Connaissez-vous Patrick Joquel ?

Je vous présente aujourd’hui un poète qui m’intéresse à plus d’un titre, puisqu’il est à la fois un auteur qui a publié de très nombreux ouvrages, et un enseignant — aujourd’hui retraité — qui a travaillé, pendant toute sa carrière, à la diffusion de la poésie auprès du jeune public. Patrick Joquel, né à Cannes en 1959, est attaché aux paysages maralpins, mais se révèle également habité par le nord de l’Angleterre et par le Sénégal. Je suis très heureux qu’il ait accepté de répondre à mes questions, et je l’en remercie.

La rencontre avec la poésie

Aux poètes que j’ai la chance d’interviewer, je demande toujours comment ils sont venus à la poésie, ou comment la poésie est venue à eux. La question est extrêmement banale, et pourtant elle me semble nécessaire : en effet, la plupart des gens vivent leur existence entière sans jamais rencontrer la poésie. Il est donc intéressant de savoir comment les poètes ont découvert ce monde méconnu.

  • Comment êtes-vous venu à la poésie ? Quel rôle a joué l’école ?

J’ai découvert la poésie via l’école. Grâce aux enseignants, à des degrés divers selon les instituteurs et professeurs de l’année scolaire. De Ronsard à Éluard, en passant par Cadou, Hugo, etc. Ensuite, à partir des années lycée, également par le biais des revues pour la poésie contemporaine (Froissart, Rétroviseur, Friches…).

  • La poésie était-elle déjà présente dans le milieu familial ?

Non, pas de poésie à la maison.

  • Quand avez-vous commencé à écrire de la poésie ?

J’ai commencé à en écrire vers quinze ans. D’abord sous la forme du journal de bord intime, plutôt classique et très vite libre. Ces poèmes, je les ai partagés à mes copains, copines, joints à mes courriers postaux. Les gens étaient gentils : ils m’encourageaient.

  • Quand vous êtes-vous dit que vous pourriez en publier ?

Pendant mon année d’enseignement du français en Angleterre, j’ai mis en forme un premier recueil, j’avais 20 ans. Un recueil à compte d’auteur. J’ai eu la sagesse d’en demander le tirage intégral et j’ai ainsi pu écouler tranquillement les centaines d’exemplaires que j’avais payées. Cette aventure m’a incité ensuite à continuer à publier en revue et à chercher plus tard de vrais éditeurs. Encres Vives a été le premier, dans les années 1990.

L’ouverture sur le monde

  • Vous avez enseigné à l’étranger, en Angleterre et en Afrique. Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?
La campagne du Northumberland est marquée par la présence du mur d’Hadrien (Pixabay)

Tout d’abord dire que j’ai vécu environ trois ans en cumul entre douze et vingt-deux ans en Angleterre dans le Northumberland. Trois ans en tout mais de façon fractionnée en plusieurs périodes : mois d’été, vacances scolaires, et une année d’enseignement du français à Ashington High School en début de carrière d’enseignant.

Pourquoi cette fidélité au Northumberland ? Tout simplement parce que ma tante tenait un hôtel à Newcastle Upon Tyne, et m’embauchait l’été en service de salle. Elle vit toujours là-bas. J’ai donc une famille internationale avec un cousin anglais, etc.

  • Vous avez également vécu au Sénégal…
Un baobab au Sénégal (Pixabay)

Oui. Au Sénégal, j’y ai enseigné deux ans, en collège à Kaolack. Une découverte, une aventure. Un autre univers. J’ai toujours autant la nostalgie du Sénégal (que de l’Angleterre). Une famille m’a adopté au Sénégal. Je suis toujours en lien avec eux. Bien sûr je vois plus souvent mon petit frère qui vit à Marseille que les autres à Dakar ou ailleurs au pays.

Bien sûr, dans ces deux pays, j’ai lu et découvert les poètes. Les paysages, les amis, les modes de vie m’ont enrichi et continuent à m’offrir une vie parfois décalée par rapport à celle des français.

