Le genre du conte n’est ni le plus pratiqué, ni, a fortiori, le plus médiatisé : les ouvrages qui se retrouvent le plus souvent en tête des rayonnages de librairie sont des romans. Alors, quand j’ai appris que Jean-Yves Masson, professeur de Littérature Comparée à l’Université de la Sorbonne, dont je connaissais déjà les recueils de poésie, venait de publier un conte, cela m’a beaucoup intéressé, et je me suis empressé d’acquérir cet ouvrage.
Un beau livre

Il me faut commencer par décrire l’objet-livre en lui-même, car ce que l’on remarque d’emblée dès que l’on déballe l’ouvrage, c’est qu’un très grand soin a été accordé à sa fabrication. Agréablement accompagné de gravures, le texte est imprimé dans une très belle police de caractères, sertie de lettrines et de ligatures qui donnent l’impression d’un livre ancien. C’est donc un plaisir que de parcourir ces pages qui nous ramènent aux contes de notre enfance.
L’histoire en quelques mots

Jean-Yves Masson conte l’histoire d’un couple de braves paysans, très pauvres, qui connurent le malheur de perdre leur fils dans un accident à la mine où ce dernier travaillait. Attendris par la mauvaise fortune de cette famille, des Lutins convainquirent trois Fées de se pencher sur leur sort. Celles-ci annoncèrent aux honnêtes paysans qu’il leur naîtrait une fille, qu’ils devraient appeler Aurore, et chacune désirait accorder un don à l’enfant, que les parents étaient cependant libres de refuser. Le père accepta avec plaisir les dons de beauté et de fortune, mais il ne parvint pas à accepter le don des larmes, bien que les Fées lui eussent assuré qu’il s’agissait d’un don très précieux, car sa femme et lui avaient tellement souffert qu’il leur semblait avoir déjà pleuré pour plusieurs générations.

Il advint ce qui avait été prédit : Aurore, en grandissant, manifesta une beauté exceptionnelle, la famille fut préservée de la pauvreté et put même vivre aisément, tandis que jamais la jeune fille ne versait la moindre larme. Ce qui, par moments, pouvait passer pour une chance, devait cependant présenter des inconvénients de plus en plus visibles. L’enfant demeurait solitaire, elle ne se mêlait guère aux joies et aux peines des autres, et lorsqu’elle fut en âge de se marier, aucun prétendant ne fut à son goût, jusqu’à ce que le jeune Roi réussît à attendrir le cœur de la belle Aurore, en se présentant sous un déguisement de paysan qui ne la trompa pas longtemps. Aurore et le Roi convolèrent en justes noces, mais leur bonheur fut terni par l’impassibilité de la jeune fille, incapable de verser la moindre larme, y compris à la mort de son père. La mère d’Aurore, qui savait d’où venait le mal de sa fille, lui expliqua tout sur son lit de mort, et lui enjoignit de retrouver la Fée aux Larmes.

Aurore partit donc en quête. Elle alla dans la Grande Forêt près de laquelle elle avait grandi, où habitait la Fée. Seule dans la nuit, elle n’était pas rassurée, mais elle fut successivement guidée par un rossignol, par un cerf et par un cygne, tous animaux capables de pleurer. Elle aboutit alors à un lac, où vivait la Fée aux Larmes. Celle-ci lui apparut, et lui expliqua qu’elle ne pouvait changer ce qui avait été scellé à sa naissance, mais qu’il se trouvait au cœur de la forêt un vieux sage plein de sagesse qui saurait lui enseigner le secret des larmes. Guidée par une pierre magique offerte par la Fée, Aurore trouva le vieillard qui lui accorda l’hospitalité. Ce vieux sage n’était pas n’importe quel ermite, car c’était un musicien, et il usa de sa viole avant tant de grâce que des larmes perlèrent enfin sur les joues de la belle Aurore. Le conte se termine, comme il se doit, par d’heureuses retrouvailles au château : le don des larmes permet à la jeune fille de rassurer son mari sur la sincérité de son amour, si bien qu’ils ne tardèrent pas à concevoir un enfant.
Moralité

C’est une belle leçon que délivre ce conte, puisqu’il enseigne qu’il est des dons plus précieux que la richesse et la beauté, et que la capacité à verser des larmes, qui semble d’abord un défaut, est en vérité un don inestimable, qui témoigne de la sensibilité du cœur, indispensable au vrai bonheur. L’ouvrage est aussi, dans sa dernière partie, un conte initiatique : Aurore doit partir seule en quête des larmes, traversant l’épreuve de la nuit dans la forêt, supportant le froid et la soif. C’est seulement le pouvoir de la musique qui lui permet de faire « jaillir en elle la source cachée des larmes » (p. 88).
Une langue douce et subtile

Jean-Yves Masson a su retrouver, pour écrire ce conte, la douce voix des contes traditionnels. Sa langue même s’est faite délicieusement classique, comme le montre par exemple l’archaïsme consistant à utiliser le mot « Que » au sens de « Pourquoi » : « Hélas ! (…) que n’êtes-vous auprès de moi pour me guider ? ». Cet usage, fréquent au XVIIe siècle, s’est raréfié par la suite, jusqu’à quasiment disparaître. Un passage particulièrement admirable dans l’écriture de ce conte est celui de la description des effets de la musique sur l’âme, une musique où se retrouvent les voix du rossignol, du cerf et du cygne, et qui semble « lier le ciel à la terre et la terre au ciel ».
L’ouvrage, qui compte 93 pages, a été écrit, selon l’auteur, autant à l’intention des enfants qu’à celle de leurs parents et des grandes personnes en général, chacun y puisant ce que son âge lui permet de goûter. Pour une lecture autonome, il me semble sage d’attendre l’âge du collège avant d’aborder ce conte, mais avec l’aide d’un adulte, il n’est sans doute pas impossible de le faire apprécier à des enfants plus jeunes. Et je ne doute pas que les adultes eux-mêmes prendront grand plaisir à la lecture de ce conte inspiré d’une légende alsacienne. Aussi est-ce une lecture que je ne puis que vous recommander très chaleureusement.
Références
- Jean-Yves Masson, La Fée aux larmes, Éditions de la Coopérative, 2016.
ISBN : 979-10-95066-07-1. - Les illustrations proviennent de Pixabay.
Merci pour cette présentation !
J’ai très envie de lire ce beau conte!
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