Nouvelle polémique concernant l’écriture inclusive

Le débat concernant « l’écriture inclusive » été relancé par le Sénat qui a voté une proposition de loi visant à tout bonnement l’interdire (source: France TV info). Les débats qui s’en suivent sur les réseaux sociaux sont souvent très passionnés, à l’instar de ce qui se produit aussi parfois concernant les aménagements orthographiques de 1990.

Qu’est-ce que l’écriture inclusive ?

Petit rappel pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi l’actualité : l’écriture inclusive est une invitation à prendre soin de ne pas invisibiliser les femmes dans nos discours. En ce sens, elle se situe dans le prolongement des dispositions légales contre le sexisme qui existent déjà depuis longtemps, émanant des institutions françaises ou européennes. Wikipédia parle d’une loi de 2008 en ce sens.

Ce qui braque certaines personnes, ce sont certaines propositions qui n’ont aucun caractère obligatoire. Les points médians, les slashs et les parenthèses à l’intérieur des mots peuvent en effet être regardés comme des solutions inélégantes, qui peuvent avoir leur place dans des écrits spécialisés, mais non dans des ouvrages de littérature. Dans un article précédent, je rappelais que, depuis longtemps, on utilise des expressions comme « On cherche un(e) mécanicien(ne) », dans les petites annonces où le nombre de signes est compté. Cette orthographe se pratique depuis longtemps sans choquer personne, parce que l’on sait que les petites annonces emploient un style télégraphique. Elle n’a pas, à mon sens, vocation à se retrouver dans la littérature générale : les femmes méritent mieux que d’être simplement nommées entre parenthèses. Depuis longtemps, les discours commencent par « mesdames et messieurs » sans que cela ne choque personne. Il est possible de veiller à ce que notre langage n’efface pas la présence des femmes, sans pour autant insérer des signes nouveaux dans nos textes.

Des débats extrêmement polarisés

Ce qu’il y a d’intéressant quand on regarde ces débats de l’extérieur, c’est leur extrême polarisation. D’un côté, on nous dépeint une apocalypse linguistique, une tyrannie insupportable, une langue devenue illisible, des élèves en proie à de nouvelles difficultés insurmontables… Bref, le point médian fait s’écrouler le monde. De l’autre côté, on nous présente une société férocement misogyne et homophobe, totalement arc-boutée sur un code orthographique érigé en patrimoine national.

Mon opinion est que ce débat-là ne devrait pas concerner le législateur, qui a tôt fait d’adopter une décision unique là où les faits renvoient à des réalités multiples. La langue française, comme n’importe quelle langue, demeure virtuelle et théorique tant qu’elle n’est pas concrètement utilisée dans un discours, qui lui-même implique un locuteur, un destinataire, un lieu, un temps, bref ce qu’on appelle une situation d’énonciation. Et donc, l’attitude à avoir vis-à-vis de l’écriture inclusive dépend de la situation d’énonciation.

Une question de contexte et de situation d’énonciation

Je ne suis pas favorable à ce que l’on réécrive les textes littéraires anciens à l’aune de l’orthographe nouvelle, ni que l’on rédige des manuels scolaires ainsi. En revanche, je ne suis pas opposé à ce que l’on emploie l’écriture inclusive ! Tout dépend de qui parle et à qui ! Il y a des espaces où elle a sa place, et où elle est même bienvenue, et il y a des espaces-temps où l’on préfère adopter un langage moins militant.

L’écriture inclusive, lorsqu’elle recourt à des néologismes et à des signes nouveaux, est politiquement marquée, puisqu’elle prend parti en faveur des femmes et des personnes LGBT. Il est des situations où le locuteur n’est pas fondé à prendre parti, en particulier lorsqu’il s’exprime non en son nom propre mais au nom de plus grand que lui. Nous avons tous plusieurs casquettes, et plusieurs façons de parler en fonction de celle que nous avons sur la tête. Je comprends tout à fait que l’on préfère parfois éviter d’introduire ce débat à des moments où ce n’est pas le sujet. Mais l’écriture inclusive peut être discrète, sans introduire de nouveautés langagières, n’en déplaise à celles et ceux qui la conspuent.

Mentionner les femmes en toutes lettres

Je pense que l’écriture inclusive a tout à fait sa place dans certains espaces publics, et qu’il est normal et sain de rappeler régulièrement la présence des femmes. Comme je le disais dans mon précédent article, je préfère toutefois que les femmes soient mentionnées en toutes lettres, plutôt que condensées sous la forme d’une abréviation. Prenons le temps, par exemple, d’écrire « les actrices et les acteurs », plutôt que « les acteur.rice.s ».

