Ces idées fausses sur la poésie

Paul Valéry affirmait : « Certains ont, de la poésie, une idée si vague, qu’ils prennent ce vague pour la poésie même. » De fait, beaucoup ont des conceptions erronées à l’endroit de la poésie, qu’il convient de rectifier.

Cliché n°1 : les poètes sont paresseux

Le mythe de la Cigale a la peau dure. Beaucoup considèrent les poètes comme des oisifs, quand ce n’est pas comme des assistés. Pourtant, rien n’est plus faux.

La plupart des poètes ne vivent pas de leur art mais d’un autre métier plus lucratif. Ces poètes cumulent donc plusieurs activités, ce qui n’est pas vraiment la définition de la paresse. J’en connais plusieurs qui ont des emplois du temps incroyables, avec plusieurs activités à la fois.

D’autres font le pari de ne vivre que de poésie. Leurs ressources financières sont beaucoup plus précaires, mais leur temps de travail est tout aussi impressionnant. Il leur faut trouver des résidences d’écrivain, des partenariats avec des projets d’éducation artistique et culturelle (DRAC, pass culture…), des subventions, des salles où se produire… Car, dans ce deuxième cas, le poète n’est pas seulement un écrivain (la vente de livres de poèmes ne rapporte quasiment rien), il est aussi un acteur culturel dans la Cité, et vit de ses interventions publiques. Cela demande une bonne gestion financière, une capacité à « vendre » ses projets auprès des milieux politiques et associatifs.

Cliché n°2 : les poètes parlent pour faire joli

Le poète serait un virtuose des figures de style, un créateur d’images, un artificier du langage. Certes, la poésie est par excellence le genre littéraire où s’observe la plus grande densité stylistique. Pour autant, ce travail de la langue n’est pas là pour faire joli. Ces figures de style ne sont pas une décoration, mais un moyen d’approcher par les mots une réalité qui ne peut guère se dire autrement. Il ne s’agit pas d’enjoliver, d’esthétiser les choses, mais de trouver une forme langagière qui colle avec ce que le poète a vu, perçu, ressenti ou imaginé. Il ne s’agit pas de parler pour faire joli, mais d’approcher l’indicible par les moyens du langage.

Cliché n°3 : les poètes sont perchés

Les poètes seraient de doux rêveurs, qui parleraient davantage de mondes irréels, de lieux fantasmatiques, d’univers inconnus que de ce monde-ci. Là encore, cette doxa bien installée (installée en fait depuis Platon !) ne résiste pas à l’examen. À vrai dire, la fiction est bien plus le domaine des romanciers que celui des poètes. Bien sûr, les poètes ont de l’imagination, mais ils ne sont pas si perchés que cela. Ils nous parlent bien plus souvent de notre monde sous un angle original, que d’univers totalement inventés.

L’objectif de la plupart des poètes, c’est de parler d’eux-mêmes, de leurs sentiments, ou bien de l’être aimé, ou encore des paysages qui les entourent, quand il ne s’agit pas de tirer de l’expérience personnelle des considérations générales sur la vie, la mort, l’amour. Il y a aussi des poètes qui ont à coeur de dire l’humain, de dénoncer des injustices, de railler des travers… Dans tous les cas, l’enjeu est souvent assez sérieux, et il concerne le monde réel, pas des ailleurs chimériques.

La poésie contemporaine (de 1950 à nos jours) accentue encore cela par la volonté de sortir des voies surréalistes, considérées comme trop éloignées de la réalité concrète, au lendemain d’une guerre mondiale dont les poètes ne pouvaient pas ne pas tenir compte. La poésie du dernier demi-siècle est donc assez peu fantaisiste, elle est plutôt sérieuse. Elle cherche des raisons d’espérer dans un monde toujours plus inféodé aux diktats de la rentabilité et du profit. Elle cherche tantôt à fonder un nouveau lyrisme, tantôt elle s’interroge sur le langage lui-même. Elle se fait humaniste, philosophique, métalinguistique, métaphysique, engagée… C’est une poésie qui pense beaucoup. On est loin de l’image du poète « perché ».

