Enseigner le passé simple

Pour bien des élèves, le passé simple n’a de simple que le nom. Pourtant, son étude n’a rien d’insurmontable, du moment que l’on a bien compris son usage, et que l’on peut se fonder sur des régularités pour asseoir la conjugaison. Je voudrais vous présenter aujourd’hui une petite séquence sur le passé simple, menée dans ma classe de CE2/CM1.

1. Les instructions officielles

D’après les instructions officielles, le passé simple est au programme du cycle 3, et donc des classes de CM1, de CM2 et de 6e. Son étude plus systématique sera bien entendu renforcée au collège. La mémorisation des formes est indiquée devoir avoir lieu en cours d’année de CM2, de sorte que celle-ci soit acquise en fin de CM2, puisque la connaissance du passé simple fait partie des attendus de fin CM2. En CM1, il s’agira donc avant tout d’un travail de découverte.

► Les programmes officiels du cycle 3

« Mémoriser : le présent, l’imparfait, le futur, le passé simple, le passé composé, le plus-que-parfait de l’indicatif, le conditionnel présent et l’impératif présent pour :
– être et avoir ;
– les verbes du 1er et du 2e groupe ;
– les verbes irréguliers du 3e groupe : faire, aller, dire, venir, pouvoir, voir, vouloir, prendre.
– distinguer temps simples et temps composés ;
– comprendre la notion de participe passé. »

► Repères annuels de progression

CM2 En plus des temps déjà appris, ils mémorisent, au cours de l’année, le passé simple et le plus-que-parfait pour :
-être et avoir ;
-les verbes du 1er et du 2e groupe ;
-les verbes irréguliers du 3e groupe : faire, aller, dire, venir, pouvoir, voir, vouloir, prendre.
Ils identifient les marques de temps du passé simple.

Remarque : On retrouve une formulation quasiment identique dans les « Attendus de fin d’année de CM2 ». La conjugaison du passé simple doit donc être acquise en fin de CM2.

► Ressources « Eduscol »

La plupart des ressources disponibles sur « Eduscol » autour du passé simple concernent uniquement le collège. Cependant, il y a de quoi s’inspirer pour réfléchir à l’enseignement du passé simple à l’école primaire.

2. Principes didactiques

Il me semble fondamental d’aborder le passé simple comme un temps du récit. Sa découverte me paraît donc devoir avoir lieu au travers de textes narratifs réels, et non de phrases sorties de tout contexte. En effet, contrairement aux temps verbaux précédemment étudiés, les élèves ne peuvent guère s’appuyer sur une connaissance empirique, issue de leur façon de parler au quotidien. Les élèves doivent prendre conscience du caractère écrit et soutenu du passé simple, depuis longtemps étranger au parler quotidien.

Cependant, sur le conseil de mes formateurs à l’ÉSPÉ, j’ai pris l’habitude d’éviter d’utiliser les textes travaillés en lecture et littérature pour l’étude de la langue. En effet, la lecture, si elle doit être étayée par un entraînement à la compréhension, ne doit pour autant pas devenir un prétexte à des exercices. Il importe de préserver la dimension de plaisir de la lecture, afin que celle-ci puisse se prolonger ensuite dans la vie réelle de l’élève. C’est pourquoi je fournirai un texte spécifique aux élèves, décroché des œuvres littéraires étudiées au même moment.

Conformément aux instructions officielles, l’intérêt des élèves pourra être porté sur la notion d’aspect verbal, afin qu’ils comprennent les raisons de l’alternance entre imparfait et passé simple. La nuance ne réside pas dans la durée de l’action, mais dans la façon dont elle est envisagée. Une action au passé simple, aussi longtemps qu’elle ait duré, est considérée comme un tout, comme une boîte fermée, bornée : c’est l’aspect non-sécant (Mille ans s’écoulèrent). Une action à l’imparfait, même brève, est considérée comme une boîte ouverte, comme une durée à laquelle on aurait coupé les bornes : c’est l’aspect sécant (Une feuille tombait). La nuance est particulièrement visible quand les deux tiroirs verbaux sont employés dans la même phrase (Il prenait son bain quand le téléphone sonna). Bien sûr, il ne s’agit pas d’imposer ce vocabulaire technique aux enfants, mais simplement de leur faire sentir la nuance.

Concernant plus précisément la morphologie, je suis bien d’accord avec Éduscol lorsqu’il est remarqué que le regroupement des verbes en trois « groupes » n’est pas toujours pertinent. Il y a quelques années, en m’inspirant d’une séance de découverte trouvée dans un manuel, mais en la modifiant, j’avais proposé à mes élèves de classer les verbes au passé simple dans quatre « maisons ». On identifie en effet sans peine un thème en [a/è] (il chanta ; ils chantèrent), un thème en [in] (il vint ; ils vinrent), un thème en [u] (il courut ; ils coururent) et un thème en [i] (il dormit ; ils dormirent).

