Connaissez-vous Elizabeth Guyon-Spennato ?

Elizabeth Guyon-Spennato est une poète aux multiples talents, dont le parcours singulier est très inspirant. Elle était aujourd’hui à l’honneur du « Jeudi des mots » qui se tenait, comme à l’accoutumée, au café culturel « Chez Pauline », à Nice. La soirée a commencé par aborder son travail, avant de se consacrer dans un deuxième temps à l’anthologie « Cheveux au vent » en faveur des femmes d’Iran.

Un parcours singulier

Elizabeth Guyon-Spennato est de nationalité malto-française. Sa famille est originaire de l’île d’Ischia, en Italie. C’est dire que l’insularité, ça la connaît, et avec elle, le goût des voyages et des langues. Elle part étudier à l’Université de Taïwan. Elle apprend le Chinois. On la retrouve ensuite à Pékin où elle perce en tant qu’actrice de cinéma et parolière de chansons à succès (en chinois). De retour en Europe, elle devient traductrice et interprète.

Un grave accident bouleverse sa vie. Pendant sa convalescence, cette passionnée de langues apprend le persan. Des cours particuliers, pour la langue orale. Et, pour se frotter à la langue écrite, elle aide une docteure en linguistique à traduire des poèmes persans en français.

En 2012, Elizabeth Guyon-Spennato se rend pour la première fois en Iran. Elle a attendu, pour cela, le retour des ambassadeurs occidentaux dans le pays. Elle est partie seule, avec une santé encore fragile, dans un pays dictatorial où il vaut mieux ne pas avoir de problème avec les autorités.

Un livre de « regards persans »

Il y aura, en tout, neuf voyages d’une durée approximative d’un mois en Iran. Elizabeth Guyon-Spennato en est revenue avec des images. Elle photographie les regards des Iraniens et des Iraniennes. Cela a donné lieu à des expositions et à un livre intitulés « Regards persans ». Un livre où les photos se mêlent aux poèmes, en persan et en français. Son travail a notamment été exposé par la Banque Populaire et par l’enseigne de mode « agnès b » à Marseille. Le livre peut se commander auprès de toute librairie, pour la somme de 14,80 €.

Elizabeth Guyon-Spennato précise qu’elle a pris le temps de connaître ses modèles, de discuter avec eux, et une bonne partie sont devenus des amis. Hommes et femmes, âgés de 25 à 45 ans, ils témoignent d’une génération. Ils offrent un autre aperçu sur l’Iran que ce que l’on peut lire dans la presse. Interrogée à ce sujet, Elizabeth Guyon-Spennato indique qu’elle n’a pas rencontré de grande difficulté à trouver des modèles volontaires, les Iraniens étant beaucoup plus ouverts d’esprit dans la sphère privée qu’ils ne peuvent se le permettre dans l’espace public.

Ces regards sont effectivement perçants. Les photographies, centrées sur les yeux, n’ont pas besoin de commentaires pour qu’apparaisse avec force la dignité, l’humanité, voire l’âme des modèles.

Elizabeth Guyon-Spennato a ensuite lu des extraits des poèmes placés en regard de ces photographies. Plusieurs d’entre eux prennent la forme de distiques. Les poèmes sont lus en persan et en français.

Un poème fait face à une page blanche, sans appui photographique. Il évoque les femmes qui portaient leur voile à bout de bras. « Là-bas, le mercredi, les femmes font leur révolution puis disparaissent du regard. » Elizabeth Guyon-Spennato précise que ce sont surtout les jeunes qui manifestent, dans la mesure où les personnes plus âgées ont davantage à perdre, et où elles ont le sentiment d’avoir déjà donné avec les révoltes de 2008 durement réprimées.

Une anthologie « Cheveux au vent » pour les femmes d’Iran

En 2022, en effet, les femmes iraniennes, suivies par les hommes, commencent à manifester contre le voile, et plus largement contre la rigidité de la république islamique, suite à la mort d’une jeune femme arrêtée par la police des mœurs parce qu’elle ne portait pas correctement le voile.

