Des sonnets, il en existe de toutes les sortes. Et pour cause ! Cette forme a été la favorite des Ronsard, des Du Bellay, mais a été aussi pratiquée par les grands poètes modernes comme Baudelaire ou Rimbaud. Au XIXe puis au XXe siècle, on a cherché à jouer avec cette forme, jusqu’à obtenir des résultats qui ne ressemblent plus guère à la forme fixe traditionnelle. Aujourd’hui, je vous propose un « sonnet phonétique ».
À A. DUVIGNEAUX
TROP FOUGUEUX ADVERSAIRE DE L’ORTHOGRAPHE PHONÉTIQUE
È coi vréman, bon Duvignô,
Vou zôci dou ke lé zagnô
E meïeur ke le pin con manj,
Vou metr’ an ce courou zétranjContr (e) ce tâ de brav (e) jan
O fon plus bête ke méchan
Drapant leur linguistic étic
Dan l’ortograf (e) fonétic ?Kel ir (e) donc vou zambala ?
Vizavi de cé zoizola
Sufi d’une parol (e) verde.Et pour leur prouvé sans déba
Kil é dé mo ke n’atin pa
Leur sistem (e), dizon-leur : … !
Ce poème est de la plume de… Paul Verlaine. Et ce qui en fait un tour de force, c’est que l’auteur n’a pas abandonné toute exigence formelle au profit d’une provocation orthographique. Le poème reste un sonnet, il a des rimes, un nombre constant de syllabes. Afin de respecter la mesure octosyllabique, Verlaine s’oblige même à rajouter entre parenthèses des « e » muets que l’orthographe phonétique aurait fait disparaître. Il n’y a qu’un seul élément qui est subverti, et c’est l’orthographe.
On notera d’ailleurs que l’orthographe adoptée par Verlaine, pour être irrégulière, n’est pas strictement phonétique. Le mot « sans », dans le deuxième tercet, possède un -s final muet, conformément à l’usage courant. De même, l’adjectif « bête » conserve-t-il son accent circonflexe. Et il n’y a pas un et un seul graphème pour un phonème : les mots « quoi » et « que » sont respectivement écrits « coi » et « ke ». Si Verlaine n’a pas écrit « koi », c’est peut-être parce que le mot « coi » existe.
Si l’on utilisait l’Alphabet Phonétique International pour écrire ce poème, voici ce que l’on obtiendrait pour la première strophe :
e kwa vʁɛmɑ̃ bɔ̃ dyviɲo
vu osi du kə lez- aɲo
e mɛjœʁ kə lə pɛ̃ kɔ̃ mɑ̃ːʒ,
vu mɛtʁ ɑ̃ sə kuʁu etʁɑ̃ʒ
(Traduction proposée par le Traducteur Phonétique Français en ligne)
A vous de jouer !
Pour conclure, je vous laisse la parole :
- Quel est le sens du mot « verde » (v. 11) ?
- Quel est le dernier mot du poème, simplement suggéré par Verlaine ?
Réponse dans une semaine !
Bonjour, quelle est donc la signification du mot « verde »? car je me suis amusé à retranscrire ce sonnet mais je ne comprends pas le sens de ce mot?
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Sans doute « verte » (du latin viridis).
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C’est ce que je me suis dit mais quel sens donner à « parole verte » dans ce cas ?
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L’un des sens du mot « vert » est « cru », « qui ne s’embarrasse pas des convenances » (voir la définition du CNRLT). Je pense qu’il n’est pas impossible que ce soit ce sens-là, surtout que le mot sous-entendu final est « merde ».
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J’aime beaucoup ce sonnet. Je l’ai lu pour la première dans le « Bon Usage » de Maurice Grévisse et me suis empressée de le communiquer à mes élèves de collège pour les détendre. Mais dans le « Bon Usage », les « e » dits muets ne sont pas écrits entre parenthèses, car en poésie, ils ne sont pas muets, sauf en fin de vers ou pour éviter un hiatus. Je ne comprends donc pas pourquoi vous les avez écrits entre parenthèses.
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Le poème était écrit comme cela dans la version que j’avais sous les yeux, et je suppose que ces parenthèses viennent de Verlaine lui-même. En tout cas elles ne viennent pas de moi.
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Latin « uiridis » (cf. les mers virides dans « Voyelles », de l’ami Rimbaud), puis Cambronne : élémentaire, mon cher Gabriel ! 😉
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