Enfin, pour continuer dans le côté international familial, notre fils a épousé une Philippine. En conséquence, nous avons découvert ce pays et avons gagné aussi de la famille là-bas. En famille nous parlons aussi bien français qu’anglais au quotidien. Bref, je me sens international et suis allergique à toute forme de racisme.

Transmettre la poésie

  • Vous avez été instituteur. Comment faisiez-vous vivre la poésie en classe ?

Pendant mes quarante années d’enseignement de la maternelle au lycée, mes élèves ont découvert la poésie. Les poésies, tant les voix du poème sont multiples. De la comptine à la poésie engagée, du haïku au poèmes intimistes…

Chaque jour un poème. Parfois, étude d’un poème : comment c’est fait, qu’est-ce que ça dit ? Des éléments d’analyse pour mieux entrer dans le poème, pour mieux jouer avec les ateliers d’écriture. À présent je suis en retraite.

  • Vos élèves savaient-ils que vous étiez poète ?

En général ils étaient au courant. Au moins ceux que je croisais durant les festivals du livre locaux comme à Mouans-Sartoux.

  • Comment dialoguent le poète et l’enseignant en vous ?

La présence du poème en classe irrigue et nourrit toute la vie de la classe. Elle permet le dialogue entre tous, à égalité d’être.

En tant qu’auteur, j’ai écrit à partir du quotidien des enfants. Un poème à hauteur d’enfance est plus complexe à écrire qu’on pourrait l’imaginer. Norge, un jour que j’étais chez lui à Mougins, me disait avoir voulu écrire aussi bien pour l’universitaire que pour l’ouvrier. Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. J’ai voulu et tente encore d’écrire pour être lu de tous, et très tôt.

Par ailleurs j’ai publié plusieurs ouvrages de pédagogie de la poésie, chez Magnard : Poésie cycle trois (épuisé) et Poésie cycle deux (ateliers d’écriture et anthologie poétique contemporaine), aux éditions du Jasmin : La poésie contemporaine : pistes pédagogiques pour les enseignants (ou comment oser aborder la lecture suivie d’un livre de poèmes en classe).

L’inscription dans un paysage

  • Vous êtes né à Cannes et vivez toujours dans les Alpes-Maritimes. Quelle influence ont eu ces paysages ?

Une influence qui continue. La mer, la montagne, la lumière… Tout ce pays nourrit mon travail, l’inspire. J’écris en marchant, en nageant. J’ai écrit des romans sur les hommes de la vallée des Merveilles, des grottes Grimaldi. Si j’ai vécu ailleurs, et si j’aime bien voyager, je suis de ce territoire de montagnes et de mer, de cette lumière.

  • Qu’est-ce qui vous inspire le plus, la mer ou la montagne ?

Je dirai un peu plus la montagne. On la retrouve dans des livres comme Pudeur des brouillards aux éditions de l’Amourier, Un emploi du temps de chamois aux éditions Clarisse et en filigrane ailleurs ; et bien sûr dans le roman Ruendo des merveilles aux éditions du Laquet, sur la vallée des Merveilles.

Compagnonnages poétiques

  • Quelles sont vos affinités poétiques ? Dans l’histoire littéraire et dans les contemporains ?

Baudelaire et Rimbaud ont accompagné mes années lycées. Eluard, Prévert, Lear, Diop, Bashô et autres auteurs japonais ou chinois ont suivi. Et tant d’autres, j’ai toujours été curieux et à l’affût de découvertes. Pour les contemporains : Norge, Guillevic, Barnaud, Touzeil, Boudet, Jacqueline et Claude Held, Perrin Langda… également. Et tant d’autres…

Le poète dans la cité

  • La poésie est très souvent dite confidentielle, et pourtant le public est toujours présent lorsqu’elle se montre sur la place publique. Participez-vous (ou avez-vous participé) à des événements publics pour la poésie ? Si oui, que retenez-vous de ces expériences ?

J’ai participé et participe encore à chaque fois que j’y suis invité, à des festivals de poésie comme à Durcet (61), La Suze-sur-Sarthe (72)… à des lectures publiques en bibliothèque ou ailleurs comme chez Pauline à Nice (café culturel)…

Toujours avec joie et bonheur. Le partage avec les lecteurs, avec d’autres poètes dynamise l’écriture et tisse une toile d’amitié à travers le pays, et même au-delà des frontières.