Marilyne Bertoncini

Pour soutenir le combat des Iraniennes, le site « Jeudidesmots.com« , conjointement avec la revue « Recours au poème », a lancé un appel à poèmes, qui a abouti à une anthologie numérique disponible sur le site. Ce projet fait lui-même partie d’une initiative internationale lancée par Antje Stehn, poétesse allemande installée en Italie. Elle a créé un mobile avec des cheveux et des poèmes du monde entier. Une lecture a eu lieu à Piacenza (Italie). D’autres se tiendront au festival de poésie de Sète, au « patio », ainsi qu’au marché de la Poésie, place Saint-Sulpice à Paris.

Vous trouverez de plus amples informations à propos de ce projet sur les sites suivants :

Quant aux contributions elles-mêmes, vous les retrouverez sous forme d’anthologie numérique sur le site Jeudidesmots.com : https://jeudidesmots.com/atelier-de-creation-cheveux-au-vent-conditions-de-participation/

Lectures plurielles pour les femmes d’Iran

La deuxième partie de la soirée a donc été constituée de lectures de poèmes de cette anthologie.

Elizabeth Guyon-Spennato a ouvert le bal de cette deuxième partie avec un poème écrit en 2018, donc avant le récent mouvement des Iraniennes, en y ajoutant seulement un vers pour cette anthologie.

Ma soeur d’Iran,
Tant que ton coeur souffre, comment je serais tranquille, moi ?
Jusqu’au jour où ton territoire trouvera la lumière,
Tes pas laisseront des traces dans le sang et la poussière

Quand tes cheveux voleront-ils enfin libres au vent comme les miens ?
Respect, respect
Ce n’est que quand tes droits seront enfin respectés que tu seras libre
Quand je suis venue au monde
Je ne savais vraiment pas
Que pour être libre
Il fallait me battre corps et âme
N’oublie pas mon frère
Que c’est par notre liberté que tu trouveras la tienne

Elizabeth Guyon-Spennato

Ensuite, Franck a pris sa guitare pour livrer sa version musicale d’un poème de Dominique Bergougnoux.

C’est un pays au goût de datte et de safran
où le rêve des femmes est derrière les barreaux

C’est un pays de soleil et d’ombre
où l’on étouffe les cris (…)

Patrick Joquel a ensuite lu trois poèmes. Il a commencé par lire une poétesse québécoise, Diane Régimbald :

toujours le vent caresse

les tissus de ta robe

tes longs cheveux

au même rythme que ton corps

dansent

le désir d’exister

comme femme libre (…)

Il a ensuite lu à deux voix avec Marilyne Bertoncini un poème de Béatrice Machet sur l’ethnie Lakota. Patrick Joquel lisait en français et Marilyne en anglais. Enfin, il a lu un poème de Joelle Petillot :

Si vous barrez tous mes chemins, je volerai

si vous cousez ma bouche mon cri portera au-delà d’elle

vous pourrez coller mes pieds au sol il me portera malgré vous

votre haine me fertilise

votre colère me cuirasse

votre bêtise est un oiseau absurde

que j’assommerai de mon rire (…)

Nous avons ensuite entendu un poème de Tatiana Gerkens (Belge) :

Ce qui reste de ta peau lorsque la terre et les racines des arbres

nouée à leur force tranquille

ensevelie dans la trame d’un nouveau printemps

tu cherches le ciel et l’écheveau des océans (…)

Puis un poème de Muriel Verstischel, qui vit dans l’Artois:

Il y a ce drap qui pèse sur ta tête

cette étoffe morne où glisse ta main

Sournoisement des limbes

creusent ta voix

jalouses de ta beauté (…)

Un projet dans le projet

Le poème que Marilyne Bertoncini a lu a été traduit dans plusieurs langues, ce qui lui a donné l’idée de trouver des personnes capables de le traduire dans le plus grand nombre possible de langues, en vue d’une future publication multilingue. Lors de cette soirée chez Pauline, ont été lues les versions française, italienne, espagnole, iranienne de ce poème. C’est un beau projet ! Voici les premiers vers du poème français:

