lieu », d’un espace où « habiter poétiquement le monde ».
Son recueil Les planches courbes n’est pas le plus connu. Il a été publié en 2001, bien après les titres les plus célèbres que sont Du mouvement et de l’immobilité de Douve, Hier régnant désert, ou encore Ce qui fut sans lumière. Voici le poème proposé aux élèves :

On remarquera la sobriété d’écriture de ce poème, particulièrement évidente lorsqu’on compare avec le ton plus grandiloquent de Lamartine. Si ces vers libres s’écartent de la tradition poétique par l’absence de rimes et le non-respect de l’isométrie, ils maintiennent un groupement par quatre qui rappelle la forme du quatrain. Il n’y a pas, dans ce poème, de volonté d’innovation formelle au sens de rupture avec les formes du passé.
Ce poème consiste essentiellement en un récit de souvenir. Un souvenir ambivalent en ce qu’il est à la fois « le plus cher » et « cruel ». Toutefois, on ne peut pas dire que ce souvenir soit raconté : les verbes sont à l’imparfait, non au passé simple. Nous sommes davantage du côté de la description que de celui du récit. L’important n’est pas ce que Bonnefoy avait fait, mais ce qu’il avait ressenti, éprouvé. On ne sait ni où ni quand ce souvenir a eu lieu. On ignore à quel âge le poète a vécu ce souvenir.
Il faut donc expliquer pourquoi la pluie d’été a constitué un souvenir si marquant pour le poète. « Soudaine, brève », elle transforme radicalement le paysage, si bien qu’elle donne l’impression de pénétrer « dans un autre monde ». Le choix du verbe « s’enivrer » souligne le plaisir lié à la perception « de l’odeur de l’herbe ».
La métaphore de « l’étoffe » fait de la pluie un vêtement qui enveloppe la terre, comme une couverture protectrice. La comparaison avec le « sein » ajoute un caractère maternel à cette idée de protection. La pluie apparaît donc comme une réalité bienfaisante, apaisante, maternelle.
La deuxième partie du poème montre le retour du beau temps après la pluie. La référence alchimique transforme la réalité météorologique en quelque chose de merveilleux. Cet « or » est présenté comme palpable, comme si, pour une fois, la transcendance était accessible : « Nous le touchions ». Il s’agit même de quelque chose que l’on peut goûter en même temps que les gouttes de pluie qui perlent des « branches basses ».
Le poème se termine dans un embrasement final exprimé avec la plus grande sobriété. Les gestes simples du quotidien sont rappelés : « nous ramassions / branches et feuilles chues », comme s’il s’agissait de garder les pieds sur terre, de refuser toute expression trop grandiloquente. Les démonstratifs « cette », « ce », le présentatif « c’était » pointe alors encore une fois vers la merveille du couchant : « C’était l’or encore ». Et le son « or » s’entend deux fois dans ce vers final qui traduit le caractère sublime et parfait du couchant.
L’épreuve était-elle trop difficile ?
À partir de ces quatre poèmes que nous venons de brièvement commenter, les élèves devaient d’abord réfléchir au rapport avec la nature entretenu dans chaque poème. Des éléments de réponse se trouvent déjà dans ce qui précède.
Un point commun essentiel est la question de la communion avec la nature. Celle-ci s’exprime de façon fort différente d’un poème à l’autre : Lamartine est saisi par la beauté de la nature mais ne parvient pas réellement à cette communion ; Anna de Noailles et Andrée Chédid témoignent d’un désir de se fondre dans la nature, de ne faire qu’un avec l’Arbre ; Yves Bonnefoy rapporte un souvenir fort, celui d’avoir été saisi par le caractère sublime de la pluie d’été suivie par l’or du couchant. Dans tous les cas, la nature apparaît comme un idéal, là où l’asphalte de Chédid témoigne d’une violence faite à la nature, celle d’isoler un arbre dans un environnement urbain étouffant.
Les élèves pouvaient ensuite commenter le poème d’Andrée Chédid. Il ne s’agissait pas là d’un travail facile. Certes, le poème ne présentait pas de difficulté de compréhension particulière. Le vocabulaire en est assez simple. Mais la sobriété même de l’expression fait que l’on ne peut pas se laisser porter par un relevé des figures de style. Selon la presse, les élèves n’auraient pas identifié qu’Andrée Chédid était une femme : cela montre simplement une méconnaissance d’un prénom plus guère employé, et cela ne présage pas de la capacité ou de l’incapacité des élèves à commenter le poème. Bref, il ne serait pas justifié de considérer cet exercice comme simpliste, mais il n’est pas non plus d’une difficulté inabordable à des élèves qui auraient été sérieusement préparés.