Je connais bien l’argument selon lequel il serait inutile de rappeler la présence des femmes, puisque la forme masculine qui est employée serait en réalité un neutre. Il se trouve précisément que ce neutre a la forme du masculin… Il n’y a aucun mal à coordonner les deux formes féminine et masculine, cela n’implique l’ajout d’aucun signe nouveau, et cela ne rend pas le texte moins lisible. Notre société a encore beaucoup à faire en termes d’égalité, et il n’est pas inutile que, lorsque nous évoquons des groupes mixtes de personnes, nous rappelions que des femmes en font partie.

Les Sénatrices et les Sénateurs qui ont voté contre l’écriture inclusive semblent avoir agi principalement par peur d’une déformation de la langue, sans prendre le temps de considérer suffisamment l’importance de souligner dans les consciences le rôle des femmes, et sans se rendre compte que l’écriture inclusive peut se pratiquer sans slash, sans parenthèses et sans point médian.

Le pronom « iel » fait couler beaucoup d’encre

J’ai pu lire sur les réseaux sociaux beaucoup de mal du pronom « iel ». Là encore, les positions sont très polarisées, entre ceux qui affirment haut et fort que ce petit mot de trois lettres va tuer la langue française, et ceux qui voudraient l’incorporer dans la grammaire au même titre que les autres pronoms personnels.

Je crois que beaucoup ne mesurent pas suffisamment le bien que ce petit mot a fait aux personnes transgenres, intersexes et non binaires, qui pour la première fois de leur vie se sentent représentées par un pronom. Je ne vois pas pourquoi elles ne pourraient pas revendiquer ce pronom, qui les représente dans leur réalité. Cela n’oblige pas la population générale à faire de même, ni à rajouter une ligne dans les tableaux de conjugaison.

Tout est question de situation d’énonciation. Le pronom « iel », comme le « they » singulier en anglais ou le « lei » avec un « e » à l’envers (schwa) en italien, a sa place dans certaines situations, en particulier dans les lieux où les personnes LGBT sont davantage présentes. Cela ne va rien changer pour la population générale, personne ne sera sommé de l’utiliser, mais celles et ceux qui veulent l’employer doivent pouvoir le faire. Il ne s’agit pas, je le répète, de rajouter une ligne à nos tableaux de conjugaison, mais simplement de permettre aux personnes différentes de sentir que la société les accepte. Il existe véritablement des personnes qui ne sont ni des femmes, ni des hommes ; ces personnes sont très peu nombreuses, mais elles existent, et elles sont des citoyennes et des citoyens au même titre que n’importe qui d’autre. Elles ont le droit de se sentir bien dans la société.

Au cas par cas

Il n’y a donc que des cas particuliers, et aucune règle générale. C’est vraiment le contexte de l’énonciation qui permet de décider s’il est bienvenu ou non, dans un contexte donné, de pratiquer l’écriture inclusive. Et c’est pourquoi il est difficile de légiférer. Quand on essaie de penser à tête refroidie, en s’écartant des débats houleux et des prises de position exacerbées, on se rend compte que l’on peut écrire en prenant soin d’inclure toutes les catégories de personnes, sans pour autant truffer la langue de signes nouveaux. Et ces derniers ne me donnent pas de boutons, et ils ne sont certainement pas le signe de la fin du monde ! Même si, pour ma part, je n’aime pas les employer.

Je suis assez mal à l’aise avec l’idée d’interdire ou de promouvoir. Il me semble que c’est avant tout l’usage qui fait la règle. Je suis surtout étonné de l’ampleur que prend ce débat, qui reflète une crispation de la société française.

Je me permets donc, pour conclure, de faire quelques propositions concrètes, pour une écriture qui soit réellement inclusive, sans pour autant insérer des signes qui n’ont pas leur place dans une publication soignée, en ce qu’ils relèvent d’un style télégraphique.