Les élèves se trouvent ainsi placés face à un problème ouvert : plusieurs principes de tri sont possibles du moment qu’ils sont cohérents. Un tri il / elle / ils / elles peut être proposé par les élèves, mais on peut leur faire remarquer que la forme verbale ne change pas en fonction du genre du pronom. J’ai aussi décidé d’introduire une seule marque de première personne du singulier, justement pour inciter à ne pas effectuer ce tri qui laisserait une étiquette toute seule. Cela oriente ainsi la réflexion vers le classement attendu, selon les quatre types vocaliques du passé simple.

Il importe de bien identifier ces quatre groupes, car, comme le remarque très justement Éduscol, les formes les plus fréquentes ne sont pas nécessairement les plus simples. Les élèves savent ainsi, lorsqu’ils les rencontrent, que ces formes sont du passé simple. Il s’agit bien ici de découverte et de rencontre : faire remarquer aux élèves l’existence de ces quatre types ne signifie pas que l’on exige d’emblée d’eux la capacité de conjuguer n’importe quel verbe au passé simple. Il importe selon moi de rencontrer des verbes des quatre types, au lieu de se limiter aux seuls verbes du premier groupe, justement pour que les élèves soient conscients de l’existence de ces différentes sonorités qu’ils rencontrent dans les textes qu’ils lisent, et qu’ils les associent progressivement à du passé simple.

On commencera par l’étude des troisièmes personnes du singulier et du pluriel, qui sont quasiment les seules que les élèves rencontreront effectivement dans les textes. On notera que les programmes de 2016 avaient précisément limité l’étude du passé simple à l’école primaire à ces seules formes, réservant la suite pour le collège. Cependant, en 2018, les « Ajustements » des programmes ont réintroduit l’étude complète de la conjugaison, en ne parlant plus d’une limitation aux seules troisièmes personnes.

Les autres personnes, pour être plus rares, ne sont cependant pas difficiles à aborder si l’on prend soin de mettre l’accent sur les régularités communes à tous les temps : -s, -s, -t au singulier. La troisième personne du pluriel porte l’inévitable marque -nt. Les première et deuxième personne du pluriel sonneront plus étrangement à des oreilles inaccoutumées, mais il ne faut pas oublier que les -mes et les -tes ne sont qu’une variante du -ons et du -ez, variante d’ailleurs déjà rencontrée dans la conjugaison du verbe être au présent.

Pour en savoir plus sur le passé simple, je vous recommande mon articule intitulé « La fin du passé simple ? », où j’explique pourquoi il ne faut pas déplorer le recul du passé simple dans la langue courante, tout en indiquant qu’il faut cependant continuer de l’enseigner. En fin d’article, je montre combien le passé simple était beaucoup plus compliqué en ancien français ! Je vous invite également à lire « La conjugaison française, de l’école à l’université », où je tente de faire le lien entre savoirs scolaires et savoirs savants.

3. Une proposition de séquence

Séance 1 : Découverte des formes dans un texte.
• Séance 2 : Distinguer l’imparfait et le passé simple, et commencer à identifier quelques régularités de la conjugaison du passé simple.
Séance 3 : Trier des verbes au passé simple (troisièmes personnes du singulier et du pluriel) afin de faire émerger quatre grands types (en è, i,u, in).
Séance 4 : S’entraîner à la manipulation et au maniement de ces formes.
Séance 5 : Approcher les valeurs aspectuelles de l’imparfait et du passé simple.
Séance 6 : Exercices d’entraînement et d’automatisation.
Séance 7 : Évaluation.
En CM2, on ira plus loin et on étudiera les autres formes de la conjugaison (je, tu, nous, vous).

Séance 1 : Découvrir le passé simple

Principes didactiques

Le passé simple est un temps du récit. On ne l’emploie plus guère que dans ce cadre-là. Il importe ainsi que sa découverte ait un lien avec les textes littéraires. Lorsqu’il s’agit du présent, du futur ou encore du passé composé, on peut partir de phrases issues du quotidien des enfants, par exemple des phrases qu’ils proposent eux-mêmes. Lorsqu’il s’agit du passé simple, il faut au contraire, à mon sens, partir d’un texte écrit. J’ai cependant à cœur de séparer étude de la langue et littérature. C’est pourquoi j’ai décidé d’utiliser un très beau texte, trop difficile à étudier en tant qu’œuvre intégrale en cours moyen, mais parfait pour une approche du passé simple : il s’agit du conte de Jean-Yves Masson intitulé La Fée aux Larmes, dont j’ai déjà parlé dans un autre article comme l’un des plus beaux contes qu’il m’ait été donné de lire.

