Un Zoom des poètes

Marilyne Bertoncini, poète, traductrice et passeuse de poésie, et Ariel Tonello, poète, traducteur et professeur, ont joint leurs forces pour présenter, coordonner et animer un « Zoom des poètes » autour de la Matière noire du poème. L’occasion d’évoquer la part obscure du poète, le côté sombre de la poésie, à la suite de l’anthologie numérique publiée sur le site « Jeudidesmots.com », mais aussi de revenir sur la façon dont les poètes ont vécu cet épisode si particulier du confinement.

Cet événement en ligne a permis de faire résonner la poésie dans des parties très éloignées du monde : France, Italie, États-Unis, Canada… Il fait suite à un appel à poèmes lancé par le site jeudidesmots.com, où vous trouverez les différents poèmes sur plusieurs pages. Dans un article précédent de ce blog, je dressais la liste des très nombreux participants à cette belle anthologie. Treize d’entre eux se sont donc virtuellement réunis, aujourd’hui dimanche 22 octobre 2023, autour des questions de l’enfermement, du confinement et de la « matière noire » du poème. Je suis arrivé un peu après le début de la réunion dont voici le compte-rendu.

La matière noire du poème
(image générée par l’IA de Canva)

Cilcee (Biot, France) voit la matière noire du poème comme une matière au sens propre, une véritable matière à travailler, un puits où s’engouffrer pour y tirer de la lumière. Comme Baudelaire, elle voit le travail poétique comme une sorte de transmutation alchimique, trouvant l’or dans la boue, dans la matière noire du poème.

Barry Wallentstein (New York, États-Unis), professeur émérite de littérature et d’écriture de fiction à l’Université de New York, se consacre en particulier à la lecture de poèmes accompagnés de jazz. Il raconte avoir connu des aspects positifs du confinement, découvrant la solitude et le plaisir de se faire livrer à domicile, tout en souffrant de l’enfermement.

Suzy Desrosiers (Manseau, Québec, Canada) affirme, à propos du confinement : « Durant le confinement, j’appréciais le sentiment de ne rien manquer des événements culturels et artistiques que je devais souvent décliner étant donné que j’habite loin des grands centres urbains qui les présentent. Je dois habituellement en choisir seulement quelques-uns. Pendant la pandémie, tout était sur pause, donc aucune prestation n’avait lieu. » Mais son écriture a subi le coup du manque d’interaction avec les gens. Elle s’est tournée alors vers d’autres médiums comme le pastel à l’huile pour s’exprimer autrement.

Jean-Yves Guigot (Cantal, France), né en 1967, auteur de trois recueils, interroge le lien et le mystère, écrivant parmi les volcans d’Auvergne. Il propose un poème aux accents philosophiques.

Gabriel Grossi (Cagnes-sur-Mer, France) : j’ai lu mon poème sur la matière noire du poème, celui-là même que vous avez pu découvrir il y a quelques jours.

Roberto Marzano (Gênes, Italie), poète et guitariste, livre une chanson sur les chroniques noires de la télévision, d’abord lue en français par Marilyne Bertoncini, puis chantée par le poète lui-même. Il a souffert du manque de présence vivantes, mais en a profité pour faire le point sur ses affaires. Il a été ému de rencontrer d’autres êtres humains dans les supermarchés.

Elizabeth Guyon Spennato (Italie), poète et photographe, autrice du livre Regards persans, est traductrice du chinois et du persan. J’ai déjà évoqué son travail poétique dans les colonnes de ce blog. Elle aussi a souffert du manque de contact humains, mais elle a vécu une sorte de miracle. Elle écrivait des poèmes en chinois traditionnel, mais elle a été gravement blessée suite à un accident qui lui a laissé des séquelles cérébrales, et depuis cette date elle n’écrivait plus. Pendant le confinement, elle a vécu une sorte de choc, dans une période où elle ne pouvait plus suivre de rééducation et a vu sa santé empirer. Elle ne pouvait plus marcher correctement. Mais, d’un coup, elle s’est mise à écrire, de nouveau, mais en italien et en napolitain, et ensuite, à nouveau en chinois. Elle a pu rencontrer de nouvelles personnes, d’abord virtuellement. Elle a écrit un poème pendant le Covid qui l’a affaiblie pendant un mois, et c’est celui qu’elle lit. Il s’intitule « Humeur noire ».

