Quel pourrait être le thème du prochain Printemps des Poètes ?

Après l’Ardeur, la Beauté, le Courage, le Désir, et l’Éphémère, ce sont les Frontières qui ont été au coeur du Printemps des Poètes 2023. Si le principe reste inchangé, le prochain thème devrait commencer par la lettre G. Alors, quel pourrait-il être ?

1. La Gaîté

Pourquoi pas la Gaîté ? Nous en avons tous besoin, dans une époque successivement marquée par le terrorisme, la pandémie, la guerre, et de plus en plus troublée par l’urgence climatique. Le rôle de la poésie est de chercher la lumière au bout du tunnel. « Fonder un nouvel espoir » selon les mots de Bonnefoy. Inscrire une légèreté qui ne soit pas naïve, qui ne soit pas un simple voile pudique jeté sur ce qui dérange, mais un véritable parti-pris de la gaîté, comme un acte résistant face à la morosité. « La poésie sauvera le monde » dit Jean-Pierre Siméon : cela peut passer par le maintien d’un souffle de gaîté, d’un ton festif, jusqu’aux endroits où cela ne va pas de soi.

2. La Générosité

Un élève de maternelle m’a dit un jour que le poète est celui qui fait des cadeaux avec les mots. Loin d’être un acte narcissique, la poésie est un faire tourné vers l’Autre, quel qu’il soit. Tout poème s’inscrit dans une situation de communication d’un destinateur vers un destinataire. Aussi le poème se fait-il souvent adresse, offrande, interpellation, exhortation, déclaration d’amour… On n’écrit pas seulement pour soi-même, mais pour toucher l’autre. Il y a quelque chose de profondément généreux dans la poésie, et qui manque à nos sociétés contemporaines trop souvent déshumanisées.

3. La Guérison

Ce thème est peut-être un peu plus pointu, mais il y a matière à faire avec. Est-ce que la poésie guérit ? Est-ce qu’elle peut, à tout le moins, faire du bien ? Est-ce qu’écrire sur un traumatisme peut aider à le dépasser ? Faut-il écrire sur la guerre, sur la pandémie ? On peut rappeler que, en mars 2022, les Journées Poët Poët avaient organisé une table ronde sur la notion de réparation, en y invitant à la fois un chirurgien et un poète. Ce thème pourrait être une invitation à une poésie qui guérit, qui fait du bien, qui n’ignore pas naïvement les problèmes mais qui tente d’apporter une forme d’apaisement, voire de sérénité.

4. Le Goût

Puisque la poésie est affaire de saveurs, on peut imaginer aussi que les organisateurs du Printemps des Poètes 2024 choisissent le goût. N’y a-t-il pas moyen de montrer toute une palette de saveurs poétiques ? De disserter du bon et du mauvais goût, voire du dégoût ? De relever nos poèmes par quelques épices bien choisis ? D’y ajouter un zeste d’amertume ou un brin de folie ?

5. La Gratuité

/ On rejoint un peu la générosité avec ce thème qui permet de rappeler que le coeur des relations humaines se noue en dehors de la sphère marchande. La poésie peut être un acte gratuit, un élan spontané vers autrui, un don de mots et d’espérance. Je ne suis pas sûr que ce thème plaise à tous ceux qui espèrent vendre des livres ou des places de spectacle, pourtant le fait est que le poète est bien davantage du côté de la cigale que de celui de la fourmi. La poésie est par essence anticapitaliste, elle préfère le don à l’accumulation. Elle se donne sans compter.

6. Le Geste

On pense au geste de la plume sur le papier, au corps du poète qui, on l’oublie parfois, n’est pas un être éthéré, à l’inscription physique des mots dans une corporalité qui leur donne son poids. Geste du poète allant vers l’autre. Chanson de geste tout aussi bien. Quels gestes le poète fait-il ? Quelle gesticulation le poème est-il parfois ? Ce serait l’occasion de célébrer une poésie en mouvement, une poésie vivante, qui bouge et qui danse. En pensant à ce thème, j’ai en mémoire les gestes dansés de Marie-Pierre Genovese, qui a l’habitude d’incarner les poèmes par le corps, et qui a encore fait une performance incroyable dernièrement à la Gaude. Oui, la poésie a à voir avec le geste, le mouvement, le corps, la posture courbée sur la table d’écriture, les mouvements subtils de la main à plume…

7. Graines / Germination

Un thème peut-être moins évident, puisque tous doivent pouvoir s’en emparer, mais j’aime bien ce thème qui peut évoquer la Semaison de Jaccottet, et qui s’accorde bien avec le motif du printemps. Il est plaisant d’imaginer que le poète sème des graines de mots, qu’il va faire germer quelque chose dans l’esprit des lecteurs qui pourront, à leur tour, devenir poètes. Le thème des graines et de la germination rappelle l’existence d’un genre poétique ancien qui est celui de la revendie. De tout temps, les poètes ont célébré le retour du printemps.

