Depuis 2018, les thèmes officiels du Printemps des Poètes suivent l’ordre de l’alphabet : nous avons eu l’Ardeur, la Beauté, le Courage, le Désir, l’Éphémère… L’année prochaine, en mars 2023, le Printemps des Poètes abordera la thématique des « Frontières ».
Comme s’en explique Sophie Nauleau sur le site Internet du Printemps des Poètes, un autre thème, plus léger, était au départ prévu, sans que l’on sache exactement s’il s’agissait de la fantaisie, de la féerie, de la félicité… Mais le conflit russo-ukrainien est passé par là, imposant son tragique à toutes les consciences, et avec lui cette notion de frontière(s).
Une notion résolument actuelle
Le géographe Michel Foucher affirmait en 2010 dans la revue Médium : « On les croyait estompées et voilà qu’elles reviennent, agressives, démultipliées et souvent contrefaites en murs infranchissables ». De fait, je me souviens très bien que mon professeur de géographie en khâgne rappelait, à la suite de ce géographe, que la notion, qu’on aurait pu croire datée avec la mondialisation, se révélait au contraire pleinement pertinente pour penser notre temps.
Les frontières ont des implications juridiques, économiques, militaires, stratégiques, diplomatiques… Elles portent souvent la trace de rapports de force passés ou présents. Alors que, pendant longtemps, les frontières sont restées floues, chaque millimètre carré de la surface du globe est désormais précisément cartographié et attribué à une juridiction ou à un territoire donnés. Les régions inhabitées et les espaces maritimes eux-mêmes appartiennent à quelqu’un. Il est loin le temps où de vastes régions n’appartenaient à personne, et où la frontière entre deux peuples n’avait rien d’une ligne précise.
Frontières, pouvoir, contrôle…
On le voit, les frontières ont tout à voir avec la notion de possession. Si l’on trace des frontières, c’est bien parce que les hommes se sont approprié des fragments du globe. « Ceci est à moi, ceci est à toi. » Parfois, l’on tombe d’accord sur ce partage, parfois hélas, il est déterminé par de violents conflits.
Envisager les choses ainsi, c’est peut-être oublier, un peu trop rapidement, que la Terre, en définitive, ne nous appartient pas. Que nous n’en sommes que des occupants éphémères, qui ne faisons qu’emprunter momentanément des portions de sol, pour y vivre, pour s’en nourrir, et y mourir. Qu’il est peut-être extrêmement présomptueux de vouloir faire sienne une portion du globe, dans la mesure où cela revient à interdire à d’autres d’en avoir usage.
Et pourtant, depuis la révolution néolithique, depuis que l’Homme s’est mis à cultiver le sol et à élever des animaux, force est de reconnaître qu’il a un lien étroit avec le territoire qu’il occupe. Il y travaille, il y vit, il le façonne patiemment, par son labeur, par ses activités. Les frontières sont séparatrices. Elles sont créatrices de conflits. Elles sont la marque de l’homme apposée sur la Terre, le signe du désir de l’Homme de se rendre « maître et possesseur de la Nature », dans l’oubli de ce « comme » qui précédait chez Descartes cette expression. On leur préfère sans doute les ponts, les passages, les ouvertures. Mais peut-on vivre sans frontières ? Je laisse la question ouverte.
Et la poésie dans tout ça ?
La poésie, elle aussi, a ses territoires, ses centres et ses périphéries. Elle a ses quais de gare, ses zones de transit et ses environs. Michel Deguy dit que « la poésie n’est pas seule », rappelant ainsi qu’elle partage ses territoires avec la musique, la peinture, la philosophie, les arts vivants. Les frontières, elle les traverse. Elle vise les ailleurs, les merveilleux nuages. Elle accompagne le poète en voyage : on relira Chutes de pluie fine de Jean-Michel Maulpoix. Elle cherche ses propres frontières, à la recherche d’un « vrai lieu » (Bonnefoy). Elle dialectise l’ici et l’ailleurs, l’ici-bas et l’au-delà, le maintenant et le partout… Elle est amie de la géographie, comme en témoigne le poète Pierre Vinclair.
Parfois aussi, la poésie s’engage. Contre les frontières injustes. Sabine Venaruzzo a ainsi écrit et performé sur la route de Vintimille à Nice, pour mettre en lumière la détresse des migrants. Avec ses gants de boxe rouges, elle montre que la poésie est en prise avec les enjeux de notre époque.
Oui, ce thème des frontières s’annonce porteur. Il nourrira de nombreuses réflexions enrichissantes. Comme chaque année, je publierai de nombreux articles sur le thème du Printemps des Poètes. Et je rendrai compte du Festival Poët Poët, dont je suis extrêmement heureux d’avoir rejoint le comité d’organisation. C’est une belle et joyeuse équipe pleine d’entrain, dont les membres sont vite devenus des amis.
Affaire à suivre, donc… N’hésitez pas à vous abonner au blog, en inscrivant votre adresse électronique tout en bas de la page, ou à me rejoindre sur les réseaux sociaux. N’hésitez pas également à faire connaître ce blog autour de vous. Et à bientôt pour de nouvelles aventures !
D’autres articles sur le « Printemps des Poètes »
bien d’accord avec ce que vous dites sur les frontières et le désir de possession sans fin des humains. Heureusement que les animaux et les plantes ne font pas de meme et encore moins au millimètre carré près (ironie amère), imaginons s’ils nous disputaient « légalement » ou « illégalement » « nos terres » … (sarcasme)
J’aimeAimé par 1 personne
Il n’y a rien de plus animal que la défense de son territoire…..
J’aimeJ’aime
Une frontière c’est clair précis…
Texte très pertinent et malheureusement si réaliste ! Vaste sujet, je dirais même sujet sans frontière !
Je travaille sur un texte que je vais présenter « au Printemps des Poètes », et ce sera sous forme de slam.
Je le publierai ensuite sur ma chaîne YouTube que je vous invite à consulter @JJslam
Bien à vous
J’aimeAimé par 1 personne
Il est bien des voyages immobiles capables de redéfinir les frontières comme autant de nouveaux espaces géopoėtiques toujours en recherche comme Kenneth White et tant d’autres poètes.
J’aimeAimé par 1 personne
Tout à fait ! Dans ce premier article, j’ai commencé par parler des frontières réelles et des déplacements réels, au premier degré. Il y a aussi des frontières mentales, des voyages imaginaires… C’est un thème très riche !
J’aimeJ’aime