  • Parler de « personnes » plutôt que d’hommes. Le substantif « personne » est un mot qui ne suggère pas que l’individu ou le groupe désignés sont exclusivement masculins. C’est d’ailleurs un mot féminin, qui dans la phase suivante pourra être repris par le pronom « elle ».
  • Coordonner le féminin et le masculin. Les hommes et les femmes qui font de la politique commencent généralement leurs discours par « Mesdames et messieurs » sans que cela ne choque quiconque. Ces personnes pratiquent l’écriture inclusive sans le savoir.
  • Féminiser les noms de métier ne nécessite aucun recours à des signes bizarres. Mais je préfère le faire à l’aide des suffixes traditionnels et non avec des terminaisons en « eure » qui ne sortent de nulle part. J’ai déjà lu le terme « défenseure » qui me laisse perplexe alors qu’il n’est pas bien compliqué d’écrire « défenseuse », sur le modèle de « coiffeur » qui se féminise en « coiffeuse ».
  • Le néologisme « autrice », qui réactive un mot ancien et oublié, commence à se diffuser assez largement, et je le rencontre désormais plus souvent que son concurrent « auteure ». Il me semble que c’est un exemple satisfaisant d’évolution de la langue, où le changement reste fidèle à l’esprit de la langue.
  • Enfin, il me semble que le pronom « iel », à l’instar du they singulier en anglais, peut aider les personnes dont l’identité de genre n’est pas définie de façon satisfaisante par « il » ou « elle ». Ces personnes existent, sans doute depuis toujours, et la seule nouveauté réside dans le fait qu’elles entendent désormais apparaître pour ce qu’elles sont. Elles peuvent utiliser ce pronom, ce qui n’oblige pas les autres à l’employer.
  • L’utilisation du masculin générique, qui est la règle actuelle, ne doit pas pour autant être systématiquement bannie comme sexiste. Si la personne qui parle a pris les précautions oratoires suffisantes pour éviter d’invisibiliser les femmes dans son discours, on l’autorisera à pratiquer l’accord au masculin, ceci afin précisément d’éviter la superposition des deux accords, à grands coups de points médians, de parenthèses et de slashs. On pourra écrire « Les comédiennes et les comédiens sont montés sur scène » : la présence des femmes est déjà soulignée par la coordination du féminin et du masculin dans le sujet, rendant inutile l’inélégante écriture « monté.e.s ».

Tout au long de cet article, mon souci a été celui de la modération dans un débat que je trouve trop souvent enflammé. La position médiane qui est la mienne est que l’écriture inclusive n’est ni un danger, ni une panacée. Je n’appelle certainement pas à l’interdire, mais je ne pense pas que, sous sa forme intégrale (point médian, etc.), elle ait sa place dans les écrits non militants. Cette position médiane court le risque de déplaire à la fois aux traditionalistes et aux féministes. Tant pis. Cette position tient au fait que je suis à la fois un amoureux de la langue française, soucieux de maintenir une langue littéraire soignée, et dans le même temps sensibilisé aux enjeux du féminisme et des problématiques LGBT. Il me semble que ces deux préoccupations ne sont pas inconciliables. Les propositions que j’ai faites me paraissent permettre de tenir compte de ces enjeux contemporains, sans pour autant pratiquer une écriture radicalement nouvelle et à maints égards inélégante. Il me semble également important de rappeler que la langue française appartient à tout le monde, et qu’aucune pratique langagière ne devrait être ni interdite, ni imposée. À ce titre, certaines et certains ont le droit de faire des propositions osées, et les autres ont le droit de les adopter ou de ne pas les adopter : l’usage seul tranchera. C’est au cas par cas, en fonction de la situation d’énonciation, en fonction des destinataires, du lieu et du moment, que chacun adaptera son discours.

6 commentaires sur « Nouvelle polémique concernant l’écriture inclusive »

  1. je suis une vieille dame donc ma réaction au sujet de cette écriture factice parce que « fabriquée  » sur des idéologies ne dois pas vous surprendre Je pense que toute langue évolue certes, mais cette évolution ne se fait pas à coups de règlements ou de dogmes En outre elle ne doit pas enlaidir la langue en remplaçant des mots qui existent qui sont musicaux par des néologismes laids (exemple : poétesse remplacé par « la poète » Par ailleurs pourquoi nos grandes féministes ont elles supprimé les mots comme
    doctoresse et d ‘autres féminins qui existaient..?
    Une langue est charnelle ,vivante, ces modifications se font doucement
    comme se font les modifications du vivant :des mots se perdent ,des expressions s ‘oublient des apports étrangers se glissent doucement..
    Mais chose plus grave : si la tyrannie idéologique s’impose que devient
    pour les jeunes générations l ‘accès naturel aux écrits du passées
    que devient la Poésie, le chant de la langue la légende
    On inaugure en grande pompe un musée de la langue Française à un moment où on ne cesse de la défigurer où journalistes et politiciens truffent leurs messages d ‘incorrections… ne serai-ce pas plutôt …. un MAUSOLEE ?

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  2. Je crois que tu as bien dit : « ce débat-là ne devrait pas concerner le législateur, qui a tôt fait d’adopter une décision unique là où les faits renvoient à des réalités multiples ». Chaqu’un a sa sensibilité mais la chose qu’il faudrait… interdire c’est bien d’interdire – ou d’obliger – par une loi.

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