Diane Régimbald (Montréal) a publié onze livres de poésie au Québec et en France, notamment, Échographies à l’Atelier des Noyers en 2023 et Au plus clair de la lumière au Noroît en 2021. Elle lit le poème « Noire lumière » prévu pour l’anthologie. Ce confinement lui a permis de se retrouver, mais elle a trouvé insidieuse cette forme de contrôle étatique impensable dans des pays démocratiques. Mais il était essentiel d’aller dans son espace inconscient, et le confinement a favorisé cette reconnexion avec soi-même.

Vice-présidente de l’Académie des Lettres du Québec pendant plusieurs années, autrice de nombreux recueils poétiques, publiée en Poésie/Gallimard, Denise Desautels a reçu le Prix Apollinaire. Elle a écrit sur l’enfermement un poème ancien qu’elle a retravaillé, né en ayant travaillé dans les prisons pour femmes. La « matière noire » est pour elle un thème essentiel.

Viviane Ciampi (Italie) a rencontré des difficultés de connexion, mais nous avons pu entendre son poème au format audio. Ariel, à l’issue de cette écoute, souligne l’importance du partage, d’une circulation de l’enfermement, d’une prise de conscience que nous ne sommes pas seuls à vivre parfois des moments difficiles. On sort de l’isolement par le dialogue, le lien et le partage.

Yin Xiaoyuan, une poétesse et traductrice chinoise, n’a pu se connecter. Elle essaie de sortir de la poésie chinoise traditionnelle. Elle a publié cinq recueils de poésie. Certains de ses poèmes sont parus dans Recours au poème. Elle a envoyé une série de photos pour accompagner son poème. On y aperçoit des silhouettes humaines vues de dos, qui font face à des ciels cosmiques.

Lo Moulis, poétesse et plasticienne, est intervenue lors du dernier Festival Poët Poët où je l’ai rencontrée. Son recueil La vie blottie dans le désordre est publié aux Éditions de l’Aigrette, en avril 2023. Elle s’intéresse aux choses sans importance et fait son nid dans la lenteur du monde. Elle se dit très émue de travailler sur la matière noire du poème, qui pour elle est au cœur du sujet de l’expérience poétique. Le but est d’être présent au monde, présent à soi, dans un entre-deux qui surgit grâce à des interstices, un abandon à l’être, un moment où l’on se perd et qui procède du chaos. C’est un espace où l’on ne sait rien, c’est le continent noir de l’inconscient, inépuisable. Cela nous déborde et peut parfois nous écraser. Elle nous montre en photo cette impression de liberté que l’on peut ressentir dans l’obscurité. La lumière vient d’une traversée de l’obscurité.

Ariel Osvaldo Tonello, poète et co-organisateur de ce « Zoom des poètes », est en train de publier un recueil en crowd-funding, un livre singulier mêlant poésie, photographie et exploit sportif. Ariel participe également à l’organisation du « Festival Poët Poët » au sein du PoëtBuro. Il livre un poème très intense sur la mort, la souffrance, le cauchemar, avec la libération des pulsions noires.

Marilyne Bertoncini, poète maintes fois évoquée dans les colonnes de ce blog, et co-organisatrice de ce « Zoom des poètes », est la fondatrice de l’association « Embarquement poétique » qui soutient les actions de « Jeudi des mots ». Elle propose un poème intitulé « Sidération » : « Un éclat d’étoile m’était entré dans l’œil. » Le confinement lui a permis de découvrir le chant des oiseaux dans son quartier, le plaisir d’avoir du temps libre, la fréquentation de supermarchés déserts, tout en déplorant le manque de rencontres, d’où le lancement du site et l’appel à textes. Le confinement a marqué le désir de faire de la poésie avec les autres, dans le partage.

Ce « Zoom des poètes » est à retrouver sur la chaîne YouTube de « Jeudi des mots » et sur la page Facebook de l’association « Embarquement poétique ».

► Pour en savoir plus : jeudidesmots.com
► À propos de La Noyée d’Onagawa, magnifique recueil de Marilyne Bertoncini
► Un entretien avec Marilyne Bertoncini

L’image d’en-tête ainsi que l’image insérée dans le corps de l’article ont été générées par l’IA proposée par l’application Canva.

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