J’ai la chance de publier également des albums jeunesse et des romans, ce qui me donne accès à des festivals du livre plutôt jeunesse et d’y présenter alors également mes livres de poèmes. Ils sont bien accueillis par ce public qui ne vient pas pour eux mais qui repart souvent avec un ouvrage.

  • Pandémie, guerre, réchauffement climatique : l’actualité du moment est très sombre. Vous positionnez-vous en tant que poète sur ces sujets ?

Bien sûr. Sur mon site, on peut lire des poèmes échos d’actualité :
– sur les migrants : https://www.patrick-joquel.com/textes/echos-migrateurs/,
– sur l’Ukraine : https://www.patrick-joquel.com/textes/echos-dukraine/

Je donne aussi des cours de français aux Ukrainiens à Mouans-Sartoux, et participe à l’adaptation de BD Ukrainienne en français. Tout cela passe par l’anglais ou les traducteurs automatiques. Une aventure humaine et intellectuelle passionnante.

  • Parlez-nous également de votre travail éditorial, qui est une autre façon de s’engager pour la poésie.

Depuis une quinzaine d’années, nous avons fondé une minuscule association d’éditions : éditions de la Pointe Sarène. Nous publions une revue : Cairns dont le 31e numéro est paru en octobre avec le thème « Être humain ? », en lien avec le 35e festival du livre de Mouans-Sartoux. Nous avons publié quelques auteurs également : Dan Bouchery, Thomas Vinau, Perrin Langda, Youssef Brahn (jeune poète Congolais) et des petits ouvrages personnels atypiques.

  • Où peut-on trouver de plus amples informations sur vos livres de poèmes ?

Pour découvrir plus en détail mon travail, mes rencontres, mes inédits ou d’anciens textes : www.patrick-joquel.com ou sur facebook.

Je remercie encore une fois Patrick Joquel pour avoir accepté de répondre à mes questions, et pour m’avoir proposé de citer quelques-uns de ses poèmes, choisis parmi ceux qui traitent des migrants ou de l’Ukraine. J’ai lu ces poèmes, la plupart sont bouleversants, j’en ai sélectionné trois.

« Échos migrateurs » (extraits)

par Patrick Joquel

entre deux bombardements
tu sors ton vélo
tu inspectes le quartier
croises des soldats
et des gens hagards
tu roules entre les gravats
entre les larmes
entre les temps de peur
comme beaucoup d’enfants sur Terre
tu as un vélo et tu en es fier

*

Ils vont seuls ou à trois
par grappes
par groupes
en colonnes
ils vont
ils marchent
les yeux tendus
les mâchoires serrées
aphones
sac à l’épaule ou à dos
un enfant sautillant à la main
un enfant endormi aux bras
ils marchent
le regard au sol
ils tentent de se rendre
invisibles
de se glisser dans la faille
Ils pourraient être nous
Il pourrait être moi
Je pourrais être l’un d’entre eux

*

La pleine lune
illuminait la plaine
et dans les dunes
un abri de fortune
claquait sa toile au vent
Noël rêvait son étoile
petite laine et mitaines
un songe de migrants
ou de fillette
aux allumettes

Source : https://www.patrick-joquel.com/textes/echos-migrateurs/

J’ai créé le blog Littérature Portes Ouvertes le 14 février 2015, voici plus de sept ans, afin de traiter de sujets trop souvent méconnus qui me tiennent à cœur : la poésie contemporaine, la recherche en lettres, la linguistique, la pédagogie, la philosophie… Depuis sa création, près de cent poètes contemporains différents ont été recensés sur ce blog. Plus de 1600 abonnés en suivent régulièrement l’actualité, avec plus de 1,4 million de visiteurs uniques et plus de 2 millions de vues.

Images dans le corps de l’article : Pixabay. Image d’en-tête trouvée dans la banque d’images libres Pexels proposée par WordPress.

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