Loin d’être de doux rêveurs, les poètes ont les yeux grand ouverts. Certes, leur objectif n’a rien à voir avec la logique du profit. Mais ce n’est pas parce qu’ils pensent différemment qu’ils sont perchés !

Cliché n°4 : la poésie, c’est pour s’évader

C’est un cliché qu’on entend très souvent. La poésie comme évasion, comme si le réel était une prison, la poésie qui nous « emporte ailleurs »… Si vous voulez embarquer vers d’autres planètes, lisez de la science-fiction ! Si vous voulez vous évader vers des mondes qui n’existent pas, lisez de la fantasy ! Ne vous méprenez pas : la poésie cosmique interstellaire, ça existe, mais ce n’est pas la majorité !

La très grande majorité des poètes nous parle avant tout de ce monde-ci, celui dans lequel nous vivons et ressentons. Les poètes, pour la plupart, ont à coeur de nous faire voir, mais voir vraiment, le monde, plutôt que de nous entraîner vers d’autres univers. Ils nous montrent les nuages, le ciel, la mer, la neige… Il peut s’agir de s’émerveiller, mais aussi de condamner, de s’indigner, de critiquer… Les grands thèmes de la poésie restent la vie, la mort, l’amour, les mots…

Il n’y a, de toute manière, pas d’autre réalité accessible que l’instant présent, celui qui se déploie sans cesse sous nos yeux, et que nous négligeons trop souvent, perdus que nous sommes dans nos pensées, trop occupés à nous débattre avec des chimères, avec des désirs et des regrets, absorbés par de fausses urgences, sommés de courir et d’aller vite, sans cesse et toujours plus, alors que tout est déjà là, dans un coucher de soleil, une goutte de rosée ou un sourire.

Cliché n°5 : la poésie n’intéresse personne

J’assiste à de très nombreux événements poétiques de ma région, dont je rends compte régulièrement dans ce blog. Les scènes ouvertes de slam ne sont pas très grandes, mais elles sont toujours pleines. Les salons du livre, les festivals de poésie, les spectacles et les performances attirent du monde. Je crois que nous avons tous quelque chose à voir avec la poésie. Nous sommes tous concernés, et nous ressentons tous le besoin d’autre chose, d’un autre discours que celui que nous servent les grands médias et les politiques. Le besoin d’une parole authentique, qui s’adresse à tous et à chacun, qui soit absolument sincère et qui parle de ce qui importe vraiment. C’est à-dire de la vie, de la mort, de l’amour. Je pense que la poésie intéresse tout le monde.

Elle intéresse les jeunes, je le constate fréquemment dans mes classes. Elle intéresse aussi les retraités, qui ont le temps de s’en préoccuper, et qui ont le luxe de pouvoir choisir leurs occupations. Elle intéresse même les centenaires, comme j’ai pu m’en rendre compte en animant des ateliers d’écriture en maison de retraite. Il n’y a guère que les adultes actifs que l’on voit moins, mais je suis prêt à parier que s’ils avaient davantage de temps libre, on les verrait davantage. Et d’ailleurs, quand les adultes finissent par faire des burn out, à force d’être pressurisés par le travail et les obligations du foyer, il n’est pas rare qu’on les soigne avec de l’art. Comme si l’on se souvenait enfin que la poésie, loin d’être un accessoire, fait partie de l’essentiel. Je crois même que l’on ne survit pas longtemps, en tout cas pas en pleine santé, sans une forme ou une autre de vie artistique et spirituelle, qui peut prendre des formes multiples : la poésie est l’une de ces formes.

Mais alors, si la poésie intéresse tout le monde, pourquoi se vend-elle si peu ? D’abord parce que les rares personnes qui sont étanches à la poésie détiennent le pouvoir économique. Les grands patrons et autres milliardaires jouent parfois aux mécènes pour faire croire qu’ils aiment l’art, mais ils n’aiment que l’aura de prestige qui entoure l’art. Ensuite, parce que la poésie elle-même est foncièrement gratuite. Le recueil de poésie est à la poésie ce qu’une photo d’anniversaire est à un anniversaire. Ce n’est pas dans le livre que ça se passe, c’est dans le coeur. Le livre est extrêmement important (mes murs ne seraient pas couverts de livres sinon), mais ils ne sont que la cristallisation figée de quelque chose de vivant, qui passe du poète à son spectateur et à son lecteur.

