Connaissez-vous Hoda Hili?

Née en 1983, Hoda Hili vit à Aiglun (06) où elle écrit et cultive le safran. C’est dans les montagnes du moyen-pays niçois, au contact avec la terre, que se rêve et se pense une poésie qui n’a rien oublié d’une enfance vécue entre Franche-Comté et Maroc, ni des années de formation philosophique. Elle a publié son premier recueil cette année aux éditions Maelström, en Belgique, dans la collection « Bookleg » qui, grâce à ses prix modiques (3 €), permet à la poésie de se diffuser. L’ouvrage est composé de deux ensembles, Nuits diphoniques et Contre-espaces.

C’est donc dans la nuit que se campe la première partie du recueil. Sans doute la nuit est-elle ce moment de la journée où, libérés que nous sommes des obligations et des contraintes, nous pouvons laisser aller nos pensées à l’exploration du mystère, à l’écoute du corps et des rêves. Le rêve est par excellence ce cinématographe intérieur qui échappe au contrôle de notre censure et laisse apparaître l’inconscient, ce qui explique l’importance qu’il avait aux yeux de Freud ou de Jung.

D’emblée, surgit chez Hoda Hili l’image d’un « sygne », qui, fort de sa double orthographe, est à la fois l’oiseau, tache blanche « dans les eaux troubles », et l’indice révélateur, « signe / de perceptions blanches » où se pressent « le mystère des nuits ».

Cette figure de proue ouvre un univers onirique que la poète qualifie elle-même de « diphonique » et de « schizoïde », affirmant ainsi l’importance du double, d’une folie sensée ouverte sur une rationalité autre que strictement linéaire. Le dispositif formel autorise ainsi une double lecture. Le texte des pages de gauche, justifié à gauche, est placé en regard du poème des pages de droite, justifié à droite, si bien que l’on peut lire à la fois conventionnellement, c’est-à-dire une page après l’autre, mais aussi, après chaque vers de gauche, en lisant celui qui lui fait face sur la page de droite.

"Un perroquet vert dépose une couronne
de fleurs exotiques vermeilles sur mes organes
qu’on dirait dotés de tiges et de feuilles" (p. 10)

Cet univers onirique revendique, à la suite de Gilles Deleuze, l’image du rhizome (p. 6), structure végétale dépourvue de centre, où il n’y a pas d’organes dominant et dominé, pas de hiérarchie, qui prolifère dans l’horizontalité, sans direction prédéfinie.

Le rêve n’est pas simplement, pour Hoda Hili, une évasion vers des ailleurs chimériques. Ce qui est au cœur du recueil, c’est bien ce monde-ci, celui où nous vivons, celui qui nous est cher. Et la poète se montre attentive à la précarité de la condition humaine :

Je crois que je pleure à cause de notre fragilité
de notre étonnante et absurde présence
des larmes lourdes me coulent sur le visage" (p. 18)

Aussi personnels que soient ces poèmes, qui évoquent, certes transmués par le rêve, l’enfance marocaine, les figures du frère et de la mère, Hoda Hili n’en reste pas à l’anecdote individuelle, mais saisit dans le vécu ce qu’il peut y avoir d’universel, d’archétypal, et de partageable. Il y a, dans ce recueil, de la tristesse, et, aussi, inévitablement, l’ombre de la mort, mais également de la joie, aussi fragile soit-elle, et dût-elle parfois être perdue. « Dans le silence des joies. »

"combien de fois suis-je            sommeil faustien
combien de fois morte
dans le rêve ? Lazare au réveil

la vérité de mes nuits obscures
prophétesse de mon présent
je suis Vie

(p. 28-29)

Par ce poème qui conclut Nuits diphoniques, Hoda Hili revendique le statut de « prophétesse », un très grand mot qui la relie notamment à la Pythie de Delphes, mais que la lecture horizontale vient relativiser, puis qu’il s’agit alors d’être « prophétesse de mon présent ». Le présent, bien plus que l’avenir dont nous ne savons rien et le passé qui n’est plus, est tout ce qui importe. Ce n’est pas toute la vérité que la poète prétend détenir, mais « la vérité de mes nuits obscures », ce qui n’est déjà pas si mal. On peut y voir une façon de puiser dans la nuit, dans la mort, de quoi s’affermer dans la « Vie ». Il est très beau de conclure avec un « je suis », un « je suis Vie », qui n’est pas une affirmation de l’ego mais bien de l’Être, de la Vie que nous incarnons, et c’est une idée qui peut nous procurer joie, paix et sérénité.

