Qu’est-ce que la critique littéraire ?

Je viens de voir passer un article sur le site d’une radio nationale intitulé « Que vaut » tel recueil de poésie. Une telle formulation laisse ouverte la question de la valeur du livre de poésie, ce qui est assez rare dans le discours sur la poésie, où, généralement, aujourd’hui, on dit du bien ou on se tait. J’ai donc eu envie de vous parler de la critique littéraire, et plus largement de l’ensemble des discours sur la littérature.

1. La critique littéraire dans l’Histoire

Dans un premier temps, nous adopterons une perspective historique, résumant à très gros traits les transformations significatives survenues depuis l’époque de l’Ancien Régime jusqu’à nos jours. Toute cette première partie est directement inspirée des notes que j’avais prises en cours de Master, lorsque je suivais les enseignements de Jean-Marie Seillan et de Béatrice Bonhomme à l’Université de Nice, respectivement spécialistes des XIXe et XXe siècles, qui ont proposé un séminaire sur l’histoire de la critique littéraire.

1.1. Dans l’Ancien Régime

Aristote (buste romain en marbre, copie d’un bronze grec)
(Wikipédia)

Dès l’Antiquité grecque, la littérature s’est accompagnée d’un discours sur la littérature, un discours que l’on peut dire métalittéraire, métacritique ou encore métadiscursif selon la dimension sur laquelle on veut insister. Et, dans l’Antiquité grecque, c’est surtout le nom d’Aristote qu’il faut retenir, puisque c’est lui qui observe les réalités littéraires et en dégage des catégories. Dans un livre intitulé Poétique, il classe ainsi, par exemple, les pièces de théâtre dans les catégories de comédie et de tragédie. Il définit la tragédie comme la pièce de théâtre qui suscite chez le spectateur à la fois terreur et pitié. C’est encore Aristote qui est à l’origine de la notion de catharsis.

Au cours du XVIIe siècle, l’héritage intellectuel d’Aristote et d’Horace, considérés comme des poéticiens fondamentaux par les grands auteurs classiques, orientait l’analyse vers la conformité des œuvres aux règles spécifiques de chaque genre. Les débats qui animaient la scène littéraire portaient par exemple sur les règles de la tragédie, des controverses entourant le Cid, ou des discussions sur la Princesse de Clèves. Les critiques de l’époque possédaient une conception préétablie des normes propres à chaque genre, comprenant par exemple les unités et la vraisemblance, et elles évaluaient les œuvres en fonction de ces critères, mesurant l’écart par rapport aux règles établies. Ainsi, l’objet de la critique n’était pas simplement une œuvre en elle-même, mais plutôt l’ensemble des règles qui régissaient la création artistique dans un genre particulier. Il était impératif de rédiger en conformité avec ces normes pour être encensé par la critique. Cette tendance perdurera au XVIIIe siècle, où les contraintes génériques demeureront en partie héritées du siècle précédent.

1.2. L’essor de la critique au XIXe siècle

1.2.1. Le dépassement des critères classiques

Au cours du XIXe siècle, le romantisme a laissé une empreinte indélébile sur la conception artistique, plaçant au premier plan la sphère intime du moi. L’essence même d’une œuvre repose désormais sur la capacité à transmettre une émotion immédiate, un concept qui trouve écho dans les réflexions de Sainte-Beuve. La critique de cette époque se distingue par sa nature profondément biographique, orientant son attention davantage vers l’auteur que vers les mécanismes formels employés. Le portrait littéraire émerge en tant que genre privilégié, illustrant un intérêt marqué pour la personnalité et la vie intérieure de l’artiste. Ainsi, la qualité d’une œuvre se mesure à la sensibilité avec laquelle elle restitue et transmet les émotions, s’inscrivant ainsi dans le mouvement plus vaste du romantisme qui a révolutionné les perspectives artistiques du XIXe siècle.

Bien évidemment, je peins ici à très grands traits. Dans les faits, certains critiques du XIXe siècle, comme La Harpe ou Népomucène Mercier, restent attachés aux principes classiques hérités des siècles précédents. Mais un critique comme Sylvestre de Sacy est bien conscient de l’impossibilité d’en rester aux anciennes règles. Sylvestre de Sacy observe avec acuité la désorientation de la critique, qui, après avoir délaissé le système rassurant de l’imitation des Anciens, se trouve dépourvue d’un socle conceptuel solide. Le décloisonnement et l’hybridation des genres, opérés par le mouvement romantique, ont profondément transformé le paysage artistique. L’émergence du drame romantique, résultant de la fusion du sublime et du grotesque, de la tragédie et de la comédie, témoigne de cette rupture avec le modèle traditionnel de l’imitation des Anciens. Ainsi, la critique littéraire se trouve face à un défi épineux, devant s’adapter à une nouvelle réalité artistique où les anciennes normes ne sont plus applicables. L’interrogation persiste quant à la nature et à la fonction de la critique dans un contexte où la notion d’imitation a perdu sa pertinence, laissant place à un terrain artistique en perpétuelle mutation.

1.2.2. L’empathie beuvienne et ses limites

Portrait de Sainte-Beuve (Wikipédia, domaine public)

Un peu plus loin dans le XIXe siècle, le critique Sainte-Beuve développe une critique biographique, qui s’intéresse à l’homme, à l’écrivain, dans la droite ligne d’un romantisme qui a placé l’individu au centre de la réflexion. Dès que les jeunes romantiques occupent le champ littéraire, à partir de la Restauration (1815), ils promeuvent des idées radicalement différentes de ce qui avait pu avoir cours pendant l’Ancien Régime : il faut produire un moi personnel et original. Qu’importent les règles : ce qui compte, c’est que le texte soit en accord intime avec son auteur. Le romantisme va battre en brèche une esthétique de l’imitation, au bénéfice d’une esthétique de l’originalité, de l’individualité, donc de l’intervention massive du « moi » dans l’œuvre. Donc, si le moi dans sa singularité devient essentiel dans l’œuvre, il faut pour comprendre l’œuvre remonter du texte au « moi ». Sainte-Beuve, contemporain des romantiques les plus éminents, ami de Hugo, va représenter pendant près de 40 ans un modèle critique biographique.

La méthode de Sainte-Beuve est celle de l’empathie. Il s’agit de se mettre à la place de l’auteur, de s’installer dans son univers intérieur, par une sorte de ventriloquisme critique. Sainte-Beuve apprécie l’anecdote, la digression, allant parfois jusqu’à peindre l’écrivain dans son quotidien, dans son intimité. En somme, il va pousser la porte de la chambre ou regarder par le trou de la serrure. C’est là le sens du plaisir délectable qu’il trouve dans la critique, parfois jusqu’à l’indiscrétion. Il cherche, dans le grand écrivain, l’homme de tous les jours, ses habitudes, montrant par exemple Corneille avec son bonnet de nuit. Cette méthode, si on la juge avec nos yeux d’aujourd’hui, a des limites évidentes, rabaissant l’écrivain à des anecdotes du quotidien qui n’éclairent que très peu l’œuvre elle-même. Cependant, il n’est pas sans intérêt d’étudier la biographie d’un écrivain, s’en priver peut mener à des contresens sur l’œuvre, mais il faut le faire avec mesure.