Il n’y a peut-être pas grand monde pour acheter de la poésie, parce que le monde économique ne met pas en avant cette idée, mais il y a beaucoup de monde pour aimer la poésie.

Cliché n°6 : La poésie, c’est scolaire

Beaucoup n’ont approché la poésie qu’à l’école. L’école fait d’elle une chose sérieuse, en en faisant un objet de récitation d’abord, puis de commentaire et de dissertation. À l’école élémentaire, elle est d’abord un temps de copie, puis d’illustration, et enfin de récitation, dans ces fameux cahiers de travaux pratiques où alternent pages blanches et pages lignées. Au collège et au lycée, la poésie devient un objet d’étude, on y cherche des métaphores, des comparaisons, des synecdoques et des hypotyposes. À aucun de ces moments, qui sont cependant des moments nécessaires, on n’approche vraiment la poésie.

En général, l’école invite peu à en écrire, et quand elle le fait, elle transforme l’écriture poétique en exercice scolaire, en devoir noté, ce qui n’est pas la meilleure façon de la faire aimer. Mais la poésie, ce n’est pas cela. Déjà, elle n’est pas une obligation. Elle n’est pas un exercice. Cela ne signifie pas qu’on ne peut pas s’exercer à la poésie, mais la poésie doit excéder l’exercice. Les pratiques d’écriture à contraintes sont très stimulantes, mais les Oulipiens eux-mêmes sont allés au-delà du simple exercice.

Ne vous méprenez pas : en tant qu’enseignant, je suis extrêmement favorable à la poésie à l’école, de la maternelle à l’université. J’ai consacré mon mémoire professionnel à ce sujet, et plusieurs articles de ce blog. Mais la poésie à l’école ne doit pas avoir pour finalité la poésie scolaire : cette dernière ne doit être qu’une porte ouverte vers la poésie tout court. La poésie à l’école n’a atteint son objectif que si elle guide vers la poésie hors l’école, en donnant les moyens de la lire, d’en écrire, de l’aimer.

Cliché n°7 : La poésie, c’est austère

La poésie n’est pas une grande dame inaccessible. Quand on pense à la poésie, viennent à l’esprit des images d’assemblées austères, de personnes âgées qui se prennent très au sérieux, qui déclament avec une voix affectée et grandiloquente, devant des amphithéâtres presque vides. On s’imagine parfois aussi une poésie très traditionnelle, mesurée, métrée, rimée, pleine de mots rares, de tournures complexes, d’expressions alambiquées. Cette image austère tend à faire de la poésie un club fermé, assez guindé, un univers où il faut être introduit pour être accepté.

Ce préjugé joue beaucoup dans la perception qu’ont les gens de la poésie. Comme tous les préjugés, il n’est pas totalement faux. Mais la poésie sait aussi, et heureusement, être populaire. On ne la rencontre pas seulement dans le silence feutré des bibliothèques, dans les salons des ambassades et dans les universités. La poésie sait être populaire et accessible. Elle vit aussi dans les bars et les cafés. Et même dans la rue.

C’est d’ailleurs l’une des ambitions du « Festival Poët Poët », que j’aide à organiser depuis plusieurs années, que de remettre la poésie au contact du grand public, et de lui redonner la place qui lui revient dans la Cité. La poésie est partout chez elle, et elle peut prendre des formes spectaculaires, sans se limiter à sa seule forme écrite.

Les « performances » poétiques bousculent un peu les conceptions du public à l’endroit de la poésie. Le corps y est engagé autant que la voix. La frontière s’estompe entre poésie, musique, danse, théâtre, arts plastiques… En tant que spectateur, on est embarqué dans une expérience insolite, un moment hors du temps, où on a vécu ensemble quelque chose d’inhabituel, qui remet les pendules à l’heure et l’humain au centre.

