Tout, tout, tout sur… les gros mots

Profitons de l’été pour nous intéresser à un sujet beaucoup plus léger qu’habituellement. Je veux parler des gros mots. Ceux que l’on n’entend pas dans une conversation polie. Pourtant, ces mots ont, eux aussi, une étymologie, une histoire, parfois tout aussi complexe que celle de vocables plus raffinés. Et souvent, tout aussi difficile à établir, voire davantage, étant donné que ces mots ont tendance à être plus employés à l’oral qu’à l’écrit. Oreilles sensibles, s’abstenir…

1. D’un mot de trois lettres et ses dérivés

Commençons par nous intéresser à ce mot de trois lettres qui constitue une violente injure à celui à qui on l’adresse.

« Con »

Si le sens le plus courant de ce nom est celui de « stupide, idiot, imbécile », il faut savoir qu’à l’origine, il désignait le sexe féminin. Le mot, attesté à l’écrit dès la fin du XIIe siècle, est hérité du latin cunnus, de même sens, et lui-même d’origine obscure : le Dictionnaire historique de la langue française évoque une parenté avec le grec kusthos et le persan kun.

On peut employer ce nom comme adjectif. Il forme alors un féminin conne qui témoigne de l’adjectivation du mot, mais qui n’est pas toujours utilisé. On relève dans le Trésor de la langue française informatisé l’exemple « Ton histoire est très con ».

« Connard »

Vu de loin, l’adjectif « connard » a l’air d’être un dérivé de « con », augmenté d’un suffixe -ard. De fait, pour le TLFi, un connard est un « triple idiot ». Cependant, étymologiquement, ce n’est probablement pas ce qu’il s’est passé. Si l’on en croit le DHLF, l’adjectif connard résulterait du croisement de con et de cornart.

Si connard est attesté au XIVe siècle, les autres dérivés sont plus récents : ainsi le substantif connerie qui se serait rencontré pour la première fois sous la plume de Flaubert, conne et conneau qui dateraient, de même, du XIXe siècle, tandis que l’adverbe connement n’est attesté qu’au XXe siècle.

Si connasse constitue le féminin de connard, il a cependant connu une première acception, attestée au XVIIe siècle, comme « désignation péjorative du sexe de la femme ».

« Déconner »

Ce dérivé de con a été employé au XVIIe siècle pour désigner un moment de l’acte sexuel correspondant au retrait du sexe masculin. Aujourd’hui, il ne s’emploie plus en ce sens. Le verbe déconner désigne l’acte de faire une connerie, et peut donc signifier « sortir du droit chemin », « faire une erreur », « parler en plaisantant »… Le terme déconnage, évoqué par le TLFi, ne me semble pas très courant.

« Le déconophone »

Pour ma part, je trouve que ce mot est, de toute la série, le plus drôle. Il ne s’emploie guère que par plaisanterie, pour désigner, selon le DHLF, un « discours inepte ». Je trouve ce terme fort savoureux. Il est formé sur déconner sur le modèle de téléphone.

2. Le mot de Cambronne

« Merde »

La longueur de l’article du TLFi sur ce mot montre bien que les mots orduriers sont, comme les termes plus raffinés, susceptibles d’emplois divers. Ce mot, du latin merda signifiant « fiente, excrément », a conservé le sens de l’étymon. Il s’emploie également pour déprécier des choses ou des personnes jugées sans valeur, ainsi que des situations inextricables. Il connaît en outre des emplois spécialisés: les aviateurs l’utilisent pour parler d’un « temps bouché », les imprimeurs pour désigner une encre grasse, et les toxicomanes pour évoquer la drogue. Ce dernier sens, influencé par l’anglais shit, est le plus récent.

Puisqu’il ne faut jamais manquer une occasion de vous cultiver, voici un proverbe du Moyen Âge, daté par le DHLF de l’an 1180 :

« Plus esmuet on la merde et ele plus put. »

Ce qui se traduit, vous l’aurez peut-être deviné, par : « Plus on remue la merde, et plus elle pue ».

Les dérivés

Le mot « merde » connaît de nombreux dérivés suffixaux. Des adjectifs : merdique, merdeux. Des substantifs : merdeux, merdasse. Des verbes : merder, merdoyer

Le verbe merder provient de l’argot scolaire. Quand un élève « merdait », c’est qu’il ne savait répondre à la question posée. Plus généralement, le verbe s’emploie à propos des choses qui ne fonctionnent pas. Quant au verbe merdoyer, il est plus rare. Il signifie, d’après le TLFi, « s’embrouiller, s’empêtrer dans quelque chose », et rejoint merder avec le sens de « ne pas savoir répondre à une question ».

On recense également des mots composés : le fouille-merde est le nom familier du bousier, un animal coprophage. C’est aussi de la sorte que l’on désigne très vulgairement des personnes qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Quant au mange-merde, eh bien, c’est une « personne médiocre, pauvre et besogneuse ».

