Notamment connu pour avoir été le directeur artistique du Printemps des Poètes, Jean-Pierre Siméon est un poète, romancier et dramaturge reconnu. Son œuvre, riche de nombreux ouvrages, a été saluée par plusieurs prix. Il présente en outre la particularité d’avoir beaucoup écrit pour la jeunesse. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’un de ses ouvrages se soit retrouvé dans les rayonnages de la médiathèque de Saint-Jean-Cap-Ferrat, où l’un de mes élèves a attiré mon attention sur lui. Je vous présente donc aujourd’hui le poème intitulé « Rwanda ô Rwanda », dans Ici, paru en 2009 chez Cheyne.
« Écoutez
Rwanda Rwanda
on dirait le prénom d’une fille d’Afrique
au pas d’antilope
au rire clair
comme un éclat d’eau dans la nuitmais ce fut un jour Rwanda
un des noms du malheurRwanda écoutez bien Rwanda
cela sonne comme le nom d’une ronde
une ronde d’enfants au bord d’un lac
et le refrain d’un chant
pour acclamer le jourmais ce fut un jour Rwanda
un des noms de la haineécoutez encore
Rwanda ô Rwanda Rwanda
cela pourrait être au bord des lèvres
la parole de magie
qui fait venir les pluies
ou l’écho d’un refrain
pour la nocemais ce fut un jour Rwanda
l’autre nom de la mort »
Jean-Pierre Siméon, « Rwanda ô Rwanda »,
dans Ici, Cheyne éditeur, coll. « Poèmes pour grandir », 2009.
De quoi parle ce poème ? Du Rwanda, cet État d’Afrique de l’Est, vingt-cinq fois plus petit que la France et cinq fois moins peuplé, mais qui a beaucoup fait parler de lui, en raison de la terrible guerre civile qui s’y déroula dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, avec les horreurs que l’on sait. C’est très probablement à cet épisode historique que fait référence Jean-Pierre Siméon lorsqu’il parle de malheur, de mort et de haine.
Mais le Rwanda, ce n’est pas seulement ça. Aussi le poème est-il structuré de telle manière que s’y opposent les strophes longues, où le poète chante la beauté d’un pays comparé à des rires et des rondes d’enfants, et les distiques, brefs couperets qui rappellent cet épisode tragique. Pour emprunter au vocabulaire de la chanson, l’on pourrait appeler les uns, des couplets, et les autres, des refrains. Car voyez comme les structures syntaxiques se répètent… Ce poème emprunte à la chanson enfantine — quoi de plus naturel dans une collection destinée à la jeunesse –, mais pour en faire un véritable chant.
En commençant par « Écoutez, écoutez », Jean-Pierre Siméon inscrit le lecteur dans le poème. Le lecteur, ou plutôt l’auditeur, le public. Le poète retrouve ainsi la tradition de la poésie orale, celle des aèdes, des bardes et des griots, celle d’une parole qui interpelle directement un public.
Et que s’agit-il d’écouter ? Rien d’autre que le nom « Rwanda » lui-même. Un nom qui, dès lors, cesse d’avoir simplement une fonction pratique, celle de désigner un pays, pour redevenir ce que tout mot est avant tout, une succession de sons que l’on redécouvre alors grâce au poète qui le réénonce pour nous.
Rwanda n’est alors plus seulement le nom d’un pays ou d’une guerre, mais aussi une incantation, une formule magique que le poète se plaît à répéter tout au long du poème, comme s’il suffisait de prononcer le mot pour que surgisse cela même qu’il désigne. Le poète dit : Rwanda, et voici qu’apparaissent des images de jeunes filles « au pas d’antilope », de « ronde d’enfants au bord d’un lac »… La parole poétique s’apparente ainsi aux invocations traditionnelles qui appellent la pluie.
La beauté du poème tient à ce balancement entre, d’une part, la magie du mot, la joie de l’enfance, le miracle de la vie, et d’autre part, la conversion de ce même mot en haine, malheur et mort.
Pour en savoir plus :
- Présentation du recueil Ici sur le blog « i-voix » : il y est rappelé que l’ouvrage est un beau livre, illustré avec des formes découpées dans des textes de journaux
- Articles Jean-Pierre Siméon et Rwanda sur Wikipédia
- Sur ce blog : Le Printemps des Poètes 2017 fêtait l’Afrique
A reblogué ceci sur Alessandria today.
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Merci !
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