8. Géographie(s)

Je ne pense pas que les organisateurs choisissent ce thème trop proche de celui de cette année. Impossible pourtant de ne pas rappeler que la poésie dialogue souvent avec les lieux, médite sur les paysages, rêve d’ailleurs, s’embarque en voyage, cartographie le réel autant que l’imaginaire. Aussi, à bien y regarder, le poète a-t-il quelque chose du géographe. Trop souvent, l’Homme nie les lieux, il les terrasse, il les arase, il y bâtit des constructions sans âme, il les traverse à toute vitesse. Le poète-géographe rétablit une juste attention aux paysages et à la nature. Il est naturellement « écolo », c’est-à-dire pas au sens politique ou militant de ce terme, mais parce que sa disponibilité aux choses et aux êtres le conduit à respecter cette nature qu’il célèbre dans ses vers.

9. Gourmandise

Le poète a de l’appétit. Il est curieux des choses, du monde, des êtres. Il veut savoir et connaître. Il croque dans la vie à pleines dents. Il rappelle à ceux qui tendraient à ne voir que la grisaille que la vie est pleine de saveurs, toutes différentes entre elles, à découvrir et à goûter. Ce thème se rapproche donc du « goût » évoqué plus haut, mais avec une nuance de taille : la gourmandise est traditionnellement considérée comme un péché capital. Il y a, dans la gourmandise, le plaisir de la transgression qui s’ajoute au plaisir de la saveur elle-même. C’est ce dessert qu’il ne serait pas raisonnable de manger mais que l’on déguste quand même.

10. Et aussi…

La liste est loin d’être exhaustive et j’espère que vous la compléterez dans l’espace des commentaires. J’ai pour ma part volontairement écarté le thème de la guerre, déjà suffisamment mis en oeuvre cette année avec celui des frontières. Certes, une terrible guerre fait rage en Europe même, et des conflits existent aussi ailleurs dans le monde. Le thème est donc comme justifié par l’actualité même.

J’ai également écarté le thème de « Génie », jugeant que les poètes d’aujourd’hui ne se définissent plus comme des prophètes (Hugo dans « Fonction du poète ») ou comme des Voyants (Rimbaud dans la fameuse « Lettre à Demeny »). Les poètes des XXe et XXIe siècles sont beaucoup plus humbles. Jaccottet se peint volontiers comme un « Ignorant ». Les poètes d’aujourd’hui, toutes tendances confondues, ne prétendent pas avoir réponse à tout. On comprendra donc que le thème de « Génie » paraisse un peu daté. De même pour « Grandeur », « Grâce » et « Gloire ». Je ne sais plus quel poète parlait d’une « perte d’auréole ».

On aurait pu penser aussi à « Géométrie », il y a de beaux poèmes de Guillevic et de Desnos sur la géométrie, mais c’est sans doute trop pointu. Des thèmes comme « Grand-mère » ou « Génération » pourraient permettre de rappeler que la poésie concerne tous les âges, mais je ne les trouve pas assez porteurs.

À vous de voter !

Faites vos propositions dans l’espace des commentaires ! Choisissez votre thème préféré, que ce soit dans ma liste ou un tout autre thème, du moment qu’il commence par la lettre G. Qu’aimeriez-vous que soit le prochain thème du Printemps des Poètes ? La parole est à vous !

Édit. : un lecteur du blog sur Facebook m’a proposé un autre thème que je trouve très porteur: le Grabuge. Parce que la poésie n’est pas toujours sage, et qu’elle à tout à gagner à n’être pas simplement une suite de jolis mots. Le poète n’est pas là pour faire de la figuration. Il est là pour faire du bruit, du remue-ménage. Il questionne l’ordre établi, fatalement révolutionnaire puisqu’il s’attache à parler une langue authentique, qui cherche à dire les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on a l’habitude de les voir. La poésie dérange, elle met le bazar dans nos préjugés. Avec la poésie, il va y avoir du grabuge.

Édit. 2 : une lectrice me propose la Gratitude, et je trouve que c’est une très bonne idée. Cette nation me fait penser au magnifique poème d’Emmanuel Godo que j’ai commenté il y a quelques mois. Dire merci à ce qui est, dire oui à la vie, voilà un beau projet pour la poésie!

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39 commentaires sur « Quel pourrait être le thème du prochain Printemps des Poètes ? »

  1. Pour moi, ce serait la galaxie, une nécessité universelle, tous ensemble contempler les étoiles, la beauté, s’ouvrir au monde et même tout petit s’y sentir responsable et admiratif dans cette immensité.

    Aimé par 1 personne

  2. Galaxie, une nécessité universelle, contempler ,tous ensemble, les étoiles, la beauté, et même tout petit, s’y sentir responsable et sujet dans cette immensité

    Aimé par 1 personne

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