La cime des arbres peigne le vent
le vent caresse la chevelure des branches

et la toison de l’herbe

Le vent est libre et chante
dans les cheveux défaits des forêts (…)

Lectures finales

La soirée s’est poursuivie avec la lecture par Éric « Ériciel » Dubois du poème « Fille d’Iran » d’Élisabeth Granjon :

Tes mèches sont tombées

Comme larmes

Au pays de la répression (…)

Nous avons ensuite entendu un poème de Catherine Pont-Humbert, journaliste et poète:

Nuque tendre offerte au vent

Cheveux lâchés en indomptables tornades (…)

Nous avons pu également écouter un poème d’Alix Lerman-Enriquez, poétesse strasbourgeoise:

Femmes d’Iran, on brûle vos mèches de cheveux,

Que vous avez voulu détacher, voir flotter à l’air libre du vent,

Comme les vagues brisées par l’écume de votre colère,

Comme les ailes cassées d’un oiseau captif, oublié.

Là-bas, la mer caspienne vous encercle, vous fait prisonnières.

Vos cheveux sont à terre, comme est à terre votre liberté.

La soirée s’est terminée avec l’interprétation à la guitare d’un poème d’Anne Barbusse intitulé « Zachina » :

Zakhina vient toujours à l’atelier d’écriture cheveux voilés

je ne connais pas les cheveux de Zakhina

juste son sourire sa voix son prénom ses yeux

.

un jour lors d’un atelier d’écriture Zakhina lit son texte

elle parle de ses cheveux

elle décrit ses cheveux

longs noirs frisés (…)

☆☆☆

Ces quelques citations vous donneront une idée des poèmes que je vous invite à découvrir directement sur le site « Jeudidesmots.com« . Elles ne sont en effet qu’un petit aperçu des très nombreuses contributions à cette anthologie numérique collective, qui n’est elle-même qu’un maillon du projet d’Antje Stehn. C’est dire l’ampleur, au niveau mondial, des prises de position poétiques en faveur des femmes d’Iran.

À l’issue de la soirée, Marilyne Bertoncini s’est émue du fait que la plupart des contributions soient portées par des femmes. Les hommes ne peuvent-ils pas, eux aussi, prendre fait et cause pour les femmes ? Je pense en effet qu’il est important que ce combat soit également porté par des hommes. Cependant, pour ma part, je n’ai pas répondu à l’appel à contribution. Je ne me suis pas senti légitime, non seulement en tant qu’homme, mais aussi en tant qu’Occidental. Même si, bien sûr, je trouve courageuses ces femmes qui osent manifester contre le régime en place, je ne connais rien sur leur quotidien, leurs souffrances, leur vécu concret, et il me semble très compliqué de parler de quelque chose que je ne connais pas. Je pourrais faire un joli poème sur leur courage, leur beauté, etc., mais cela ne reposerait sur rien de concret, cela serait presque simplement un exercice de style, et cela ne vaudrait pas grand-chose. En outre, cela pourrait être pris (même si telle n’aurait évidemment pas été l’intention) comme une sorte de leçon paternaliste que l’Occident adresserait à l’Orient, et je ne voudrais pas donner cette impression. Je suis donc heureux que d’autres, plus légitimes que moi, se soient emparés du sujet et aient écrit ces poèmes. Que cet article soit ma modeste contribution.

5 commentaires sur « Connaissez-vous Elizabeth Guyon-Spennato ? »

  1. Bravo Gabriel pour ce magnifique compte-rendu.

    Oui, comme toi, je ne me suis pas senti légitime en tant qu’homme occidental et absolument ignare de la culture iranienne et de sa sociologie actuelle. A la lecture des poèmes du site, je me dis que j’aurais pu ou que je pourrais encore faire quelque chose sur le sujet. A voir.

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