Le XIXe siècle est aussi l’époque où la lecture se démocratise et où apparaît une littérature de masse, avec des romans-feuilletons qui sont un peu l’équivalent de nos séries télévisées d’aujourd’hui : un loisir populaire. En 1836, on a l’idée de diviser par deux le prix des journaux, et de financer le manque à gagner par de la publicité. C’est la naissance d’une littérature de masse. L’un des débats qui agitera la critique au XIXe siècle portera sur la valeur de cette nouvelle forme de littérature : que vaut-elle ? Bien sûr, dès qu’il y a quelque chose de nouveau, il y a des gens pour s’y opposer. Est-ce de l’art ou de l’industrie ? Des critiques comme Louis Reybaud, Louis Desnoyers ou Alexis de Tocqueville ont des points de vue bien différents sur la question.

1.2.3. La naissance d’une critique « scientifique »

Hippolyte Taine (Wikipédia)

Malgré tout, le XIXe siècle est celui où se cherche une critique « scientifique ». Il faut rappeler que le XIXe siècle voit naître le positivisme. Le positivisme, incarné par Auguste Comte, vise à établir le savoir de manière rationnelle. Les conflits entre l’Église et les libres penseurs, bien que temporairement assourdis sous la Restauration, resurgissent avec vigueur. Comte cherche à confronter la vérité révélée par la religion à une vérité démontrée par la science. La littérature n’échappe pas au rationalisme positiviste. Les critiques veulent mettre au point des théories permettant d’introduire de la rationalité dans ce qui, à leurs yeux, n’en avait pas. C’est ainsi que Taine, dans l’Histoire de la littérature anglaise, met au point un système explicatif de l’œuvre littéraire. Taine insiste sur les trois déterminismes de la race, du milieu et du moment. La pensée déterministe de Taine a l’inconvénient de mener au « racialisme », voire au racisme, puisqu’elle peint des individus déterminés par leurs origines ethniques, leur milieu de vie et leur époque. Brunetière, quant à lui, construit une méthode inspirée de Darwin. Il prend à la science un modèle explicatif et le transfère sur le terrain historique des genres littéraires. C’est intéressant, et bien sûr très imprudent comme tout transfert d’un domaine à l’autre. Il reste que ça a donné un texte intéressant.

Chez Lanson au contraire, les sciences exactes se replient sur leur territoire. Lanson est un professeur de littérature, l’un des plus éminents de la fin du XIX, et il est l’un des rares à avoir donné son nom à une méthode (adj. « lansonien »). C’est le premier théoricien de l’histoire littéraire. Il existe, aujourd’hui, une revue qui s’appelle la RHLF, Revue d’Histoire Littéraire de la France : c’est le bébé de Lanson. Elle naît en 1894 et elle marque le début de la critique littéraire historique. Lanson propose une double évolution épistémologique : non seulement il prend ses distances par rapport aux sciences « exactes », mais il se méfie aussi de l’Histoire. On assiste à la fracturation du continent épistémologique : l’îlot de la critique littéraire se sépare de la science et de l’histoire. La critique littéraire se constitue par référence à la méthode historique. Il ne s’agit pas de couper les liens totalement, mais d’avoir une méthode propre. Il s’agit d’encercler l’œuvre du dehors, par une vaste érudition : c’est une critique externe. La recherche des sources consiste à dire d’où telle idée vient (ce qui ne montre pas la spécificité d’un grand auteur !). L’idée est que, si l’on retranche ce qui a été pioché quelque part, ce qui reste, c’est ce qui est unique, c’est le génie de l’auteur.

1.3. Les orientations de la critique au XXe siècle

Pour brosser les choses à grands traits, au cours du XXe siècle, l’attention portée à la biographie des écrivains a notablement décliné, laissant place à une approche axée principalement sur les œuvres littéraires et les textes. L’intérêt autrefois prédominant pour la vie personnelle des auteurs s’est estompé, cédant la place à une vénération du sacro-saint Texte, comme le souligne avec éloquence Roland Barthes lorsqu’il évoque la « mort de l’auteur ». Dans cette perspective, l’œuvre littéraire devient l’objet central d’analyse, détachée des considérations génériques ou des éléments biographiques de l’auteur. Ainsi, au XXe siècle, la focalisation se déplace du créateur vers la création, mettant en avant la primauté du texte en tant qu’entité autonome, indépendante des circonstances personnelles de son auteur.

Cependant, un certain nombre de courants de pensée continuent de pratiquer une critique externe, consistant à expliquer des œuvres littéraires en les éclairant par des systèmes de pensée. On a appliqué à la littérature les théories de la psychanalyse, du marxisme, de la mythocritique, du structuralisme…

1.3.1. Le Contre Sainte-Beuve de Proust

L’ancêtre de la critique du XXe siècle est le Contre Sainte-Beuve de Proust qui occupe une place charnière pour l’élaboration de la critique littéraire au XXe siècle. C’est un ouvrage qui rassemble critique d’art et création romanesque, puisqu’on y trouve une biscotte qui sera l’ancêtre de la fameuse madeleine de Proust. Marcel Proust y expose avec modernité ses idées sur l’écrivain et l’écriture, en montrant que l’art est irréductible à la vie sociale de l’écrivain. Il y a aussi un mépris pour la critique intellectualiste : la critique que voudrait Proust est une critique qui retourne au texte et essaie de se situer non dans l’intelligence mais plutôt dans la sympathie d’une œuvre. Pour Proust, la critique intellectualiste de Sainte-Beuve reste superficielle, mondaine. L’important réside non dans la conversation, l’amitié, l’intelligence, mais dans la subjectivité, l’amour, la solitude.

1.3.2. La critique de la conscience

Une école critique du XXe siècle est la « critique de la conscience », conduite par un groupe qu’on a fini par appeler l’école de Genève, qui prône un retour à la conscience de l’auteur étudié (et non à l’homme). S’y rattachent Marcel Raymond, Albert Béguin, Georges Poulet, Jean Rousset et Jean Starobinski.

Marcel RAYMOND est le fondateur involontaire de cette école (1897-1984), et dans Le sel et la cendre (Corti, 1976, première ed. en 1970), il en retrace l’histoire. La première grande œuvre de Raymond est De Baudelaire au surréalisme (1933, réed. Corti 1940). C’est une vraie révolution dans la critique littéraire car Raymond est attiré par « l’histoire de l’esprit » et par « l’inquiétude métaphysique » des auteurs. Pour résumer, il essaie de mettre l’accent sur « le problème crucial de l’être », démarche ontologique appliquée aux écrivains. Il explique sa méthode : « C’est une façon d’être au monde, de s’y sentir à l’aise ou opprimé, que je m’efforçai de décrire. » Il en passe par une critique d’identification à l’auteur, au point de ne choisir que des auteurs proches de lui-même, et avec lesquels il peut faire une « critique d’identification ». Les mots mêmes de l’écrivain permettent au critique de reconstituer l’expérience centrale à l’origine de la création, cette façon d’être au monde et de percevoir le monde. Il a des affinités avec Rousseau (1962), avec son essai Jean-Jacques Rousseau, la quête de soi et la rêverie (toujours chez Corti, 1962), avec Senancour, Fénelon (Fénelon, paru en 1967). Il a aussi écrit sur Jacques Rivière. Tous ces écrivains sont « de même lignée » et ont un style « souple, musical ». Ils sont de même famille, de même esprit. Sa démarche est « dialectique » : le critique se nie lui-même pour accueillir un autre, et du même coup il redécouvre son propre être au monde. Cela transforme le concept de littérature, cette fois centrée sur le « drame personnel de l’auteur et sa figure irremplaçable ». C’est ce désir de revenir à l’expérience primordiale à l’origine de la conscience qui fait qu’on est dans un être-au-monde particulier, « saisir les structures qui se trahissent par des lignes de force », figures obsédantes, révélatrices, « structures fondamentales de l’imagination créatrice ». On a pu appeler cette critique « ritualiste ».