Le sujet de dissertation se présentait, quant à lui, sous la forme d’une citation. Il fallait donc dégager soi-même une problématique, contrairement aux sujets présentés sous la forme d’une question, qui la fournissent déjà. On trouvera ci-dessus un embryon de réflexion sur le sujet, à la fin de la partie consacrée à Anna de Noailles. Il me semble qu’en commençant par une première partie sur la dimension contemplative de la poésie, puis en montrant ensuite d’autres fonctions de la parole poétique, l’on n’obtient certes pas une réflexion particulièrement originale (la seconde partie risquant de faire catalogue), mais l’on parvient à un résultat suffisamment honorable pour des élèves de Première.
Mieux familiariser les élèves avec la poésie
Je crois surtout que les élèves ne sont pas forcément à l’aise avec la poésie en soi. Celle-ci n’est pourtant pas plus difficile qu’un autre genre, pourvu que l’on se dote d’outils de lecture pertinents. Mais il est vrai que la poésie n’est pas la forme d’art littéraire la plus familière aux élèves. Je crois que, avant d’enseigner l’analyse de la poésie, il faut aussi que les professeurs cherchent à la faire aimer. Les activités ludiques que l’on peut mettre en place à l’école primaire gagneraient à être transposées pour les collégiens et lycéens : avant d’être un support de commentaire ou de dissertation, la poésie est avant tout une œuvre d’art.
Bref, la poésie ne doit plus être un genre qui fait peur aux élèves. Ceux-ci doivent être amenés à fréquenter des poèmes, comme le ferait tout lecteur, en manipulant des recueils, en faisant des choix plus ou moins subjectifs et en étant capables de les justifier. Emmener des élèves au CDI et leur demander de constituer une anthologie de quelques poèmes chacun, en justifiant leurs coups de cœur, voilà par exemple une activité qui me semble très riche.
Il importe aussi de faire écrire de la poésie aux élèves. Par exemple en participant au Printemps des Poètes, comme je le fais chaque année (en maternelle aussi bien qu’en primaire, mais il importe de continuer dans le Secondaire). Il n’y a rien de mieux que de se placer dans la posture du poète pour mieux comprendre comment les poèmes sont faits. Certes, au début, les élèves risquent de se sentir bloqués, mais il faut dédramatiser l’acte d’écriture, expliquer qu’on ne cherche pas à rivaliser avec Rimbaud, mais à s’emparer soi-même du langage. Peut-être convient-il de ne pas présenter ce travail comme un support d’évaluation. De belles surprises attendent alors élèves comme professeurs.
Et vous, qu’avez-vous pensé de cette épreuve du baccalauréat 2019 ? Que vous soyez élève, professeur ou lecteur de poésie, n’hésitez pas à laisser un commentaire !
D’autres articles sur des thèmes voisins :
• Jean-Michel Maulpoix au programme du bac 2015
• À propos du bac de français 2017
• Faire écrire de la poésie à des enfants
• Qu’est-ce qu’une dissertation ?
Voir aussi l’article du Monde à partir duquel j’ai consulté le sujet : https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/06/17/bac-2019-decouvrez-les-sujets-de-francais_5477487_4401467.html.

Image d’en-tête : Pixabay.
Comme vous dites ce n’est pas plus difficile qu’un autre sujet quand on est préparé et les élèves de premiere le sont, ils le sont depuis quelques années et en premiere cette preparation est approfondie. Je crois surtout que tout d’abord nous sommes dans une époque de pleurnicheurs où la plupart se plaint de tout et son contraire. Ensuite les journalistes adorent en rajouter sur les complaintes et faire une affaire d’état de tout et rien (surtout de rien, ainsi cela évite de traiter les sujets vraiment importants.)
J’aimeJ’aime
PS : et aussi même si l’on ne connait pas Andrée Chedid, le e final et féminin à la fin du prénom devait donner plus qu’un indice non ? D’autant plus de nos jours avec tout ce battage sur l’écriture inclusive et la féminisation des professions etc. Nous ne sommes pas encore arrivés au bout de l’absurde de la théorie du genre en France me semble-t-il donc le « e » final reste une bonne indication de féminisation d’un prénom qui autrement est masculin. On fait écrire « professeure » pour bien faire comprendre qu’il s’agit d’une femme et tout le monde le comprend et Andree avec un e ne se fait pas comprendre. Vraiment ?
J’aimeJ’aime