« Mon sceau flamboie », « Ça puire » : une bonne partie des répliques cultes du film Les Visiteurs joue sur le fait que le français, tel qu’il était parlé au Moyen Âge, ne ressemble pas vraiment à celui qui est parlé de nos jours.
Une langue bien différente
Ces différences sont parfois gommées par le fait que nous lisons, le plus souvent, les textes anciens dans des traductions qui les adaptent au français moderne.
A titre d’exemple, on peut citer les premiers vers du roman Erec et Enide, de Chrétien de Troyes, écrit au XIIe siècle :
« Li vilains dit an son respit
que tel chose a l’an an despit
qui molt valt mialz que l’an ne cuide ;
por ce fet bien qui son estuide
atorne a bien quel que il l’ait ;
car qui son estuide antrelait,
tost i puet tel chose teisir
qui molt vandroit puis a pleisir. »
Chrétien de Troyes, Erec et Enide, v. 1-8, p. 1,
Paris, Honoré Champion, 2009.
Vous ne comprenez rien ? C’est normal, c’est de l’ancien français ! Bon, comme je suis magnanime, je vous propose malgré tout une traduction, qui est celle de Michel Rousse dans l’édition Garnier-Flammarion (p. 51) :
« Un proverbe de paysan dit que telle chose qu’on méprise vaut beaucoup mieux qu’on ne croit. Il est donc méritoire d’accorder toute l’attention dont on est capable au sens profond. Car celui qui n’y est pas constamment attentif a vite fait d’écarter quelque chose qui se révélerait source de plaisir par la suite. »
Précisons que, si mes souvenirs sont bons, « molt » se prononçait [mut] et « mialz », [mjo].
Une langue à déclinaisons, comme le latin
Une différence importante entre l’ancien français et le français moderne est la persistance de déclinaisons, certes simplifiées depuis le latin, puisqu’il ne reste que deux cas :
- le cas sujet, souvent marqué au masculin par un -S au singulier et l’absence de marque au pluriel ;
- le cas régime, souvent marqué au masculin par un -S au pluriel et l’absence de marque au singulier.
Ainsi, dans le texte cité ci-dessus, « li vilains » est bien au singulier, et signifie « le paysan ». Bien entendu, le français moderne a généralisé la situation du cas régime : c’est au pluriel que nous mettons aujourd’hui des -s.
Parfois, la différence entre les deux cas ne tient pas qu’à un simple « s » : li bers, le baron ; li cuens, le comte ; la nonne, la nonnain… D’où, d’ailleurs, le doublet pute/putain qui perdure en français moderne, comme le signalait déjà avec humour Claude Duneton dans l’un de ses articles de Sciences et Vie Junior consacrés à la langue française.
Des conjugaisons parfois bien différentes des nôtres
En ce qui concerne les verbes, certaines conjugaisons sont très proches de celles que nous connaissons aujourd’hui (chant, chantes, chante, chantons, chantez, chantent), d’autres au contraire sont bien différentes, comme par exemple :
- l’imparfait du verbe être : ere, eres, ere, eriiens, eriiez, erent ;
- le passé simple du verbe dire : dis, desis, dist, desimes, desistes, distrent.
Le passé simple, à lui seul, connaît quatre conjugaisons dites « faibles » et deux conjugaisons « fortes ».
Ajoutez à cela de fortes variations locales, qui ne simplifient pas les choses. Ainsi, l’extrait cité ci-dessus est considéré comme étant du champenois du XIIe siècle.
Déchiffrer les manuscrits
Une autre difficulté, pour ceux qui étudient les textes anciens, est de déchiffrer les manuscrits, certes souvent recopiés avec soin, mais malgré tout pas toujours très lisibles.
On peut trouver sur le site « Gallica » de la Bibliothèque Nationale de France le manuscrit d’Erec et Enide, dont vous trouverez en lien la première page : essayez de reconnaître les mots, vous verrez que ce n’est pas si facile.
Anc. 7498(4)
Source: gallica.bnf.fr
N’hésitez pas à cliquer sur le lien pour afficher l’image en grand format, directement sur le site Gallica de la BnF.
Les textes français de la Renaissance
Il ne faut pas croire que, sitôt terminé le Moyen-Âge, l’on se soit mis à parler tout de suite un français semblable au nôtre. Certes, l’imprimerie améliore la lisibilité des documents, mais la langue présente encore pas mal de particularités. Si bien que, aujourd’hui, les textes de Montaigne ou Rabelais que l’on fait lire aux collégiens sont, là encore, bien souvent, des traductions, ou plutôt des adaptations.
Les lettrés de la Renaissance, fins connaisseurs de grec et de latin, n’hésitent pas à écrire les mots français en les faisant ressembler à leur étymon latin, ce qui donne des graphies comme « la nuict » (du latin noctem), parfois de façon fautive (sçavoir étant improprement rapproché de scire, alors qu’il vient de sapere).
Par exemple, le fameux prologue du Gargantua de Rabelais commence ainsi, par une adresse à ses lecteurs, désignés comme des « buveurs très illustres » :
« Beuveurs tresillustres, et vous, Verolés tresprecieux, — car à vous, non à aultres, sont dediez mes escriptz, — […] »
Rabelais, Gargantua [1534],
Paris, Pocket, 1992-1998, p. 34.
On comprend le sens, mais l’orthographe reste quand même assez éloignée de celle qui est aujourd’hui la nôtre. On notera le « l » de aultres, à valeur étymologique (de alter, altris), et le « p » de escriptz (à rapprocher de mots français comme « script », « scriptural »…). Remarquez aussi la façon dont Rabelais « colle » l’adverbe « très » avec l’adjectif qui le suit. J’ai déjà vu des textes du XIXe siècle où le lien était encore fait, mais à l’aide d’un tiret (on aurait alors écrit très-précieux, par exemple).
On trouve, de même, sans difficulté, sur le site Gallica, la page correspondant à cette citation dans l’édition originale du seizième siècle. Eh bien, cela ressemblait à cela :
Gargantua
Source: gallica.bnf.fr
Il s’agit ici de caractères imprimés, mais qui restent assez proches des manuscrits quant à la forme des lettres. On notera qu’en milieu de mot, le « v » et le « u » sont écrits de façon semblable, dans « Beuveurs ». On remarquera aussi la présence d’une drôle de lettre, qui ressemble à un « f », et qui n’est rien d’autre que la forme du « s » lorsqu’il se trouve en milieu de mots. Un peu plus bas, le mot « banquet », titre d’une œuvre de Platon, est écrit « bãcquet », avec un trait sur le « a » qui permet de gagner de la place.
Dans le texte de Rabelais, les déclinaisons ont disparu, mais l’orthographe en particulier n’est pas encore celle d’aujourd’hui.
*
La langue française, son orthographe, son vocabulaire évolueront encore jusqu’à nos jours… Contrairement aux textes du Moyen-Âge ou de la Renaissance, il n’est plus guère nécessaire d’avoir recours à des traductions. On peut sans problème lire Racine et Molière dans le texte. Mais, en dépit des apparences, la langue classique n’est pas tout à fait celle que l’on parle d’aujourd’hui. D’autres évolutions, moins visibles peut-être, ont encore eu lieu. Mais ça, c’est une autre histoire… qui sera peut-être le sujet d’un prochain billet !
(Image d’en-tête : Pcdazero, Pixabay, libre de réutilisation)
Merci pour cette mise au point .
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Oh. Eh bien je dois dire que je suis content qu’on ait chassé ces déclinaisons !
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Oui moi aussi 🙂 Mais pour des gens dont c’est la langue maternelle, comme les Allemands, ça doit moins poser problème.
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