Le deuxième ensemble du recueil est placé sous le signe de Pablo Neruda, avec une citation épigraphe qui incite la poésie à renouer avec le « lecteur lointain ». Ces « contre-espaces » peuvent se lire comme une célébration de lieux qui résistent à l’uniformisation du monde.

Ces collines et plateaux du moyen-pays sont de « vrais lieux », des espaces propices à la méditation et à la contemplation, très proches de la bourdonnante Côte d’Azur, et pourtant si loin déjà du tumulte. Ces « contre-espaces » sont des lieux où la vie peut se faire moins superficielle. Plan des Noves, col de Vence, plateau de Saint-Barnabé, baou des Noirs et baou des Blancs… Ce sont des lieux que j’aime moi-même arpenter, et dont Hoda Hili parle à merveille.

C’est là, au contact de la nature, que l’on se sent profondément vivant, dans l’effacement des limites entre le moi et le monde. S’y éprouve la joie de l’être-avec, joie de ne faire plus qu’un avec « les puissants et beaux chênes » :

"je n'étais plus rien
j'étais les essences" (p. 36)

Peut-être Hoda Hili trouvera-t-elle le terme impropre, ou trop grandiloquent, mais je crois que le poème nous rapporte ici quelque chose qui tient de l’expérience mystique. En effet, l’individu se dissout dans la conscience de quelque chose de plus grand. « Les essences », ce sont les arbres, bien sûr, avec lesquels la poète entre en symbiose, jusqu’à parler à la première personne de « mes racines souterraines et tentaculaires », mais ce mot a aussi un sens philosophique, où l’on se souvient qu’il est de la même famille que le verbe « être ».

Ces contre-espaces sont des lieux de contemplation, où l’on savoure la « lenteur », une « logique de la béatitude » (p.37), où l’on souhaiterait être « un petit animal visionnaire et furtif » qui parcourrait le plateau de Saint-Barnabé, face au « Cheiron immuable » (p.38), où l’on se rend compte que « la lumière est un rosaire que le silence égraine » (p.42).

J’aime cette « sagesse des montagnes » perçue au « col de Bleyne » :

"je les grimpe et je ne me sens rien
et je me sens tout
et je peux être ou ne pas être
et je me sens libre
et je me projette dans les cimes
les plus inattendues de mon vivre
et je me baigne dans les sources
de l'indétermination joyeuse" (p. 44)

Face à la montagne, nous sommes minuscules, et pourtant nous sommes géants aussi, puisque nous ne faisons qu’un avec la montagne. En plaçant en fin de vers les pronoms opposés « rien » et « tout », Hoda Hili traduit un ressenti complexe où l’on prend conscience du rien que sont notre petite existence et nos petits problèmes, mais sans que cela soit perçu comme écrasant, puisque l’on prend également conscience dans le même temps d’un « tout » dont nous faisons partie et auquel nous pouvons nous relier. En résulte un puissant sentiment de joie et de liberté. Le « je » se mêle aux « cimes » et se dissout dans les « sources », fondu ainsi dans une « indétermination joyeuse ».

Impossible de tout citer de ces « pérégrinations » parmi les « Baous sanctuaires ». Il y a tant de passages que je voudrais commenter. Je préfère vous laisser avec cette joie des paysages, dans cet arrière-pays vençois qui m’est cher, avec cette sérénité que procure la contemplation, où le rien et le tout cessent d’être des opposés pour devenir des aspects complémentaires d’une même réalité, où se taisent les tumultes de l’existence quotidienne pour laisser place à une profonde paix.

Références de l’ouvrage : Hoda Hili, Nuits diphoniques, suivi de Contre-espaces, éditions MaelstrÖm reEvolution, Bruxelles, 2023. ISBN : 978-2-87505-465-4.

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