3. La pute et la putain

Deux pour le prix d’une

La langue française possède deux termes différents pour désigner vulgairement les prostituées : pute et putain. Ce doublet lexical s’explique par des raisons historiques. Au début de l’histoire, nous avons un verbe latin, putere, signifiant « être pourri, corrompu, puer ». Ce verbe a donné un adjectif, pūtidus, signifiant « puant, pourri, fétide ». En ancien français, à la suite d’altérations phonétiques successives, cet adjectif est devenu put, pute, avec le sens de « puant » d’où « mauvais, sale, méchant ».

Cet adjectif s’est conservé dans l’Est de la France, avec le sens de « laid », sous la forme peut, peute. Il s’est substantivé au féminin et l’on a dit une pute pour désigner, donc, une femme de mauvaise vie. Mais, en ancien français, il y avait deux cas : un cas sujet et un cas régime. On disait donc pute au sujet et putain au régime. De la même façon qu’on disait aussi nonne et nonnain. Qui, elles, bien entendu, sont beaucoup plus chastes.

Les deux mots ne connaissent pas les mêmes emplois. L’exclamation Putain !, parfois redoublée en putain de merde ! voire en putain de bordel de merde !, ne fonctionne qu’avec la forme régime, et l’utilisation de la forme sujet serait parfaitement incorrecte.

Parmi les mots de la même famille, on notera les substantifs putanat, putinage et putinerie, ainsi que l’adjectif putanier.

La catin

Souvenez-vous de la chanson de Mylène Farmer : « Je je, suis libertine / Je suis une catin / Je je, suis si fragile / Qu’on me tienne la main ». Oui, la chanteuse utilise le terme de catin, beaucoup moins fréquent à mon avis que celui de putain. C’est le diminutif hypocoristique de Catherine. Avant d’avoir uniquement le sens de « prostituée », le mot a aussi désigné, au Canada, une « poupée », selon le DHLF.

Le bordel

Attesté avant 1105, le mot bordel représente, selon le DHLF, soit le diminutif de bord, soit celui de borde au sens de « petite maison ». Ce mot est hérité du francique borda, signifiant littéralement « planches », ici au sens de « maison de planches ». Toujours selon ce même dictionnaire, le sens étymologique de « maison de planches » est conservé dans des toponymes tels que Bourdeaux ou Les Bordes. En français, on a dit un bordeau, des bordeaux, puis un bordel, des bordels.

Si ce terme a fini par désigner les lieux de prostitution, c’est tout simplement que les prostituées faisaient leur office dans des maisons retirées, à l’écart du bourg. Le substantif connaît des emplois figurés. Le DHLF note le sens de « fiacre » pour l’expression bordel ambulant, aujourd’hui probablement disparue en raison de la disparition même de ces moyens de locomotion hippomobiles. On notera surtout que le terme de bordel désigne un lieu où règne la pagaille et le désordre, et, par extension, un ensemble d’affaires regroupé en un endroit. Il apparaît dans des exclamations et autres jurons.

4. De certaines parties du corps

Cul

Un homme en colère (Pixabay)

Le mot cul désigne trivialement la « partie du corps comprenant les fesses et le fondement », chez l’homme mais aussi chez l’animal. Par extension, il renvoie aussi à la sexualité en général. Enfin, par analogie, il peut servir à nommer des objets ou des parties d’objets, par exemple le cul de bouteille : on notera qu’alors, le mot perd son caractère vulgaire. Attesté, d’après le TLFi, dès le Roman de Renart, le mot vient du latin culus de même sens.

Bite

L’étymologie de ce mot désignant le membre viril n’est pas totalement sûre. Selon le TLFi, il s’agirait probablement d’un dérivé régressif du verbe abiter, signifiant « s’approcher, toucher à », avec l’influence de habiter « posséder charnellement ». Le verbe abiter, terme normand, serait lui-même dérivé de bitter, signifiant « toucher à », lui-même emprunté à l’ancien nordique bita signifiant « mordre ». Je me demande s’il n’y a pas un lien avec le verbe anglais to bite de même sens.

Couille

Le mot couille, désignant le testicule, vient du latin vulgaire colea, lui-même peut-être du latin classique coleus, de même sens que le mot français. Il a produit le dérivé couillon, dont le premier sens est le même que celui de couille. Il me semble que, s’agissant de ce dérivé, ce sont les sens figurés qui sont les plus employés : « sot, imbécile » et « poltron, lâche ». Selon le TLFi, le couillonnisme désigne la « bêtise ou frayeur érigée en système ». Ajoutons que Voltaire qualifiait certaines de ses œuvres de « coillonnerie », afin d’en minimiser l’importance.

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Vous voilà donc éclairés sur quelques uns des mots les plus triviaux et les plus vulgaires du vocabulaire français. Pour toute question ou remarque, n’hésitez pas à laisser quelques mots dans l’espace des commentaires (ci-dessous). J’espère que cet article vous aura diverti !

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