Albert BEGUIN (1901-1957) est un autre critique dans la lignée spiritualiste. Il écrit un texte qui aussi sera extrêmement remarqué, dès 1939, L’âme romantique et le rêve (chez Corti aussi). Il va faire plusieurs travaux sur Nerval, Hugo, sur des auteurs liés au rêve, au romantisme, au fantastique, à la mystique, comme par exemple Péguy ou Bernanos. On considère sa critique comme « spirituelle », car c’est une recherche du lien de l’auteur au monde comme profondément ancré dans la spiritualité. Il y a chez Béguin une quête de l’absolu. Comment fonctionne-t-il ? Comme Raymond, il ne travaille que sur des auteurs qui lui sont très proches. L’expérience sur les poètes qu’il travaille le renvoie à l’angoisse existentielle et le lien au monde. Ce qui lui importe dans une œuvre, 1) c’est sentir l’impression d’une interrogation personnelle inéluctable, 2) le drame unique que vit chaque écrivain, 3) la famille spirituelle dans laquelle il s’insère. Il est significatif que, très proche de la critique proustienne, la critique commence par une méditation personnelle, autobiographique. Il y a toujours un engagement du critique au côté des écrivains qu’il étudie. Ce qui fait le centre de sa critique est qu’elle est un peu comme une aventure métaphysique, qui essaie de voir dans l’écrivain la dimension personnelle et spirituelle. C’est une critique subjective : « A tout ce que je fais, je mêle le moi-même ». C’est une critique de sympathie, d’identification, de participation aux côtés de l’auteur. Il a été le directeur de la revue Esprit, qui a produit Bonnefoy, Jaccottet, poètes des années cinquante.

Georges POULET a une approche différente en ce qu’il est moins tourné vers la monographie, il va au contraire produire des études transversales. Études sur le temps humain (Plon), La conscience critique (Corti, 1971), La poésie éclatée (Puf, 1980). Les Études sur le temps humain ont été saluées comme d’une totale nouveauté, et ce qui est nouveau, c’est que contrairement à Raymond et Béguin, Poulet définit non pas un auteur mais l’esprit qui a donné naissance à des livres. Il remonte jusqu’à la pensée, le cogito, qui engendre un livre. Pour lui, la pensée est l’acte même de la vie spirituelle. Il ne dresse pas un portrait biographique ou littéraire mais un portrait spirituel d’un auteur. Quand il a travaillé sur plusieurs auteurs, il les relie à travers un thème transversal. C’est une critique d’identification : « la lecture est un acte de possession », il y a une « relation d’identité » avec l’œuvre. Il faut essayer de reproduire l’expérience de l’écrivain dans trois catégories, trois questions à se poser quand on « devient » l’auteur étudié, quand on s’identifie avec lui : Qui suis-je ? Quand suis-je ? Où suis-je ? Qui aimé-je ? Il parle du « regard amoureux » du critique, de l’envahissement d’autrui et l’élimination du moi durant la lecture, sympathie identificatrice pour trouver le « cogito ». On a classé Poulet parmi les spiritualistes.

Jean STAROBINSKI va joindre à la critique spirituelle d’autres formes de critique comme la psychiatrie et la psychanalyse (c’est un médecin) et qui va pouvoir utiliser d’autres approches du texte littéraire. Il utilise aussi la linguistique (il a préfacé le livre de Léo Spitzer). Il a publié La transparence et l’obstacle (Plon, 1957) sur Jean-Jacques Rousseau, L’œil vivant (Gallimard, 1961), Montaigne en mouvement… Dans sa théorie, tout repose sur le regard. Le regard critique est particulier, demande amitié, symbiose et distance. Il propose une poétique du regard : voir ce qu’il a dit sur la peinture. De la vue au sens, le regard critique redonne vie au monde imaginaire. Il y a à la fois coïncidence, contact, et en même temps distance. S’il se rapproche des précédents par la symbiose et l’identification, il trouve son originalité en définissant, à un certain moment, une certaine distance pour avoir une vision plus panoramique, plus surplombante, sur ce qui entoure l’œuvre. Il y a donc un va-et-vient entre l’intimité et la totalité. D’abord se perdre dans la conscience de l’œuvre (mimétisme) et ensuite prendre une perspective panoramique (distance critique).

1.3.3. Les critiques inspirées par la psychologie

La critique psychanalytique
Sigmund Freud (Wikipédia)

Initialement introduite par Freud lui-même, la critique psychanalytique vise à décrypter les motivations inconscientes des auteurs et des personnages, notamment à travers l’exploration des fantasmes refoulés et des traumatismes infantiles. Freud a ainsi examiné des œuvres littéraires telles que « La Gradiva » de Jensen pour dévoiler les désirs inconscients des personnages (Délires et rêves dans la Gradiva de Jensen, 1907), tandis que ses successeurs, tels que Marie Bonaparte et Lacan, ont développé cette méthode en négligeant moins le style des œuvres. La méthode lacanienne a été très influente dans les années 1970 et 1980.

En se penchant spécifiquement sur les contes de fées, les exégètes comme Bruno Bettelheim ont souligné le rôle éducatif de ces récits, les considérant comme des outils permettant aux enfants de surmonter leurs peurs et de mieux comprendre leur monde intérieur. D’autres chercheurs, comme Marc Soriano, Otto Rank et Michel Vincent, ont également appliqué la psychanalyse aux contes, mettant en lumière les dynamiques familiales troublées et les mécanismes de défense psychiques présents dans ces histoires.

La critique jungienne

La critique jungienne, inspirée des travaux de Carl Gustav Jung, adopte une perspective mystique et symbolique de la littérature, en se basant sur la notion d’inconscient collectif, et en s’inspirant de l’alchimie. Contrairement à Freud, Jung ne se situe plus dans une perspective individuelle, mais bien collective. Inspirant des penseurs comme Bachelard et Durand, cette approche met l’accent sur les archétypes, éléments fondamentaux de l’inconscient partagé par toute l’humanité. Cette vision élargie de l’inconscient a révolutionné la compréhension de la littérature, notamment des contes de fées, qui sont considérés comme des récits d’individuation. Les contes, en puisant dans un réservoir d’images collectif, expriment les processus psychiques universels et les étapes de l’évolution individuelle. Par exemple, l’œuvre de Pierre-Jean Jouve, Dans les années profondes, peut être interprétée en recourant à une critique jungienne, avec une initiation qui passe par un cheminement alchimique. Marie-Louise Von Franz, disciple de Jung, a exploré cette approche dans son analyse des contes de fées, mettant en lumière la dimension symbolique de ces récits intemporels.