J’ai vu des poètes déclamer avec des pétards (Tristan Blumel), avec des gants de boxe (Sabine Venaruzzo), avec un crâne humain (Patrick Quillier), sur une pelleteuse mécanique (Jean-Pierre Verheggen)… Ces performances cassent l’image austère qui colle à la poésie, et montrent que celle-ci peut provoquer des émotions fortes, des instants suspendus, qui nous ramènent à l’essentiel, à des rapports humains authentiques, à une forme de beauté qui se joue des attentes et des conventions.

De telles performances, je l’espère, permettent de faire évoluer les représentations du public sur la poésie, et donneront l’idée à certains d’ouvrir et de lire des recueils de poésie.

Cliché n°8 : la poésie, ce n’est pas pour moi

J’ai eu la chance immense de tomber dans la marmite quand j’étais petit. Dès mon plus jeune âge, mes parents instits m’ont montré que je pouvais m’emparer du langage pour inventer, pour imaginer et pour créer. Avant même de savoir écrire, j’ai créé avec mon père un petit roman d’aventures en photos, également converti en livre audio. Je n’ai pas eu besoin d’aller vers l’écriture, elle est venue à moi et je ne l’ai plus quittée.

J’ai bien conscience que peu ont eu cette chance, et que la plupart des gens pensent que la poésie n’est pas pour eux, qu’elle est réservée à une élite. Beaucoup aimeraient écrire ce qu’ils ont sur le coeur, mais n’osent pas le faire, par peur d’être jugés. Or, c’est en écrivant qu’on devient écrivain. Vos premiers poèmes seront sans doute malhabiles, parce que vous chercherez à coller à l’idée que vous vous faites de la poésie, au lieu de dire les choses simplement. Mais il faut bien commencer un jour.

Vous vous rendrez compte alors que la poésie n’est pas réservée à une élite. La poésie est pour tout le monde. Il faut juste se jeter à l’eau. Je suis convaincu que la meilleure porte d’entrée vers la poésie, plus encore que la lecture des grands poètes, c’est l’écriture. Et c’est parce que vous écrirez des poèmes, même malhabiles, que vous aurez envie d’aller voir ce que d’autres ont écrit sur le sujet. Et que, peu à peu, sans presque vous en rendre compte, vous affinerez votre écriture, jusqu’à être poète.

Les poètes ne sont pas des oiseaux exotiques. Ce ne sont pas des personnes qui font la sieste contre un arbre avec un brin d’herbe entre les dents. Ce ne sont ni des paresseux, ni des fous. S’ils sont parfois un rien excentriques, ce n’est pas par affectation, mais par nécessité. La première qualité d’un poète, c’est la disponibilité au réel, la faculté de regarder réellement les choses au lieu de les voir seulement comme on a l’habitude de les voir, la capacité d’accueillir l’instant présent dans toutes ses dimensions. Ce n’est pas un don, tout le monde en est capable mais très peu le font. Le poète est celui qui nous montre les choses d’un regard neuf, dépouillé des habitudes de pensée. Il ne cherche pas à faire joli, mais à présenter sa vision singulière du monde. Il écoute les oiseaux chanter.

5 commentaires sur « Ces idées fausses sur la poésie »

  1. J’adhère pleinement à vos propos et le chemin que vous évoquez à propos du chemin vers l’écriture personnelle est le mien. J’ai ‘subi’ la poésie à l’école et en fac tout en percevant qu’il y avait quelque chose de profondément intime et humain dans cette forme d’expression. Je l’ai compris le jour où j’ai découvert ‘Le Dormeur du val’, au collège, je pense. Des mots simples pour une tragédie humaine la violence du dernier vers. La poésie m’interpelle parce qu’elle nous parle du réel mais avec un angle mystérieux. C’est cette part de mystère qui m’attire, sa dimension onirique et aussi le fait que la poésie peut aller partout sans prévenir. Je veux que le poème me mène quelque part, et qu’il me surprenne, me déconcerte par sa fin. J’aime qu’il me bouscule un peu…
    Merci pour cet article.

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  2. Bonsoir je suis tout à fait d’accord avec vous moi j’ai une vraie admiration pour jacques prévert j’ai 61 ans et j’écris depuis que j’ai 12 ans mais depuis quelques années je suis moins inspirée je voudrais bien que la grâce me touche pour m’inspirer commentr fait-on pour participer au concours ? ip

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