Enseigner la conjugaison

Apprendre à conjuguer correctement les verbes n’est pas chose facile. La conjugaison française est particulièrement retorse, avec ses formes qui se prononcent de manière identique mais s’écrivent différemment. Conjuguer à l’écrit nécessite ainsi un savoir que la pratique courante du français oral ne suffit pas à apporter. Voici quelques modestes pistes pour enseigner la conjugaison française.

La grammaire avant la conjugaison

Conjuguer, c’est bien autre chose qu’ânonner sans comprendre la succession des formes verbales, telle une petite musique. Non pas que cet apprentissage par cœur n’ait pas sa place : il sera en particulier bénéfique aux élèves qui ont une forte mémoire auditive. Mais il ne suffit pas de distribuer des tableaux de conjugaison aux élèves, en leur demandant de les apprendre, pour qu’ils sachent conjuguer correctement les verbes dans les différentes situations d’écriture où cette compétence est utile.

Les programmes actuels ne parlent pas de conjugaison. Il est écrit : « observer le fonctionnement du verbe et l’orthographier ». La formulation est un peu pompeuse, mais elle a l’avantage de rappeler que la conjugaison implique que l’on s’intéresse au fonctionnement du verbe, donc à la grammaire, ainsi qu’à son orthographe.

Bref, je ne pense pas que l’on puisse apprendre des conjugaisons avant d’avoir au préalable exploré un tant soit peu ce qu’est le verbe. De fait, comme il est d’ailleurs très banal de le faire, j’introduis en général plusieurs séquences de grammaire avant de commencer à proposer des séquences de conjugaison. Ce qui pourrait passer pour une perte de temps constitue en réalité un gain considérable : lorsqu’ils conjuguent, les élèves savent ensuite ce qu’ils font.

Savoir ce qu’est une phrase, identifier les deux grands groupes que sont le sujet et le prédicat, savoir mettre une phrase à la forme négative, permettent finalement de trouver le verbe, défini à la fois de façon sémantique, comme ce qui indique une action ou un état, et de façon fonctionnelle, comme étant le mot qui, dans une phrase négative, se trouve entre « ne » et « pas ».

Dès la maternelle

Parler de conjugaison dès la maternelle est un peu excessif, et pourtant, c’est bien là que de premiers jalons se mettent en place. Certes, on n’enseignera pas méthodiquement la conjugaison à des enfants de trois à cinq ans. Mais on reprendra des enfants qui disent « vous faisez » au lieu de « vous faites ». On pourra leur faire énoncer la liste de tout ce que l’on peut faire dans la classe, dans la cour : c’est déjà un premier catalogue de verbes (activité que je mène aussi en élémentaire). Les premiers repérages dans le temps préparent la distinction entre présent, passé et futur.

Les albums lus par l’enseignant et travaillés en classe permettent déjà aux élèves d’entendre un langage plus soutenu que ce qu’ils entendent à la maison. C’est l’occasion pour les élèves de se familiariser avec le futur simple, trop souvent remplacé à l’oral par le futur périphrastique avec le verbe aller suivi d’un infinitif, mais aussi d’entendre du passé simple, qui est bel et bien employé par les auteurs d’albums pour la jeunesse.

Au cours préparatoire

L’année du cours préparatoire est déjà bien remplie par l’énorme travail consistant à apprendre à lire, à déchiffrer les lettres et à identifier les sons qu’elles transcrivent. Mais on peut malgré tout commencer à poser de premières bases de grammaire et de conjugaison.

Ainsi, par exemple, l’une de mes collègues de CP travaille avec un carnet de mots. Les élèves y collent les mots illustrés dont ils doivent retenir l’orthographe. Dès le début de l’année, des couleurs différentes distinguent les noms, les adjectifs, les verbes. Cette codification n’est pas explicitée d’emblée. En cours d’année, les élèves s’interrogeront sur son sens, et découvriront ces premières bases de grammaire.