La mythocritique

L’émergence de l’analyse mythocritique s’appuie sur des penseurs comme Mircea Eliade, Gilbert Durand, Simone Wierne, Paul Saintyves et Vladimir Propp. Mircea Eliade isole dans les contes traditionnels la reprise de scénarios initiatiques élémentaires. Simone Wierne considère les romans de Jules Verne et les contes comme des textes porteurs d’une charge initiatique, tandis que Paul Saintyves interprète les contes de Perrault comme des récits rituels, associant par exemple Le Petit Chaperon Rouge à un rituel de mai. Vladimir Propp, connu pour son travail formaliste sur les fonctions des contes de fées, aborde également la mythocritique en explorant les racines historiques des contes merveilleux en tant que rites d’initiation ou funéraires. Ces interprétations, proches de l’anthropologie et de l’ethnologie, mettent en lumière les liens entre les contes et les rituels des sociétés archaïques, ainsi que leur connexion avec la nature et les vestiges de croyances religieuses. En somme, le conte est un terrain fertile pour la psychanalyse freudienne, jungienne et la mythocritique, révélant ainsi les multiples couches de significations et d’interprétations qu’il offre.

Charles Mauron et la psychocritique

Fondateur de la psychocritique, Charles Mauron est notamment l’auteur de Des métaphores obsédantes au mythe personnel. Sa méthode, novatrice dans les années soixante, vise à trouver un juste équilibre entre la critique biographique à la Sainte-Beuve, trop centrée sur la vie de l’écrivain, et une approche exclusivement psychanalytique, comme celle de Marie Bonaparte, qui risque de réduire l’écrivain à un simple cas clinique, négligeant son aspect artistique. Il cherche ainsi à explorer un terrain intermédiaire, reconnaissant l’importance des effets de style et du symbolisme dans le langage, déjà rappelés par Lacan. Inspiré par la critique thématique de Jean-Pierre Richard, son objectif est de dégager les récurrences, les réseaux d’images et les systèmes métaphoriques dans les textes, afin de mettre en lumière les complexes et les obsessions de l’auteur. Cette approche, appelée psychocritique, dépasse les limites temporelles et génériques, cherchant à révéler la personnalité inconsciente de l’écrivain en explorant les relations entre la psychanalyse et l’art. Son analyse consiste à superposer les textes de l’écrivain sur des transparents pour mettre en évidence les réseaux d’associations et les images récurrentes, révélant ainsi les motifs et les idées involontaires sous-jacentes aux structures textuelles intentionnelles. Cette méthode a inspiré Jean-Bellemin Noël et sa « textanalyse », ou encore Marthe Robert.

1.3.4. La critique marxiste et la critique structuraliste

La critique marxiste de la littérature s’appuie sur les travaux de Marx et Engels, bien que ces derniers n’aient pas élaboré de théorie littéraire proprement dite. Cependant, c’est György Lukács qui établit les fondements de cette approche en intégrant l’esthétique à la perspective marxiste, enrichie ultérieurement par les contributions de Lénine. Cette critique considère l’œuvre d’art comme un produit social et marchand, intrinsèquement lié aux phénomènes sociaux. Bien que les textes fondateurs de Marx et Engels n’aient été pleinement utilisés qu’à partir des années 1935-1936, cette critique évalue l’art selon des critères politiques et économiques, impliquant souvent un jugement moral, ce qui n’est pas sans poser problème. Cependant, cette approche offre une perspective intéressante en établissant un lien étroit entre la société et la littérature, soulignant comment la société influence l’écrivain et comment l’œuvre reflète cette réalité sociale. De plus, elle considère également la réception de l’œuvre par le public, inaugurant ainsi une réflexion sur la sociologie de la lecture littéraire, poursuivant une question déjà posée, en d’autres temps et en d’autres termes, par Lanson.

György Lukács

György Lukács (1885-1975), critique littéraire et philosophe hongrois, occupe une place prépondérante dans la critique marxiste avec des œuvres telles que Le roman historique, Problèmes du réalisme et Théorie du roman. Son approche consiste à mettre en parallèle l’évolution littéraire et l’évolution sociale, établissant un lien entre la structure d’une œuvre et un moment de la dialectique historico-sociale. Il soutient que chaque étape de l’histoire sociale correspond à un grand genre ou une grande forme littéraire, illustré notamment par le roman réaliste qui représente une transition entre la ruine et la renaissance sociale. Lukács insiste sur le fait que les personnages dans le roman réaliste ne sont pas dirigés par la volonté de l’auteur, mais par leur réalité sociale et psychologique, véhiculant ainsi les problèmes et les souffrances de leur époque. Son analyse se concentre principalement sur des auteurs tels que Balzac, Zola, Stendhal et Flaubert, qu’il considère comme les seuls artistes significatifs pour avoir abordé les grands enjeux de leur temps. Il recherche les liens entre l’économie, le social et la vision du monde, adoptant ainsi une approche matérialiste de l’histoire littéraire. Lukács critique la « prose capitaliste » et adopte une position polémique et militante, laissant peu de liberté à l’écrivain. Selon lui, l’écrivain doit avoir une vision correcte de la société pour produire un roman authentique, ce qui implique des devoirs et des contraintes pour l’écrivain.

Lucien Goldmann

Lucien Goldmann (1913-1970) propose également une forme de critique marxiste dans ses ouvrages Pour une sociologie du roman, Le dieu caché, et Matérialisme dialectique et histoire de la littérature. Son postulat initial repose sur la notion de « vision du monde », affirmant que la littérature et la philosophie expriment différentes perspectives sociales plutôt qu’individuelles. Il analyse la littérature janséniste dans Le Dieu caché, démontrant que les idées religieuses sont façonnées par des contextes politiques et sociaux spécifiques, à savoir la centralisation du pouvoir royal qui prive les nobles de certaines de leurs prérogatives. Goldmann critique parfois les auteurs, comme Rilke qu’il qualifie de « réactionnaire », mais souligne l’interaction entre la conscience collective et l’œuvre littéraire. Son approche examine la relation entre la société et la création culturelle, affirmant que les groupes sociaux sont les véritables sujets de la création artistique. Il établit une homologie entre la structure sociale et la forme romanesque, soulignant l’interaction entre l’œuvre et la conscience collective. Goldmann cherche à combiner le structuralisme et la sociocritique en dégageant des structures mentales qui relient la vie sociale à la création littéraire.

Bakhtine

Il y a aussi quelqu’un de très remarquable dans la sociocritique, Michaël Bakhtine (1865-1975). Le texte qui l’a fait connaître est L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance. C’est passionnant car c’est un travail qui utilise la culture populaire. D’après Bakhtine, Rabelais a utilisé comme source directe la culture populaire du Moyen-Âge et de la Renaissance. Sa critique est très utile pour travailler sur Giono, sur Beckett, car il définit une critique de textes grotesques du Moyen-Âge et de la Renaissance, qu’on retrouve au XXe s. Le grotesque, le bas du corps, le carnaval, tout cela va dans l’idée d’une renaissance. Le grotesque, au contraire, au XXe s., est dévalué. On perd l’apport positif et dynamique pour aller dans des textes plus pessimistes : Giono (Le hussard sur le toit), Beckett. Le bas du corps ne se transmute plus en une renaissance positive, et c’est un comique qui reste empreint de souffrance. Michaël Bakhtine va élaborer toute une théorie sur le rabaissement grotesque : tout ramené au boire, au manger, à la sexualité, et la grammaire du corps, jurons, obscénités. Toutes ces images corporelles dans la littérature. Bakhtine étudie la place du grotesque dans la littérature du Moyen-Âge et du XVIe s., qui traduit l’idée d’aller vers une renaissance et un lien au monde. Il utilise le vocabulaire de la place publique, les banquets, l’importance de la nourriture (Zola), les cris de Paris… Il y a tout un chapitre sur le banquet. Il essaie de percevoir le fonds de l’éternelle culture populaire, à travers Rabelais, mais on peut aussi penser à Gogol (lien avec les réjouissances populaires). Bakhtine a également publié Esthétique et théorie du roman, paru chez Gallimard en 1978. Ce texte permet de montrer que le roman est un genre polyphonique composé essentiellement de dialogues (dialogisme). Il étudie aussi les chronotopes dans le roman (étude du temps).

