Théâtre : Un air de famille

Aller au théâtre est un plaisir que je ne m’offre pas assez souvent. Samedi soir, j’ai profité de ce début de vacances scolaires pour aller au Théâtre de l’Eau-Vive, boulevard Carabacel, à Nice. Dans cette salle intimiste, le public se trouve au plus près des comédiens. Le cadre parfait pour voir Un air de famille d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, dans une interprétation du Collectif du Trom, mise en scène par Fabienne Gardon.

La scène se passe dans un bar-restaurant un peu défraîchi, un vendredi soir, à l’heure de la fermeture. C’est le moment de la semaine où le propriétaire du restaurant, Henri, reçoit sa sœur, son frère, sa belle-soeur et sa mère pour le repas de famille hebdomadaire. Aujourd’hui, le repas sera un peu particulier puisqu’il s’agit de fêter l’anniversaire de la belle-sœur. Mais rien ne va se passer comme prévu, et toutes les tensions vont remonter en surface et éclater au grand jour, pour le plus grand plaisir du spectateur.

Cette pièce en un seul acte se vit comme si l’action se passait en temps réel. Il n’y a pas de fermeture de rideau, pas de temps de transition, pas de moment où il n’y a personne sur scène. Les comédiens nous font oublier qu’ils sont comédiens, on ne voit plus que les personnages, et c’est la preuve de leur talent. Il faut dire que les dramaturges et la metteuse en scène ont inscrit dans le texte de nombreux effets de réel. Les personnages vont aux toilettes, se servent à boire, utilisent leur téléphone portable, bref se comportent comme dans la vraie vie. Si bien qu’on y croit, à cette famille dysfonctionnelle plus vraie que nature. Même si la pièce est une comédie, il n’y a jamais de moment où la volonté de faire rire le public nous ferait sortir de cette illusion absolue de naturel. Le rire n’est pas appuyé, il se fond dans le réalisme de la pièce. Pas de « gag », pas de pitreries, mais un humour qui souligne aussi l’amertume des personnages.

Les personnages sont, tous, très touchants. Cette famille dysfonctionnelle est à l’image de notre société gangrenée par l’individualisme, l’égoïsme, la jalousie, la volonté de réussir. Chacun veut être heureux et n’y arrive pas, bloqué dans sa médiocrité, ne voyant pas que pour être heureux, il faut d’abord rendre heureux les autres.

Il y a d’abord Henri, le propriétaire du bar-restaurant, qui a repris l’affaire familiale à la mort de son père. Il vient d’être quitté par sa femme Arlette, et il ne comprend pas ce qu’il lui arrive. Il ne veut pas l’annoncer à sa famille, et ne parvient pas à trouver de mensonge convaincant. Il reçoit les critiques acerbes de sa mère et de son frère sans vraiment réagir. Il parle parfois sans qu’on l’écoute.

Il y a ensuite son employé, Denis. Il ne s’entend pas trop mal avec le patron, mais est en revanche traité comme un domestique par les autres membres de la famille. Il tente de trouver refuge dans la lecture, au risque de passer pour un paresseux.

Il y a ensuite la sœur, qui arrive toute contente d’avoir osé tenir tête à son patron, persuadée à tort que son courage sera apprécié dans la famille. Cette quadragénaire encore célibataire se voit durement reprocher de ne pas se mouler dans les normes sociales de la féminité. Si elle n’est pas encore mariée, c’est qu’elle a trop de personnalité et qu’elle n’est pas assez soumise, pensent ses proches, qui lui font bien sentir que l’horloge biologique tourne.

Vient ensuite le frère, Philippe, accompagné de son épouse Yoyo. Philippe, c’est celui de la fratrie qui a réussi. Il travaille dans la même entreprise que sa sœur, mais lui est n°4 dans l’organigramme. Il fait tout pour plaire à son odieux patron. Ses valeurs, ce sont l’entreprise, l’argent, la réussite sociale. Il ne s’intéresse pas à ses proches. Son unique préoccupation, c’est l’apparition à la télévision qu’il vient de faire, angoissé à l’idée qu’elle ne soit pas à la hauteur des attentes de son patron.

Yoyo, la femme de Philippe, fête ce soir son anniversaire. Elle devrait être joyeuse, mais elle peine à trouver sa place dans cette famille. Elle est une femme un peu coincée, qui ne sait pas trop quoi dire sinon qu’elle a froid, qui voudrait s’amuser et, pourquoi pas, danser, du moins qu’on s’intéresse à elle.

Et puis il y a la mère, une veuve aigrie, pleine de reproches envers son défunt mari. Elle ne parvient pas à traiter ses trois enfants de façon égale, et ne cache pas sa préférence pour Philippe, celui qui a réussi socialement, qui gagne beaucoup d’argent, qui est marié et a deux enfants. Elle est très marquée par les conventions sociales, et a des idées arrêtées sur ce que doit être la réussite, le rôle des hommes et des femmes, sur ce qui se fait et ne se fait pas.

Tous ces personnages sont touchants dans leur médiocrité, dans leurs bassesse, dans leurs faiblesses, qui sont aussi les nôtres. Nous pouvons nous identifier à chacun d’entre eux, puisque, comme eux, nous voulons tous être heureux, être aimés et respectés pour ce que nous sommes. Ils sont incarnés avec finesse par Emmanuel Bénichou, Murielle Gnutti, Roland Haugades, Catherine Herbrecht, Joëlle Pfarr et Yves Skuta. Ils forment le Collectif du Trom.

Si vous avez envie d’aller voir la pièce, une représentation aura encore lieu aujourd’hui, dimanche 18 décembre. Et tout a été prévu pour que ce spectacle ne vous empêche pas de suivre la finale de la coupe du monde. Le théâtre diffusera en effet le match juste avant la représentation. Vous n’aurez donc aucune excuse pour ne pas vous rendre cet après-midi au théâtre de l’Eau-Vive, boulevard Carabacel, à Nice. Je vous garantis que vous passerez un bon moment de théâtre.

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