Charles Baudelaire est traditionnellement considéré comme étant « le » poète de la modernité. J’ai donc été un peu surpris, et vivement intéressé, en lisant aujourd’hui un article en ligne du journal Slate, consacré à un ouvrage d’Antoine Compagnon, Baudelaire, l’irréductible, lequel propose de faire de Baudelaire un « anti-moderne ».
Précisons tout de suite que je ne commenterai ici que l’article en ligne, sans avoir eu directement accès au livre d’Antoine Compagnon, professeur au Collège de France et à l’Université de la Sorbonne (source : Wikipédia). D’après cet article, donc, ce livre souligne que Baudelaire était souvent sceptique ou critique à l’égard de la modernité, en ce qui concerne la presse, la photographie, la ville et l’art :
« La thèse est claire : la position de Baudelaire à l’égard du moderne est ambiguë, et ne cesse jusque dans ses derniers écrits d’osciller entre la fascination et le dégoût. »
Scott M. Powers & Nonfiction, « Baudelaire est-il vraiment
un poète moderne ? », Slate, 18 novembre 2014.
Cette idée d’oscillation montre bien qu’il s’agissait d’un poète qui n’idolâtrait pas la modernité, et qui savait au contraire la considérer avec beaucoup de lucidité, voire, parfois, d’ironie critique.
C’est ainsi que l’article pointe successivement :
- le dégoût de Baudelaire pour la presse, qui ne l’a pourtant pas empêché d’y publier ;
- le dégoût de Baudelaire pour la photographie, qui ne l’a pourtant pas empêché de se faire photographier bien davantage que beaucoup de ses contemporains ;
- l’oscillation de Baudelaire entre répugnance et fascination à l’égard des villes immenses, comme cette citation le montre bien : « Je t’aime, ô capitale infâme ! »
L’article affirme donc :
« Antoine Compagnon nous fait comprendre, sans le dire pourtant, que s’il y a oscillation entre le moderne et l’antimoderne chez Baudelaire, nous avons surtout affaire à un poète antimoderne qui sait tirer profit du monde (moderne) dans lequel il vit. »
(Ibid.)
Je me demande quand même si cette capacité à savoir « tirer profit du monde moderne » n’est pas, précisément, un gage de modernité. Car en somme, il n’y a pas chez Baudelaire un refus de la modernité, mais une prise de position critique et distanciée.
Qu’est-ce qu’ « être moderne » ?
Se pose en vérité la question de savoir ce que signifie « être moderne ». Faut-il, pour être moderne, adhérer sans réserves à tout ce qui est moderne ? Peut-être cette distance critique fait-elle même partie de la modernité de Baudelaire. Car le projet de Baudelaire, en particulier dans Le Spleen de Paris, reste d’avoir voulu dire le monde moderne, fût-ce en le critiquant, fût-ce en montrant sa laideur. Peut-être une posture plus résolument anti-moderne serait-elle d’ignorer superbement la modernité et de continuer à produire une poésie semblable à celle des siècles passés : tel n’a pas été le choix de Baudelaire, bien au contraire.
Pour conclure, je dirais ainsi que Baudelaire a une façon très moderne d’être anti-moderne!
A reblogué ceci sur MasticadoresFrance / Editor: Marcello Comitiniet a ajouté:
Que signifie être moderne ? Voici une question intéressante à laquelle l’auteur répond en parlant de Baudelaire
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Merci pour votre critique envers la modernité de Baudelaire. Comme vous l’avez bien compris, dans toutes ses capacités critiques, responsables et allant de l’avant.. Ah! quelle perfection et modernité dans son Art de poète!.. Françoise Sérandour
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