1.3.5. Le structuralisme

Le structuralisme russe

Nous aborderons maintenant une autre approche critique, à savoir le structuralisme, qui sera étudié en relation avec le conte, bien que son champ d’application ne se limite pas à cela. Les formalistes, également appelés structuralistes (des termes presque interchangeables avec de subtiles nuances), font leur apparition en France dans les années soixante, bien que leurs origines remontent à l’école des formalistes russes des années 1915-1930. Il y a donc un décalage d’environ trente ans avant que leurs travaux ne soient traduits et largement connus en France. Leurs travaux, qui datent des années 1915-1930, ont profondément influencé la réflexion française sur la nature de la littérature dans les années 60 et 70.

Les structuralistes les plus connus sont Vladimir Propp (conte, roman), Tzvetan Todorov (fantastique), Roman Jakobson (poésie). Il y en a d’autres. La percée des formalistes s’effectue en 1960 en France, avec Linguistique et poétique de Jakobson qui pénètre en France. Est restée célèbre en 1970 l’analyse à quatre mains du sonnet « Les Chats » (Jakobson et Lévi-Strauss) de Baudelaire. On peut mentionner également Théorie de la littérature par Todorov préfacé par Jakobson. En 1966, un numéro de la revue Communication devient la bible des narratologues français (Recherche sémantique et analyse structurale du récit). Mentionnons encore, en 1968, un numéro spécial de la revue Tel Quel, « La sémiologie aujourd’hui en URSS ».

La méthode structuraliste rompt avec une approche historique des textes littéraires, pour privilégier une approche linguistique. Le « cercle de Moscou » (1915-1917) s’intéresse aux procédés de construction du récit. Il sera suivi par le « cercle de Prague » (1926-1929). Roman Jakobson définit les différentes fonctions du langage.

Le structuralisme s’est beaucoup penché sur les contes, en prolongeant dans une perspective nouvelle les travaux des folkloristes. Les folkloristes ont posé les bases pour l’étude du conte, en collectant et classant les récits selon des thèmes et motifs récurrents, une approche historique qui observe les variantes au fil du temps et des cultures. Les structuralistes, à l’inverse, adoptent une perspective synchronique et s’intéressent aux invariants du conte en tant que genre, cherchant à dégager des schémas fonctionnels communs à travers des analyses comme celle de Propp, qui identifie des fonctions récurrentes dans les contes, ou celle de Greimas, qui complète ces travaux en croisant la méthode de Propp avec celle de Lévi-Strauss. C’est lui qui est à l’origine du « schéma actanciel » ou « schéma de Greimas », avec adjuvant/oppposant, destinateur/destinataire, etc. Claude Brémond propose quant à lui une vision du conte comme un « jeu de meccano », où les éléments peuvent être réarrangés pour former de nouveaux récits, une approche qui peut être généralisée à d’autres formes narratives.

Le structuralisme en France et la revue Tel Quel

La revue Tel Quel, fondée en 1960 et dirigée par Philippe Sollers et Julia Kristeva, s’inspire des théories structuralistes, de la linguistique et de la psychanalyse. Elle remet en question les notions d’auteur et d’œuvre au profit de celles de scripteur et de texte, affirmant que le texte appartient à tous et à personne, rejetant ainsi l’idée d’un produit fini. La revue promeut l’écriture par le biais d’ateliers basés sur des schémas structuraux, considérant que la littérature doit céder la place à l’écriture. Elle met en avant l’intertextualité, soulignant que tout texte s’inscrit dans un réseau de références. En adoptant une perspective sociocritique et marxiste, Tel Quel associe l’écriture à la révolution, promouvant un nouveau mythe. Julia Kristeva présente le texte comme production d’une écriture, substituant l’idée de création et d’inspiration par celle de production, mettant en avant l’importance d’appliquer des modèles transformationnels pour engendrer différents genres d’écriture.

Le structuralisme est une approche de la littérature qui se nourrit des apports d’autres champs disciplinaires : la linguistique (E. Benveniste), la stylistique (M. Riffaterre), la rhétorique (G. Genette), la sémiotique (U. Eco), la poétique (G. Blin, Ph. Hamon, Ph. Lejeune).

1.3.6. La critique des philosophes

Dans ces années 1960 marquées par une grande effervescence de la critique littéraire (comme une grande effervescence de la pensée en général), on voit apparaître, concomitamment au structuralisme, à ce qu’on pourrait appeler la critique des philosophes.

Un point commun entre ces philosophes très différents entre eux est en effet leur utilisation de la littérature et de la fiction comme moyens de comprendre la réalité. Ils appliquent tous leur théorie à l’analyse des textes littéraires, faisant ainsi de la littérature un laboratoire pour la philosophie contemporaine. Parmi les pionniers, Freud et Sartre ont tous deux exploré les implications philosophiques des œuvres littéraires, le premier cherchant une vérité de l’homme dans le roman, à travers la Gradiva de Jensen, et le second appliquant son existentialisme à des écrivains tels que Jean Genet ou encore Charles Baudelaire.

La génération suivante comprend des penseurs tels que Michel Serres, qui élabore une théorie de la communication à travers la littérature et déplore la division entre littérature et sciences, et René Girard, dont la théorie du désir mimétique trouve des applications chez des auteurs comme Proust et Giono. Georges Bataille, quant à lui, explore la notion de transgression à travers la littérature, influençant des penseurs tels que Michel Foucault et Derrida. Maurice Blanchot occupe une place importante dans ce panorama, utilisant à la fois la fiction et la critique pour explorer des questions essentielles sur la nature de la littérature et de l’écriture. Pour Blanchot, l’œuvre littéraire est intrinsèquement liée au vide et à l’absence, une idée qu’il développe en mettant l’accent sur la solitude fondamentale de l’écrivain et sur la dépersonnalisation de l’acte d’écriture. Blanchot remet en question l’idée même de la communication à travers le langage, affirmant que l’œuvre d’art se communique dans son impossibilité même. Pour Blanchot, la critique doit instituer un vide de bonne qualité, un espace de résonance.

2. Problématiques des discours critiques

Après cette esquisse historique qui nous a permis de survoler plus de deux siècles de critique de la littérature, il est temps de considérer les choses de façon plus transversale, et d’envisager une typologie des grandes questions que la critique en général pose à la littérature, des grandes problématiques des discours métalittéraires, en commençant par en distinguer plusieurs types.

