Connaissez-vous le professeur Frœppel ? Cet illustre savant, né de l’imagination de Jean Tardieu, est avant tout un spécialiste du langage. Dans Le Professeur Frœppel, Jean Tardieu rassemble « le journal de sa folie, le récit de sa mort, ses œuvres théâtrales, scientifiques, poétiques et pédagogiques […] ». Ce recueil présente ainsi, notamment, de savoureuses saynètes, qui dévoilent toute une « comédie du langage ».
1. « Fiel, mon zébu ! » ou un mot pour un autre
L’intrigue d’Un mot pour un autre est assez banale, façon vaudeville. Mais les personnages ne s’expriment pas de façon conventionnelle, puisqu’ils utilisent systématiquement un mot pour un autre. Loin de rendre la signification originelle inintelligible, ce jeu de langage crée toute la saveur de la saynète.
Exemple lorsque « Madame » veut congédier sa domestique : « Eh bien, ma quille ! Pourquoi serpez-vous là ? Vous pouvez vidanger ! » (Comment traduiriez-vous ce passage en langage normal ? Je vous laisse essayer dans les commentaires !)
Dans cette pièce, un lampion est un amant. Et quand Madame de Perleminouze s’exclame « Fiel ! Mon zébu ! », tout le monde entend : « Ciel ! Mon mari ! »…
Je vous laisse le soin de traduire cet échange, qui tient de la conversation quotidienne de boudoir à l’heure du thé :
— Un peu de footing ?
— Vol au vent !
— Deux doigts de potence ?
— Je vous en mouche !
— Un ou deux marteaux ?
— Un seul, s’il vous plaît !
2. Les mots inutiles
Autre pièce, autre contrainte : cette fois-ci, le jeu de langage consiste à introduire des mots inutiles au milieu des phrases.
« Non, vois-tu, tout ce bruit, tous ces gens qui parlent à tort et à travers, sébile, astrakan, Canada, pour ne rien dire, pince à épiler, hors classe, rage de dents, corne de cerfs — cela me fatigue les oreilles. »
3. Finissez vos phrases !
Le titre même de la pièce suffit à indiquer la nature du jeu de langage qui y est pratiqué. Là encore, le résultat est fort savoureux. Et la suppression de la fin des phrases n’enlève rien à l’intelligibilité de la conversation. Jugez plutôt :
— Oh, chère amie, quelle chance de vous…
— Très heureuse, moi aussi. Très heureuse de… vraiment oui !
— Comment allez-vous, depuis que ?…
— Depuis que ? Eh ! bien ! J’ai continué, vous savez, j’ai continué à…
— Comme c’est !… Enfin, oui vraiment, je trouve que c’est…
— Oh, n’exagérons rien ! C’est seulement, c’est uniquement… Je veux dire : ce n’est pas tellement, tellement…
Le langage, personnage central
Ces piécettes, amusantes à lire comme, sans doute, à jouer, se délectent du langage qui en est bien le personnage central. Voici le langage quotidien, le langage de la conversation mondaine, déformé, transformé, pour mieux en faire apparaître le ridicule.
Il y a quelque chose d’oulipien dans cette façon de choisir une contrainte langagière comme stimulant pour l’écriture. Et d’ailleurs, il est fort loisible d’imaginer d’autres pièces qui se fonderaient sur d’autres contraintes, comme écrire en inversant l’ordre des mots, par exemple.
Alors, cédons sans réserve à la jubilation des mots !
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