Observer, classer, trier

Classer des verbes au passé simple en quatre « maisons » (image personnelle)

Comme je le disais dans un article précédent, j’aime enseigner la langue avec des étiquettes. De vraies étiquettes, j’entends, que l’on peut manipuler, déplacer, classer, trier. Cela permet une grande diversité d’exercices.

Aussi ai-je été agréablement surpris de voir que le manuel choisi par l’école où j’avais été nommé, à savoir le manuel Interlignes, propose pour chaque leçon de très intéressants problèmes de découverte qui privilégient précisément le tri, le classement, la manipulation.

En général, je m’inspire de ces problèmes de découverte pour les transformer sous forme d’étiquettes. En effet, plutôt que de proposer aux élèves d’ouvrir leur livre où les étiquettes sont dessinées, je préfère leur donner de vraies étiquettes et leur permettre de tâtonner. Parfois, j’invente complètement les exercices, comme c’était le cas avec le jeu du classement des verbes au passé simple en quatre « maisons » (voir image ci-contre et explication détaillée dans un article précédent).

Le verbe qui dort dans son dictionnaire

Le verbe à l’infinitif dort en attendant de travailler avec un sujet

J’ai trouvé sur Internet une façon assez ludique de présenter la conjugaison, en expliquant que les verbes à l’infinitif étaient en sommeil. Ils dorment avec leur bonnet de nuit dans un dictionnaire. C’est en effet les formes infinitives qui constituent les entrées dans le dictionnaire. Quand ils se réveillent, ils commencent par se déshabiller : ils perdent leur terminaison d’infinitif (le bonnet de nuit) et se retrouvent nus sous la forme du radical. Ils revêtissent alors les vêtements (les terminaisons) correspondant à la personne et au temps voulu. Cette explication est à la fois amusante et pertinente, et je l’ai utilisée en complément d’autres formulations. L’image ci-contre, trouvée sur Internet, correspond aux personnages Retz que j’utilise aussi de temps en temps.

L’enseignement du passé composé en CE1/CM1

Les élèves devront trier les phrases en deux colonnes (image personnelle).

Pour prendre un exemple concret, je vais travailler le passé composé avec mes élèves lors de la période qui va suivre. Cette année, j’enseigne dans un double niveau CE1/CM1. Avant les vacances de printemps, les élèves de CE1 ont déjà commencé à manipuler le passé composé, à travers plusieurs situations de découverte. Les élèves de CM1, eux, travaillaient sur des notions propres au cycle 3, à savoir les présents en -d et en -x que je n’aborde pas en CE1. Les CM1 auront donc au total moins de séances sur le passé composé que leurs camarades de CE1, pour lesquels j’ai davantage de temps puisqu’il y a moins de notions à aborder.

Demain matin, au retour des vacances, je proposerai une séance commune à l’ensemble de la classe. Pour les CM1, il s’agira d’une séance de découverte. Pour les CE1, de redécouverte. Il s’agira de trier les verbes au passé composé en deux familles. Les noms de ces familles ne sont pas donnés d’emblée, mais à trouver. Il s’agira, bien sûr, des verbes conjugués avec avoir et des verbes conjugués avec être. Une fois le classement effectué, l’observation des formes verbales permettra de repérer les deux parties du verbe, de rappeler leur nom (auxiliaire et participe passé) et de remarquer que les participes passés conjugués avec le verbe être présentent des variations d’accord qui ne s’observent pas avec le verbe avoir.

On notera que ce ne sont pas des verbes mais des phrases que je donne à trier : je préfère ici que les élèves réfléchissent à partir de supports qui ont un sens. Pour l’instant, j’utilise uniquement des verbes du premier groupe. Seuls les élèves de CM1 aborderont plus tard les autres formes de participe passé (en -i, en -is et en -u).

Conformément à l’esprit des nouveaux programmes, où la distinction entre COD et COI n’est abordée qu’au collège (en élémentaire, on distingue simplement entre les compléments du verbe, essentiels, et les compléments de phrase, facultatifs), le cas particulier de l’accord avec le complément d’objet antéposé est laissé de côté, afin d’insister d’abord sur les régularités : pas d’accord du sujet avec avoir, accord avec être.

