Robert Nicolaï, né à Toulon en 1945, est surtout connu en tant que linguiste, spécialiste des langues africaines et en particulier du songhay. Il est Professeur émérite de l’Université de Nice et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France. Mais il est aussi poète, et il m’a proposé de publier ici l’un de ses poèmes.
Ce poème a été originellement publié dans un ouvrage intitulé Palimpsestes recrayonnés, paru en 2021 aux Éditions Borromées, dans lequel Robert Nicolaï a repris et retravaillé des textes anciens. Il s’intitule « Éclat sonore, cristallin dans l’air pur du matin ». Il est subdivisé en sept « respirations ».
respiration numéro 1… La fumée se repose au calice de marbre et s’égoutte en riant sur le sol interdit. Les moutons sont repus. Une hirondelle plie à la tranche les livres sans respect pour les mains qui tremblent de douleur et crissent les cloches au rivage en pleurs. Les yeux cernés de mauve et la bouche vermeille réparent le matin à grands coups de couteaux. C’est le vieil écheveau qui s’effiloche et traîne. L’œil clos de ton visage étincelle de grâce. Ta main brodée d’écaille a repris le sommeil. respiration numéro 2… Un vigneron joyeux dans la cuve piétine apostrophant les murs qui ne durcissent pas, mais ton image encore se coule pas à pas et berce mon réveil d’un amour de comptine. Le sage reparaît, et sa barbe trop sale traîne parmi ses poux un bateau hasardeux où les fantômes jouent du bonheur qui décline. Mais ta réalité dépasse ton image. Le silence s’enfuit vers les bruits disparus. Puis, sur l’or ruisselant de ta chair qui se noue la lumière éblouie contemple mon corps nu. respiration numéro 3… L’idée de prendre pied à la berge s’éloigne. Le sage s’est noyé. Lancelot infidèle cité au ban d’horreur de notre humanité. L’idée de prendre pied à la berge s’éloigne. Lors, tes pensées en moi retrouvent leurs venues. Le pâtre s’est noyé. Lancelot infidèle cité au ban d’horreur de notre humanité. Mon amour oublié. Mon silence a des ailes. .......................................................... respiration numéro 4… Trinité établie, acquis de droit divin. Si des croix sont clouées au ciel d’un promontoire et que des mains tendues s’écartent des chemins c’est que le sang caillé de la divine histoire était encore trop clair pour les laver, ces mains. Des Croix Consolatrices ont brûlé sous la soupe que je verse aux vivants voulant me regarder. Mais ton image en moi se propage et prend force rongeant mes derniers os. Mais ta main se repose et je tombe de haut sur ton sein recueilli en pétale de rose. Mon sang qui vient bouillir éclaire ton visage, s’écoulant en rubis sur ton corps ruisselant. respiration numéro 5… Le vent s’est endormi. Lors ta bouche profère un amoncellement de paroles d’azur. Le silence entier se dore de lumière. La mer est calme et lisse et la route soudaine serpente à l’horizon vers un rocher perdu. Ta présence a repris sa force coutumière. Des armées de soldats qui nagent à contre-guerre achètent du coton pour le bruit d’un obus. La bergère affolée marchande un cimetière, le paie en immolant un mouton de l’année, monte sur un cyprès pour guetter la poussière. .................................................................. respiration numéro 6… Sœur Anne, ma sœur Anne, n’as-tu rien oublié ? Ne vois-tu pas vers les confins de l’étroite patrie une chanson, un romarin dont l’air est tout empli ? Ne vois-tu pas dans les yeux clairs l’image qui s’efface ? Sœur Anne, ma sœur Anne, ne vas-tu pas danser ? As-tu ouvert tes yeux d’amour pour le vent noctambule ? As-tu gardé tes blonds atours pour le jour crépuscule ? Sœur Anne, ma sœur Anne, ne vas-tu point chanter ? ......................................................... respiration numéro 7… Le soleil s’est levé emportant les nuages et balafrant le ciel d’un sang rouge et rageur. Mais, l’étincellement bouillonnant des images bourdonne encore vibrant d’un rire gouailleur. La fumée se repose au calice de marbre et s’égoutte en riant sur le sol interdit. ———
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