Les compléments sont une grande famille : compléments du nom, de l’adjectif, du verbe, de la phrase, de temps, de lieu, de but, de manière, de cause, de conséquence, d’accompagnement, de moyen, et j’en passe. Quelques remarques pour y voir plus clair.
En grammaire traditionnelle
La grammaire traditionnelle (celle que vous avez apprise à l’école, en principe) propose une typologie essentiellement fondée sur des distinctions sémantiques. Elle parle de complément « d’objet », pour désigner l’objet sur lequel porte l’action (indiquée par le verbe). Elle parle, de même, de complément de temps, de lieu, de manière, etc.
Cela a l’avantage d’être assez parlant (le complément circonstanciel de temps, eh bien, ça parle de temps). Mais cette typologie a un gros inconvénient : la multiplication des catégories. On parle de « complément circonstanciel d’accompagnement » pour dire J’assemble un meuble avec mon beau-frère, mais de « complément circonstanciel de moyen » pour dire J’assemble un meuble avec un tournevis, ou encore de « complément circonstanciel de manière » pour dire J’assemble un meuble avec une grande facilité. Si ces compléments sont bien différents par le sens, ils ont en fait un fonctionnement syntaxique semblable.
C’est pourquoi on peut préférer d’autres typologies…
La notion de point d’incidence
Certains grammairiens parlent de « point d’incidence », pour parler (en gros) de l’endroit où s’accroche un mot ou un groupe dans la phrase.
- Le point d’incidence d’un adjectif épithète, c’est le nom qu’il qualifie.
- Le point d’incidence d’un complément d’objet, c’est le verbe qu’il complète.
- Le point d’incidence d’un complément circonstanciel, c’est la phrase entière.
C’est pour cette raison que certains grammairiens parlent de compléments du verbe pour parler des compléments d’objet, et des compléments de phrase pour parler des compléments circonstanciels.
Les tests de discrimination
Pour discriminer un complément du verbe d’un complément de phrase, on peut opérer plusieurs tests :
Complément du verbe |
Complément de phrase |
|
Test de suppression |
Non-supprimable |
Supprimable |
Test de déplacement |
Non déplaçable |
Déplaçable |
Test de pronominalisation |
Pronominalisable |
Non-pronominalisable |
C’est ainsi que les compléments de phrase seront dits supprimables, déplaçables et non-pronominalisables.
Des saisies dans un continuum
Mais il y a un hic. Il y a parfois des cas où les notions traditionnelles de complément d’objet et de complément circonstanciel (définies de façon sémantique) ne coïncident pas tout à fait avec les notions de complément du verbe et de complément de phrase (définies par la notion de point d’incidence). Il y a parfois des cas où vous n’aurez pas les trois critères définitoires ci-dessus en même temps.
Exemple : Je vais à la plage. Le groupe souligné est traditionnellement identifié comme un complément circonstanciel de lieu, portant sur la question « Où ? ». Mais on se rend bien compte qu’il n’est ni déplaçable, ni supprimable, et qu’il est au contraire pronominalisable: J’y vais. On parlera donc de complément du verbe (c’est un complément essentiel).
Comment cela se fait-il ? Il faut penser les compléments dans un continuum, où les notions de complément « du verbe » et « de phrase » ne sont que des saisies (des instantanés) dans ce continuum.
C’est un peu comme l’arc-en-ciel. Il y a des millions de couleurs dans un arc-en-ciel. Mais on ne va en isoler que sept d’entre-elles, et définir l’arc-en-ciel par la succession du rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet. Ces sept couleurs sont une simplification du continuum de l’arc-en-ciel.
Une proposition de classement
Dès lors, on voit bien qu’il est plus pertinent de classer les compléments en fonction d’un critère syntaxique, plutôt que d’opter pour un critère sémantique. On peut par exemple tenter de classer les compléments en fonction du lien plus ou moins fort qu’ils ont avec le verbe. On aura donc, du plus figé au plus mobile et supprimable :
- Les pronoms inanalysables de certains verbes pronominaux : ils sont à ce point soudés au verbe qu’on peut se demander s’ils ne font pas carrément partie du verbe. Exemple : Il s’évanouit (le verbe ne s’emploie qu’à la forme pronominale, on ne peut pas « évanouir quelqu’un »).
- Les compléments d’objet : Le chat mange la souris ; Il la mange. Notez que le COD pronominalisé est à ce point lié au verbe qu’il se retrouve entre « ne » et « pas » à la forme négative : Il ne la mange pas.
- Les « locatifs » (ou compléments essentiels du verbe, autres que d’objet) : Il va à la plage.
- Les compléments circonstanciels : ce sont, de tous les types de compléments, les plus mobiles et supprimables (c’est même par cela qu’ils se définissent). Cependant, au sein même de cette catégorie, il me semble qu’il y a, malgré tout, des compléments qu’on va avoir un peu de mal à déplacer n’importe où. On aura tendance à préférer mettre certains circonstants adverbiaux assez près du verbe. On dira Il mange beaucoup mais pas *Beaucoup, il mange. De même pour Il travaille bien, difficilement déplaçable. En revanche, les compléments circonstanciels qui sont des groupes nominaux ou des propositions ont (me semble-t-il) un lien plus lâche avec le verbe: Lorsqu’il est serein, il travaille mieux ; Il travaille mieux lorsqu’il est serein. Ou encore : Le matin, il travaille mieux ; Il travaille mieux le matin.
J’espère que ce petit récapitulatif, qui s’est voulu le plus simple possible, a été suffisamment clair, sans trop caricaturer les choses. Pour toutes questions, vous pouvez réagir en commentaire ci-dessous.
Bonjour, petite question pratique: est-ce que l’on peut utiliser indifféremment la grammaire traditionnelle comme la nouvelle grammaire ? Est-ce comme pour la nouvelle orthographe ? Merci d’avance !
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Bonjour,
Je dirais qu’il faut surtout rester cohérent avec soi-même : vous pouvez utiliser l’explication grammaticale que vous préférez, mais en vous y tenant, c’est-à-dire sans passer sans cesse d’une analyse à l’autre. Soit vous conservez la terminologie en « complément d’objet » et « complément circonstanciel », soit vous passez à la terminologie « complément du verbe » et « complément de phrase ». La seule chose qui me semble peu recommandable, ce serait de valser entre les deux.
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