Vendredi 2 février, 20 h, à Nice. A deux pas de la place Masséna, dans une étroite ruelle, se trouve l’entrée de la galerie Depardieu. Une immense queue de sirène argentée trône actuellement dans cette belle galerie d’art où de massives colonnes de pierre laissent supposer le grand âge du bâtiment. Il faut se rendre au sous-sol où nous attendent le réalisateur Georges Sammut et le scénariste Daniel Cassini, psychanalyste. Au programme de la soirée, la projection de deux films de Georges Sammut : « Les temps fous » et « Le rire d’Eros ? ».
La folie sous toutes ses coutures
Le premier film se constitue d’un assemblage de séquences célèbres illustrant le thème de la folie. Le réalisateur explique avoir pioché dans plus d’une trentaine de films, s’étant volontairement limité à un seul film par réalisateur et par acteur. En effet, le thème de la folie fait l’objet d’une multitude d’interprétations au cinéma, et Georges Sammut avait l’embarras du choix.
J’ai immédiatement reconnu la fameuse scène de la douche chez Hitchcock, le laïus du Dictateur avec Charlie Chaplin, certaines scènes tirées de Apocalypse Now, mais il y avait beaucoup d’autres extraits, parfois diffusés en plusieurs morceaux. Il s’agissait toujours d’extraits très brefs, montrant des situations, des visages de la folie, ou plutôt différentes représentations cinématographiques de la folie, et non des trames narratives. Le découpage et le remontage isole ainsi des moments de crise, des cris, des convulsions, des comportements étranges. Le réalisateur a choisi de conserver la bande son d’origine, mais en intervertissant parfois les musiques. Les extraits successifs ne duraient pas plus de quelques dizaines de secondes.
L’ensemble, volontairement dérangeant, cherche sans doute à bousculer un peu le spectateur par cet assemblage dense de scènes extrêmes. Ainsi séparées de leur contexte narratif originel, les différentes séquences font apparaître le spectacle de la folie. Pour ma part, ne connaissant pas un certain nombre des films évoqués, je ne pouvais reconstituer l’histoire des personnages, ni comprendre les causes de cette folie. Ce n’était, du reste, pas l’objet de ce film qui a volontairement isolé ces séquences de leur contexte.
J’y ai donc vu tout à la fois l’hommage d’un réalisateur à de grands cinéastes, une manière de revoir l’histoire du cinéma sous un angle particulier, et en même temps un regard brut sur une folie dont l’artifice du cut-up exacerbe le caractère inexplicable, étrange, voire terrifiant. Certes, ce n’est pas la folie elle-même que l’on contemple mais des acteurs qui jouent la folie ; il n’empêche que l’on a malgré tout la sensation d’être placé dans une posture de voyeur, comme si un cameraman s’était introduit dans l’intimité de la démence.
L’érotisme selon Georges Bataille
Le deuxième film s’intitulait Le rire d’Éros ?, et consistait en une mise en images et en voix de textes érotiques de Georges Bataille. Ce dernier, né en 1897 et mort en 1962, est un écrivain français sans doute davantage connu pour ses ouvrages philosophiques — tels que La part maudite ou La littérature et le mal — que pour ses récits érotiques, souvent initialement parus « sous le manteau », à une époque où la censure était encore puissante. Pour Georges Sammut et Daniel Cassini, l’on ne peut bien comprendre Bataille que si l’on conçoit son œuvre comme un tout. Il n’y a donc pas de rupture entre la pensée philosophique et les récits érotiques.
Daniel Cassini ajoute que, dans la pornographie, tout est strictement pensé d’un point de vue masculin, le « tout phallique », négligeant ainsi de considérer le désir, la jouissance et le plaisir féminins. Le film entend ainsi s’écarter d’une représentation de type pornographique afin d’illustrer l’érotisme selon Georges Bataille.
Comme le film précédent, Le rire d’Éros ? joue du montage de plusieurs sources, puisqu’il emprunte à plusieurs récits érotiques de Georges Bataille. Le texte est tantôt lu en voix off, tantôt affiché à l’écran en caractères roses. Une musique plutôt dissonante accompagne les images en noir et blanc.
On voit d’abord un homme âgé assis sur un banc. Qui est-il ? Le texte du programme indique : « Ce film passe d’un récit à l’autre guidé par un homme que la vieillesse égare. Est-ce Bataille se souvenant, un lecteur fasciné s’immisçant dans le jeu des fictions ? Disons simplement le « metteur en corps » de cette évocation échevelée où se mêlent larmes d’Éros et rire de Thanatos ».
Cet homme sur un banc, donc, est visiblement tourmenté. Il s’éponge le front, change de position, et affiche un regard grave. Ces séquences de l’homme sur le banc alternent avec des visions correspondant à des extraits du récit de Bataille : femmes nues dans des positions lascives, ondulations qui font à la femme un corps de poulpe, extraits de tableaux, visions de confessionnal, femme écrasant un œuf au-dessus de son visage… L’un des textes finaux évoque une femme s’insérant un globe oculaire dans le sexe, un globe au regard terrifiant et aux larmes d’urine.
Ces extraits de récits mis en images manifestent l’importance de la mort dans l’érotisme selon Bataille. Il n’y a, semble-t-il, rien de léger ni de joyeux dans cette conception où le sexe semble essentiellement une confrontation avec la mort. Du reste, je ne crois pas qu’il ait été question d’amour. On a l’impression que le vieil homme sur le banc a été comme ravagé par ses expériences érotiques, comme si le sexe était une drogue aux dangereux effets secondaires.
Heureusement, l’on n’est pas obligé d’adhérer à une conception de la sexualité à ce point centrée sur la mort. Il doit bien y avoir moyen de vivre la sexualité et l’érotisme sur un mode plus léger, plus joyeux, où la rencontre des corps soit un moment de partage, de complicité, d’union, bref, d’amour…
Pour en savoir plus…
- Annonce de l’événement sur le site « Côte d’Azur »
- Article de Wikipédia sur Georges Bataille
- Liste des articles de Daniel Cassini dans la revue Oxymoron de l’université de Nice
- L’image d’en-tête provient de Pixabay.
Merci à Daniel Cassini de m’avoir contacté pour m’informer de cette intéressante manifestation.
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merci Gabriel pour ce bel article. Une précision : Georges Bataille est mort, hélas, en 1962 et pas en 1982. Cordialement. Daniel Cassini
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Merci à vous, je corrige !
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A reblogué ceci sur Alessandria today.
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Merci beaucoup !
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