Vous n’en avez peut-être pas entendu parler, mais cette semaine, c’est la semaine de la langue française et de la francophonie, du 18 au 26 mars. Comme chaque année, cette manifestation du Ministère de la Culture et de la Communication entend promouvoir et célébrer la langue française. L’édition 2017 s’intitule « Plongez dans le monde virtuel », et met l’accent sur la productivité du vocabulaire en matière de numérique et de nouvelles technologies.
Le numérique : un domaine lexicalement productif
On peut sans doute estimer que, par le choix de ce thème, le Ministère cède un peu trop facilement aux sirènes de la mode, et qu’il est des vocables bien plus intéressants que les termes spécialisés du monde de l’informatique et des médias numériques. Cependant, il faut reconnaître une qualité à ces mots : ce sont des néologismes. Fêtons donc les derniers arrivés du lexique français !
Le site Internet de la Semaine de la langue française propose ainsi une liste de huit mots entrés dans les dictionnaires de 2017 : nomophobie, sitographie, twittosphère, troller, défaçage, déréférencement, émoticône, téléverser. En outre, le Ministère a lancé l’opération « Dis moi dix mots », avec cette année les termes : avatar, canular, émoticône, favori, fureteur, héberger, nomade, nuage, pirate, télésnober. On le voit, il s’agit, pour l’essentiel, de substantifs.
L’influence de l’anglais
Plusieurs de ces mots sont des emprunts à la langue anglaise, même lorsque cela n’est pas directement visible. Il me semble que le verbe téléverser est arrivé dans la langue française par traduction de l’anglais to upload, de même que télécharger traduit l’anglais to download.
Ce verbe est constitué de deux formants :
- le préfixe télé- qui vient du grec, assez productif en français depuis le télégraphe (mot apparu en 1792 selon le Dictionnaire historique de la langue française), le téléphone (1809), le téléviseur, la télécopie, etc.
- le verbe verser, beaucoup plus ancien puisque sa première occurrence à l’écrit daterait de l’an 1080 ; il est issu du latin classique versare.
Comment fabrique-t-on des mots nouveaux ?
Il y a plusieurs façons de produire des mots nouveaux :
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Par emprunt à une langue étrangère (de nos jours, il s’agit essentiellement de l’anglais). On peut encore, cependant, emprunter au latin et au grec, dans la mesure où il s’agit traditionnellement de langues scientifiques dans lesquelles les savants n’hésitent pas à puiser.
Exemple dans la liste des néologismes 2017 : le suffixe -phobie, qui ne dissimule pas ses origines grecques.
Quant au mot avatar, il s’agit d’un emprunt au sanskrit apparu dans la langue française en l’an 1800. Sa signification originelle est liée à l’hindouisme, mais le terme a connu en français des acceptions dérivées. Depuis la fin du XIXe siècle, le mot peut (populairement) s’employer pour désigner une mésaventure. Aujourd’hui, on l’utilise à propos de l’image par laquelle les internautes se représentent eux-mêmes.
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Par dérivation : on crée un nouveau mot en lui ajoutant des affixes (préfixes ou suffixes). Le mot nouveau peut appartenir à la même classe grammaticale que le mot d’origine, ou bien changer de catégorie du fait de la suffixation.
Exemples dans la liste : défaçage vient (d’après le site consulté) de l’anglais defacing, mais on a remplacé le suffixe anglais -ing par un suffixe français -age, qui sert à former des noms d’actions à partir de verbes (par exemple, modeler→modelage).
On notera que l’on reconnaît dans défaçage un radical « face » qui existe en français. Cependant, face n’est pas l’origine du mot : la dérivation a d’abord eu lieu en anglais, puis c’est le mot dérivé qui a été adapté en français.
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Par conversion : il s’agit alors de faire changer un mot de classe grammaticale, sans ajout ni retrait d’affixes.
Exemple dans la liste des néologismes 2017 : on est probablement passé du substantif troll désignant un être surnaturel, généralement malfaisant, au verbe troller désignant une mauvaise façon de participer à des conversations en ligne. Cependant, la conversion avait déjà eu lieu en anglais (puisque le site précise que ce mot vient de l’anglais).
Autre exemple, dans la liste « dix-moi dix mots » : il y a probablement eu conversion pour passer de l’adjectif favori au substantif un favori, qui désigne aujourd’hui non seulement un candidat ou un sportif que l’on estime avoir toutes les chances d’être vainqueur, mais encore une page Web dont on a sauvegardé l’adresse afin de la retrouver plus rapidement.
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Par composition : il s’agit alors de créer un mot composé en associant deux ou plusieurs formants non affixaux.
Exemple dans la liste : le substantif émoticône est présenté sur le site de la Semaine de la langue française comme l’assemblage des mots « émotion » et « icône ».
Il n’est pas impossible que le terme soit en réalité un calque de l’anglais pour traduire smiley. Il me semble avoir lu, il y a longtemps, que nos amis du Québec utilisent, pour leur part, le terme rigolard, assez savoureux.
Le travail des lexicologues

Les lexicologues sont des spécialistes du vocabulaire, qui se consacrent à l’étude des mots. Ce travail ne se limite pas à une révision annuelle de la liste des mots nouveaux à inscrire dans un dictionnaire. Il s’agit aussi :
- de dater la première apparition écrite d’un mot dans une langue,
- de définir de façon précise les différentes significations d’un mot, dans ses différents contextes d’utilisation,
- d’indiquer les liens sémantiques qui existent entre ces significations, en précisant leur ordre d’apparition et la façon dont elles dérivent les unes des autres,
- d’établir l’histoire et l’étymologie d’un mot, parfois encore obscures de nos jours,
- de remonter au-delà de l’étymon immédiat d’un mot (ainsi les mots latins ont-ils eux-mêmes une étymologie),
- de relever les variantes orthographiques d’un mot (l’orthographe ne s’étant fixée que progressivement),
- de s’intéresser à des mots jusqu’à présent peu étudiés par les lexicographes, notamment les termes dialectaux, régionaux, familiers, orduriers, moins bien représentés à l’écrit, et dont l’histoire est donc plus difficile à établir,
- de faire resurgir de l’oubli des mots disparus…
Quelles manifestations dans votre région ?
La Semaine de la langue française et de la francophonie a lieu un peu partout dans le monde entier. Le programme est présenté sur une carte du monde interactive.
Sources
- Site Internet de la Semaine de la langue française et de la francophonie
- Site Internet de l’opération « Dis-moi dix mots »
- Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1992, rééd. 2006.
- M. Riegel, J.-C. Pellat et R. Rioul, Grammaire méthodique du français, Paris, Puf, 1994, rééd. 2009.
- Image de dictionnaire : site « Pixabay »
- Image d’en-tête : création personnelle
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