2.1. Typologie des discours sur la littérature

2.1.1. La parole des écrivains eux-mêmes

Ce sont d’abord les écrivains eux-mêmes qui discourent de littérature, accompagnant leur création d’un regard réflexif. Molière a laissé des écrits, notamment des préfaces, dans lesquels il se défend contre les dévots qu’il raille dans ses comédies. Les Confessions de Rousseau débutent par l’explication du projet de l’auteur, qui justifie le choix de se peindre lui même, intus et in cute. Victor Hugo fait précéder son Cromwell d’une préface dans laquelle il définit le drame romantique, et qui est sans doute davantage lue et étudiée que la pièce elle-même. La Lettre à Houssaye de Baudelaire, la Lettre à Demeny de Rimbaud marquent la volonté des poètes de présenter leur projet poétique. On pourrait ainsi multiplier les exemples. L’écrivain, le romancier, le dramaturge, le poète produisent des écrits dans lesquels ils justifient leurs choix, présentent leurs projets, explicitent leur intention d’ensemble. Ils font preuve de recul, de distance, de lucidité critique, en élaborant un discours métalittéraire.

Cette réflexion sur la littérature est, chez certains, presque aussi importante que la littérature elle-même. Le poète français contemporain Jean-Michel Maulpoix est ainsi indissociablement poète et critique. Ses recherches universitaires sur le lyrisme et sa propre pratique poétique sont les deux versants d’une même réflexion. Il défend dans ses essais et met en œuvre dans ses recueils ce qu’il appelle un « lyrisme critique », prenant le meilleur du lyrisme tout en le dépouillant de ses excès de pathos. Il prône ainsi un lyrisme qui ne soit pas égocentrique, qui ne soit pas limité à l’expression d’un moi exacerbé, un lyrisme par conséquent ouvert à l’altérité, au monde, et qui soit conscient de lui-même et de ses pratiques.

2.1.2. La promotion éditoriale

On oublie parfois de le préciser, mais le discours métalittéraire est aussi celui de l’éditeur. Ce discours promotionnel n’est peut-être pas le plus intéressant, mais on ne saurait l’omettre, car il oriente les pratiques de lecture et contribue au succès d’un livre. L’éditeur n’est pas seulement un fabricant de livres, il est aussi un communicant qui cherche à promouvoir le livre. La quatrième de couverture est souvent le support d’un premier discours critique, qui va tenter de capter l’attention du lecteur. Les campagnes de promotion, la communication sur les réseaux sociaux, la présence dans les salons du livre sont autant d’occasions de constituer autour du livre une sorte de pré-critique, qui n’a pas encore le recul d’une véritable critique, mais qui est déjà un discours-sur, un métadiscours, dont certains éléments pourront d’ailleurs être repris par la critique journalistique.

2.1.3. La critique journalistique

La presse générale, mais aussi et surtout les revues spécialisées, suivent l’actualité littéraire, recensent les parutions récentes et en rendent compte, en portant généralement un jugement de valeur. Cette critique journalistique émet des jugements généralement subjectifs, sur des œuvres qui viennent de paraître et n’ont pas encore eu le temps d’être lues dans toute leur profondeur. Autrement dit, l’accent est volontairement mis sur l’actualité, au risque d’un traitement parfois superficiel. Je dois pourtant dire mon admiration pour certaines lectures critiques qui sont faites avec un regard très sûr bien qu’en très peu de temps. Certaines recensions paraissent quelques jours à peine après la parution d’un ouvrage, et même si le journaliste a généralement bénéficié du livre en avant-première, je reste admiratif de la rapidité de traitement de certains ouvrages.

Sans doute pourra-t-on reprocher à la presse générale de trop peu évoquer la littérature, et en particulier le théâtre et la poésie. Le grand public reste trop peu informé de littérature. Les revues spécialisées, elles, sont lues par les professionnels et les amateurs. La Nouvelle Revue Française, Europe, Esprit, pour la littérature en général, Le Nouveau Recueil, Po&sie, Nu(e), Recours au poème, Florilège pour la poésie, ne sont que quelques titres, parmi une multitude de publications qui rendent compte de l’actualité littéraire de façon très fouillée.

2.1.4. L’étude universitaire

La recherche universitaire est évidemment le lieu où se produit un discours métalittéraire très avancé dans sa réflexion. Les chercheurs produisent un discours théorique, conceptuel, méthodique sur les œuvres littéraires. Ils ne se penchent pas seulement sur l’actualité littéraire, mais sur les œuvres de toutes les époques, y compris celles délaissées en leur temps ou celles oubliées aujourd’hui. Ils ne se contentent pas d’émettre un jugement subjectif sur les œuvres, mais tentent d’en comprendre les ressorts, la facture, les enjeux, les sources, les influences, les thèmes, les motifs, le style…

La recherche universitaire est tout à la fois une pratique individuelle et solitaire, plaçant un chercheur face à une œuvre ou à un corpus d’œuvres qu’il doit analyser, et une pratique collective, invitant le chercheur à se réunir lors de colloques et de journées d’études, pour participer à un échange collectif autour d’une problématique commune. Ces échanges sont alors publiés sous la forme d’actes, d’articles de revues, d’ouvrages collectifs. En outre, les chercheurs en Lettres travaillent, comme leurs homologues scientifiques, au sein de structures appelées « laboratoires », où la recherche individuelle est encadrée au sein d’axes communs.

2.2. Problématiques du discours critique

Si l’on résume de façon transversale (et non plus historique) les grandes questions que pose la critique, on peut formuler quelques enjeux centraux qui perdurent dans le temps :

2.2.1. Critique interne ou externe ?

La critique externe, telle une lampe de poche projetant sa lumière depuis l’extérieur, évalue une œuvre littéraire en fonction de références et de normes qui lui sont étrangères. À différentes époques, ces normes peuvent être aussi variées que les règles classiques du XVIIe siècle ou les théories marxistes du XXe siècle. Cette approche présente le risque d’imposer une grille de lecture artificielle sur une œuvre, la contraignant ainsi dans un cadre d’interprétation unique et parfois étroit. En revanche, la critique interne se lance à l’intérieur même de l’œuvre, étudiée pour elle-même au lieu de n’être que l’illustration d’une théorie. Bien que la critique interne puisse se nourrir de diverses lectures annexes, son objectif premier demeure la compréhension des multiples virtualités de l’œuvre.

2.2.2. Objectivité et subjectivité

Certains des critiques mentionnés dans la première partie de cet article assument pleinement la dimension subjective de leur approche critique, parlant par exemple de critique d’identification. D’autres en revanche insistent sur le caractère scientifique d’une démarche qui se veut la plus objective possible, en recourant à des outils d’analyse et à une méthode rigoureuse. Sans doute l’objectivité totale est-elle impossible à atteindre en matière d’art, et l’honnêteté consistant à dire d’où l’on parle et avec quelles intentions est sans doute plus louable qu’une objectivité feinte où la subjectivité ne serait que masquée par un discours abusant de termes savants. On peut être rigoureux et méthodique tout en conservant un rapport sensible aux œuvres littéraires, lesquelles sont avant tout des œuvres d’art, et s’adressent à notre sensibilité autant qu’à notre intelligence.