Objectif

L’objectif de cette séance est bien entendu de proposer une première découverte du passé simple, en le rencontrant dans un texte réel.

Déroulement
  • On commencera par une lecture à voix haute du texte. Les élèves énuméreront rapidement les personnages, afin que l’on vérifie qu’ils aient globalement compris le texte (sachant que la compréhension fine de l’extrait n’est pas ici l’enjeu).
  • Puis, les élèves devront souligner les verbes. Ils pourront, pour cette phase, travailler par petits groupes. Le maître observera l’activité des élèves et aidera les groupes qui rencontreront des difficultés.
  • Ensuite, il s’agira de recopier au brouillon les verbes dont les enfants estiment qu’ils sont au passé simple (donc des formes verbales encore inconnues d’eux).
  • La mise en commun au tableau permettra de se mettre d’accord, avec des questionnements (pourquoi penses-tu que c’est du passé simple ?).
  • On pourra enfin mettre au propre la liste dans le cahier de leçons, en précisant bien qu’il ne s’agit pour l’instant que d’un relevé de formes rencontrées, d’une trace de l’activité faite en classe, et non d’une leçon présentant la flexion du passé simple.

Séance 2 : Distinguer passé simple et imparfait

Aperçu de l’activité (image personnelle)

Avec la première séance, les élèves ont été sensibilisés à la découverte du passé simple. Ils l’ont repéré eux-mêmes en utilisant un critère très simple : il s’agit d’une flexion non encore apprise. La deuxième séance revient sur l’identification des verbes au passé simple, à travers un exercice qui reprend des phrases très proches de celles du texte découvert lors de la séance précédente, avec un tri en deux colonnes : imparfait ou passé simple. Les élèves prennent ainsi conscience du fait que ces deux temps alternent généralement dans les récits. Il ne s’agit pas encore de comprendre les raisons aspectuelles qui motivent le choix de l’imparfait ou du passé simple : cela est approché en fin de séance, et sera précisé lors des séances suivantes. En fin de séance, on pourra aussi commencer, à l’oral, à identifier le marqueur -t pour la troisième personne du singulier, et le marqueur -nt pour la troisième personne du pluriel : on précisera qu’il s’agit là de marques régulières, déjà connues pour d’autres tiroirs verbaux.

Séance 3 : Les quatre types de passé simple

Aperçu de l’activité
(image personnelle)

S’agissant du passé simple, le classement des verbes en trois groupes n’est guère pertinent. Il y a bien quatre grands types de verbes au passé simple, en -a-, en -u-, en -in- et en -i-. Les élèves vont découvrir ces quatre types à travers un problème ouvert de classement. Ils disposeront de quatre « maisons » dans lesquelles ranger des étiquettes comportant des verbes au passé simple. Les verbes sont tous aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel, excepté une forme de première personne destinée à invalider un classement trop simpliste il/elle/ils/elles. En effet, il m’importe que les élèves regardent vraiment les terminaisons.

Après un temps de passation collective des consignes et de découverte du matériel, chaque groupe est invité à découper les étiquettes et à les coller dans des « maisons », en donnant un titre à chaque maison. Lors de la mise en commun, deux ou trois groupes, choisis pour le fait de n’avoir pas adopté la même stratégie de classement, passent au tableau pour expliquer leur travail, et la classe est invitée à valider ou invalider les principes de tri. Le classement attendu est enfin partagé par tous, et pourra être consigné à l’écrit dans le cahier de leçons.

Séances suivantes : quels exercices d’entraînement ?

Sans détailler exhaustivement l’ensemble des séances suivantes, voici quelques idées pour faire s’entraîner les élèves, et les habituer à manipuler ces formes nouvelles. Pour chaque exercice, l’important est de se demander ce que les élèves font : cocher, entourer, souligner, trier, classer, compléter, recopier, transformer… La multiplication des approches est la clef, car les élèves vont aborder le passé simple de nombreuses manières différentes.

Voici un aperçu des exercices possibles :

*

J’espère que ces propositions vous donneront des pistes pour enseigner le passé simple. Il ne s’agit certes que d’un aperçu, car certains exercices reposent sur des textes littéraires qui ne relèvent pas du droit d’auteur. J’espère malgré tout que cela vous donnera des idées. N’hésitez pas à réagir dans l’espace des commentaires, et à consulter mes autres articles de pédagogie.

Un commentaire sur « Enseigner le passé simple »

Laisser un commentaire