Quelle place pour les exercices « traditionnels » ?

Les exercices traditionnels de conjugaison, avec des infinitifs entre parenthèses à conjuguer aux temps demandés, ne me semblent pas inutiles, mais ils ne doivent intervenir que dans un deuxième temps, après qu’une place suffisante a été faite à la découverte et à la manipulation. Ce sont en effet des exercices dont l’intérêt principal est d’être répétitifs, et donc de permettre progressivement l’automatisation des règles.

Un inconvénient des exercices des manuels est qu’ils demandent souvent aux élèves de recopier intégralement les phrases, si bien que la copie tend à prendre une place exorbitante au détriment de la réflexion grammaticale. Aussi ai-je tendance à proposer, pour cette phase d’automatisation, des exercices sur fiche, avec des mots à compléter, à entourer, des phrases à remettre dans l’ordre, etc. Cela permet plus facilement à des élèves peu autonomes de travailler seuls quand je me consacre à un autre groupe. Mais je propose aussi de temps en temps des exercices du livre, précisément parce que la copie fait aussi partie du travail scolaire.

Résoudre la confusion entre infinitif et participe passé

Il me semble que, malgré ce travail fait sur le passé composé, les élèves persistent à entretenir des confusions entre les formes d’infinitif en -er et les formes de participe passé en . Généralement, l’astuce proposée est de remplacer le verbe par un autre appartenant à un autre groupe, où infinitif et participe passé ne sont pas homophones.

Je veux mang → Je veux prendre. → Infinitif → Je veux manger.
J’ai mang → J’ai pris. → Participe passé. → J’ai mangé.

Malgré ce « truc », des erreurs persistent souvent. Aussi, je me demande s’il ne serait pas judicieux de mettre davantage l’accent sur ce problème, à travers des séances de recherche et de manipulation. Par exemple, une activité de tri pourrait permettre de classer dans des colonnes différentes des phrases en vouloir+infinitif et des phrases en être/avoir+participe passé. Les élèves observeraient alors la forme -er dans une colonne et la forme dans l’autre. On pourrait ensuite leur proposer des phrases correctement orthographiées en leur demandant d’expliquer les graphies. Ce ne serait que dans un troisième temps que les élèves devraient choisir eux-mêmes entre les deux graphies. Des exercices de dictée négociée pourraient fournir des occasions de réflexion sur le choix de la graphie à adopter.

*

Je voudrais conclure en rappelant que ces modestes propositions sont très banales. J’espère simplement qu’elles pourront aider certains enseignants, et qu’elles permettront aussi à un public plus large d’avoir un aperçu de ce qui se fait à l’école. Je n’entends pas proposer un modèle mais simplement partager ma façon de faire. Pour toute remarque, conseil ou suggestion, n’hésitez pas à laisser un petit commentaire.


Voir aussi tous les articles de la catégorie « Enseignement ».

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17 commentaires sur « Enseigner la conjugaison »

  1. C’est bizarre tout de même : pour tous vos mots divisés, coupés par le tiret, le tiret a disparu et ne reste en bout de ligne que deux ou trois syllabes isolées et, à la ligne suivante, le reste du mot. C’est un peu bizarre. Pour ce que vous dites de la conjugaison, les instituteurs et institutrices devraient trouver vos idées intéressantes et amusantes à explorer. Quant à la lecture qu’on avait abandonnée depuis longtemps dans nos écoles gardiennes et primaires en Belgique, elle revient en force pour le plus grand bonheur de tous et surtout pour la formation à la curiosité, à la lecture, à l’écriture, à l’oralité de notre langue (l’emploi des subjonctifs) bref, elle est enfin redevenue indispensable.

    Aimé par 1 personne

    1. Bizarre en effet, surtout que, sur mon ordinateur, ça s’affiche normalement. C’est l’ordinateur qui gère automatiquement les césures et place les tirets. Merci pour votre commentaire.

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