2.2.3. Critique et jugement de valeur

Si la critique universitaire vise depuis longtemps l’établissement d’un savoir littéraire qui dépasse la question du jugement de valeur, tel n’est pas le cas de la critique journalistique, adressée à des lecteurs non spécialistes, qui attendent avant tout de savoir quoi penser d’un roman, d’une pièce de théâtre ou d’un recueil de poésie.

Le jugement de valeur pose un problème éthique évident, dans la mesure où juger négativement une œuvre risque de blesser l’auteur de celle-ci, voire d’entraver sa réussite. Le critique dispose du pouvoir de faire ou de briser une carrière artistique, et comme tout pouvoir, celui-ci a quelque chose de malsain. Voici donc que celui qui n’a pas lui-même directement créé se permettrait, en un trait d’ironie, et pour le plaisir d’un bon mot, de réduire à néant tant d’efforts, tant de nuits blanches, tant de bonne volonté. Il y a quelque chose de cruel à dire du mal de l’œuvre d’autrui.

Aussi serait-on tenté de ne parler que des œuvres que nous avons aimées. C’est bien là, je crois, ce que fait la majeure partie des critiques littéraires d’aujourd’hui. Célébrer les œuvres que nous avons aimées, et ne rien dire des autres. C’est la seule position moralement tenable. Au prix, sans doute, d’une certaine fadeur de la critique littéraire. Car les jugements négatifs ne sont pas inutiles. Il peut être intéressant de justifier de n’avoir pas aimé. Mais cela doit prendre alors une forme argumentée, où il apparaît clairement que l’on juge une œuvre et non une personne, et qu’il ne s’agit que d’une réception parmi d’autres possibles. Les mots, j’en suis convaincu, peuvent faire beaucoup de mal, autant et parfois même davantage que des coups physiques. Aussi, pour ma part, ai-je tendance à trouver inutiles et malfaisantes les critiques qui se contentent d’étriller une œuvre. Il y a parfois des rendez-vous manqués entre un livre et un lecteur, ce n’est pas grave, mais autant ne pas dégoûter les autres.

3. Les blogueurs, de nouveaux critiques littéraires ?

On les appelle « influenceurs littéraires » (Ouest France) ou encore « bookstagrammeurs » (Télérama)… Ces passionnés de lecture, souvent jeunes, entendent dépoussiérer l’image de la lecture auprès d’un public qui ne lui est pas forcément acquis, et aborder la littérature sans grandiloquence. Ils utilisent TikTok, YouTube ou Instagram plutôt que des blogs écrits. Certains parviennent à en vivre, comme Audrey Tribot qui a été interrogée par Ouest France.

3.1. Une nouvelle forme de discours sur la littérature

Ces nouveaux supports d’expression ont instauré une nouvelle forme de discours sur la littérature, à côté de celle du journaliste ou de l’universitaire. Ce qui change, c’est la proximité assumée avec le lecteur. Le blogueur, l’influenceur littéraire, est avant tout un citoyen comme les autres, qui n’est légitimé ni par une maison d’édition, ni par la rédaction d’un journal, ni par une institution universitaire. Ce qui pourrait apparaître comme un manque se révèle aussi un avantage : le blogueur parle d’une façon non surplombante de ses ressentis littéraires, de ses « coups de cœur », sans que son écrit ne revête en aucune façon une forme d’autorité. Le blogueur littéraire est ainsi bien plus proche du lecteur lambda que le critique littéraire dans sa version journaliste ou universitaire. Les lecteurs du blog ont l’impression de lire un semblable, et non une figure d’autorité.

Les blogueurs littéraires offrent ainsi une critique aisément accessible, intelligible, le plus souvent gratuite. Les blogueurs peuvent être au plus près de l’actualité littéraire, avec des délais de publication très restreints du fait de l’absence d’intermédiaires. Les blogs favorisent l’interactivité, avec des possibilités de commentaires, d’échanges, de partages qui n’existent pas dans les médias traditionnels. Ils ont une liberté éditoriale totale, leur permettant d’évoquer des ouvrages qui ne sont pas main stream. Les blogueurs littéraires peuvent se spécialiser dans des genres, des auteurs ou des mouvements littéraires spécifiques.

3.2. L’aventure de « Littérature Portes Ouvertes », depuis 2015

Le blog paraît ainsi un support intéressant pour une « littérature portes ouvertes », qui est l’ambition première de ce blog. L’idée de créer ce blog m’est précisément venue en assistant à des colloques et des conférences passionnants, mais qui se tenaient devant une salle quasiment vide. Il m’a semblé qu’il y avait quelque chose à faire pour ouvrir des portes entre littérature contemporaine, recherche universitaire et grand public.

Une des missions principales de « Littérature Portes Ouvertes » est de mettre en lumière la poésie contemporaine, souvent négligée dans les médias traditionnels. En offrant une tribune aux poètes émergents et établis, le blog vise à démocratiser cet art souvent perçu comme élitiste. À travers des critiques détaillées, des extraits de poèmes et des recommandations de recueils, le blog invite ses lecteurs à découvrir la richesse et la diversité de la poésie d’aujourd’hui. En un peu plus de neuf ans, c’est plus d’une centaine de poètes contemporains différents qui ont été présentés.

► Accéder à l’index des poètes contemporains présentés.

Mon regard de chercheur universitaire me permet de ne pas en rester à de simples présentations de recueils. Si ce blog assume sa part de subjectivité, il entend aussi trouver son originalité en se faisant le reflet de mes recherches, sur un ton plus simple, plus familier peut-être, et qui n’exclut pas l’humour, mais qui ne fait aucune concession sur le sérieux.

Je suis assez fier de pouvoir dire que ce blog me ressemble, en ce qu’il donne un large aperçu de mes passions, de mes occupations et de mes affinités littéraires. S’il se consacre majoritairement à la poésie contemporaine, il n’oublie pas les poètes des siècles antérieurs, non plus que les genres dramatique et romanesque. Une rubrique philosophique et une catégorie consacrée à la grammaire complètent le panorama des sujets abordés dans ce blog, lequel est également destiné à présenter mes propres poèmes, comme aussi se faire le reflet de mes préoccupations d’enseignant.

*

Des salons dorés du XVIIIe siècle aux blogs contemporains, la critique littéraire a connu de multiples évolutions, oscillant entre objectivité et subjectivité, entre critique interne et critique externe, entre rigueur académique et liberté d’expression. La critique littéraire a épousé les grands tournants de l’histoire de la pensée. Classicisme, romantisme, marxisme, psychanalyse, existentialisme… Il n’y a pas de grand champ de pensée qui n’ait produit « sa » critique littéraire. Aussi l’histoire de la critique littéraire est-elle passionnante. Les œuvres littéraires sont si riches que leur lecture peut être maintes fois renouvelée. Et à côté de la critique savante, celle des chercheurs dont la littérature est le champ d’étude, il ne faut pas négliger la critique des écrivains eux-mêmes, qui sont les premiers concernés, mais aussi la critique journalistique, la critique éditoriale, ou encore cette nouvelle forme de critique, plus spontanée, qui est celle des blogueurs, youtubeurs, tiktokeurs et instagrammeurs. Il est passionnant de voir toute cette diversité d’approches de la littérature, laquelle est bien plus qu’un amoncellement de livres : une fabrique d’univers.

12 commentaires sur « Qu’est-ce que la critique littéraire ? »

  1. je me suis délecté en lisant l’article sur la critique littéraire et principalement en poésie mais le gros problème n »est pas là car il peut y avoir autant de mauvais lecteurs que de mauvais auteurs. Parmi les maisons d’édition à compte d’auteur de pseudos auto-entrepreneurs, voire aux faux compte d’éditeur, connaissez vous beaucoup de ces maisons qui refusent des manuscrits, le plus nul soit-il ? Non, seules les grandes maisons d’éditions comme Gallimard peuvent se permettre de refuser un manuscrit, tous les autres

    à 99 % acceptent de publier contre monnaie courante ! sans parler des auteurs qui sont capables soit d’éditer un livre à compte d’éditeur puis de payer de leur poche les suivants… soit ceux qui paient chez certains éditeurs 10 fois le prix normal d’un livre parce que trop bien flattés dans leur ego. Dès le départ, c’est déjà foutu pour l’auteur qui n’a pas compris l’enjeu du système qui consiste à faire connaitre un éditeur et non un auteur. Au-delà de 10 € un livre de poésie est invendable. Au nom de la liberté d’expression et de la connerie d’expression, la plupart des auteurs font des tirages de 50 ou 100 exemplaires, sans service de presse et sans aucune publicité ayant pignon sur rue… c’est d’une inutilité dans le monde actuel. Un auteur doit tirer au minimum 500 à 1000 exemplaires et suivre son « bébé » comme un père suit son enfant. Ne pas se laisser faire par ce système qui tue la poésie au lieu de la mettre en valeur.

    On le demande parfois, pourquoi au sein de l’association « les poètes de l’amitié – poètes sans frontières » il existe deux prix d’édition par an pour éditer le recueil du lauréat à 500 exemplaires ? Tout simplement parce qu’il s’agit de la meilleure reconnaissance pour un auteur d’être édité gratuitement et avec une remise de prix pour officialiser l’événement. Parmi les 200 éditeurs en poésie, qui fait cela ? Parmi les 2000 associations et revues en France, qui fait cela ?

    Alors, c’est vrai, la revue internationale FLORILEGE (à Dijon) qui fête en 2024, ses 50 ans participent à la critique en consacrant la moitié de sa revue à la lecture des recueils reçus par la rédaction. Cependant, cela ne suffit pas à faire lire car le rendez-vous avec un auteur est surtout dans les échanges, la rencontre, les spectacles, le partage des idées et c’est en cela que la critique à son pouvoir de séduire chaque lecteur… même en poésie !

    Entre des associations et revues qui ne sont pas de qualité, entre des collectifs

    et autres organisateurs qui donnent des prix et des diplômes à tous les candidats, il n’y a pas vraiment de quoi se réjouir sur le devenir de la poésie en France même si chacun essai de participer à sa manière, chaque année, au

    « printemps des poètes » quand d’autres étalent sur leur CV des centaines de prix qui n’ont aux yeux du Ministère de la Culture, de l’Académie Française ou de l’éducation Nationale, aucune valeur littéraire. Et pour conclure, qui prend, à vrai dire, depuis des années, des risques en poésie ?

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    1. Votre réflexion ne manque pas d’intérêt, mais le panorama que vous donnez des pratiques d’édition est trop réducteur et déforme la réalité. Qu’il s’agisse d’ailleurs de poésie ou d’autres genres littéraires. Entre grandes maisons d’édition très sélectives (sur des critères qui échappent en grande partie à ceux de la qualité littéraire, d’ailleurs indéfinissable objectivement) et auteurs autoédités ou ayant recours au compte d’auteur, il existe des centaines d’éditeurs, petits ou moyens, très sélectifs eux aussi, et, en même temps, ne pratiquant pas le compte d’auteur.
      Quant à l’argument de l' »inutilité dans le monde actuel », j’avoue avoir du mal à y adhérer… non qu’il soit intrinsèquement faux, au contraire, mais en raison de l’implicite qu’il véhicule. Cela me rappelle le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert : « POÉSIE (LA). Est tout à fait inutile : passée de mode. POÈTE. Synonyme noble de nigaud ; rêveur. »

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  2. Toujours instructif. Devrait intéresser beaucoup de lecteurs de ce blog. En ce qui me concerne, j’ai du mal à employer la mot « critique » à propos de ce qu’on peut lire, ici ou là dans la presse et sur les blogs. Car même si l’on ne traite que des auteurs qu’on aime, on n’aime pas tout ! Or nous ne parlons – comme souligné à juste titre dans cet article sur la critique littéraire – que de ce qui nous plaît. J’ai dû déjà signaler mon propre article là-dessus à l’occasion d’un post antérieur. Je remets ici le lien :
    https://mondesfrancophones.com/theories/poesie-critiques-ou-comptes-rendus/

    J’ajouterai qu’il ne suffit pas « d’aimer » ni même de pratiquer la poésie pour en parler intelligemment. Il n’est certes pas nécessaire d’avoir fait des études de linguistique (encore que ça ne saurait nuire). Il faut, selon moi, avoir au moins une solide culture littéraire, avoir emmagasiné pas mal de vers (libres ou pas), pour comprendre à quel type de poète on a affaire, l’apprécier par comparaison, même si l’on n’en fait pas état (et accessoirement pour savoir repérer les poncifs, les maladresses de style, tout ce qui est inacceptable en littérature).

    Ces remarques ne s’inscrivent en rien, évidemment, contre l’article que l’on vient de lire.

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  3. Pour compléter le commentaire de M. Blanchard, j’ai appris que 500 exemplaires est le tirage minimum pour qu’un diffuseur professionnel (SODIS, …) accepte de se charger d’un livre.

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  4. En lisant cet article, j’ai replongé dans mes cours universitaires en littérature. J’adore ce type d’article et je partage votre opinion sur les blogs. J’écris sur le mien depuis de nombreuses années simplement par désir de communiquer, de partager et de faire connaître la littérature québécoise. C’est rare que je donne un avis négatif car je pense toujours à l’humain derrière un livre… Merci encore pour cet article!

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  5. Article très intéressant. Un oubli de taille à combler cependant : aujourd’hui, « quantitativement », les « critiques » les plus nombreuses se retrouvent certainement sur les sites internet communautaires (+ applications et autres ramifications) de type Babelio, Booknode, etc., dans un esprit proche de celui des réseaux sociaux et fondés sur un partage entre amateurs de lecture. Tout lecteur y est à même, avec plus ou moins de passion, de lucidité, d’approfondissement, d’y exprimer ce qu’il souhaite, de manière indépendante et personnelle, sur quelque livre que ce soit. Certains de ces lecteurs-critiques amateurs sont d’ailleurs aussi blogueurs.
    Cependant, l’indépendance dont je viens de parler n’est pas forcément une caractéristique de tous les blogueurs et, plus encore, des influenceurs sur Instagram, TikTok ou YouTube, contrairement à ce qui semble ressortir de la partie de l’article qui leur est consacrée. En effet, pas mal de ces influenceurs ou blogueurs sont liés par des partenariats rémunérés ou au mins intéressés avec des éditeurs. Dès lors, on entre dans une logique dictée par des motivations qui peuvent être très critiquables. Bref, le livre n’échappe pas à la mécanique de la société de consommation et la « critique » littéraire devient alors un instrument au service du commerce, parmi d’autres. Baudrillard en disait déjà autant des prix littéraires, il y a plus de cinquante ans…

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