Michel Saint-Dragon à la Trésorerie

Nice, 13 rue Trachel, le 29 juillet, un peu avant 19 h. J’arrive devant une devanture couverte de fleurs et de livres. L’enseigne indique « La Trésorerie ». Un espace associatif pour faire revivre le quartier de la gare. Ce soir, la scène est confiée à Michel Saint-Dragon, poète, performeur, slammeur, accompagné au violon par Sophie Allain. Avec, en première partie, un petit spectacle de Laurie Camous.

Je suis arrivé quelques minutes à l’avance, accueilli très chaleureusement par Michel Saint-Dragon ainsi que par les gestionnaires du lieu. D’emblée, on me demande si je veux bien aider à gonfler les ballons de baudruche noirs, blancs et gris nécessaires à la performance de Laurie Camous. Je participe volontiers. L’ambiance est familiale.

Petit à petit, la salle se remplit. Laurie Camous installe son rétro-projecteur. Vous savez, cet appareil désormais un peu désuet, mais naguère présent dans bien des salles de classe, qui permet de projeter des documents imprimés ou écrits sur des feuilles transparentes. Autour de cet objet, Laurie Camous entreprend une performance tout à la fois plastique et scénique. Armée de ses feutres noirs, elle dessine ses émotions et les projette au mur. Comme si on pouvait voir dans son cerveau. Elle se fait tour à tour conteuse, poétesse, comédienne, plasticienne. Elle nous happe bien vite dans son univers insolite. Son but, ce soir, est de nous parler de la peur. De nos petites phobies comme de nos grandes angoisses. Ce qui séduit, c’est sa capacité à passer de la plus grande légèreté à la plus grande intensité. Nous sommes tous renvoyés à nos propres inquiétudes, mais avec ce qu’il faut d’humour et de folie pour que l’ensemble reste attirant. On se laisse volontiers entraîner dans l’univers un peu barré de Laurie Camous.

Laurie Camous

Après un entracte qui me permet de saluer certains spectateurs que j’ai reconnus, Michel Saint-Dragon et Sophie Allain prennent place sur scène. Elle, violon en main, tout de noir vêtue, coiffée de longues tresses blanches à la mode africaine. Lui, grand, port altier, visage cordial, aux cheveux poivre et sel, longs et attachés mais rasés sur les côtés. Un pantalon ample de toile blanche, un t-shirt noir, le bras gauche recouvert d’un tatouage. Il tient une grande peau de tambour, qu’il percute avec un maillet. Le spectacle va commencer.

Et nous nous laissons porter par le flot des vers, le flow des rythmes et des rimes. Pas de temps mort dans ces deux sets de poésie, que Michel Saint-Dragon déclame par cœur, variant subtilement l’intensité et la vitesse de sa voix. Le poète a, indubitablement, un grand talent de comédien, perceptible à la gestion des pauses, des silences, des rythmes. Mais dès les premières secondes, on est convaincu qu’il ne s’agit pas seulement de comédie, pas seulement de scénographie : d’emblée, il est perceptible que ces mots viennent du cœur. Et Michel Saint-Dragon sait les faire résonner de telle sorte que chaque spectateur croie un instant qu’on ne parle qu’à lui seul. L’attention presque religieuse du public prouve qu’il a été conquis par l’univers du poète.

« J’ai écrit des histoires à lire, des triolets à écouter, cherché comment le dire sans hésiter sans trembler. J’ai écrit tout ce que j’ai pu, j’ai même aussi arrêté d’écrire. J’ai essayé, sans succès, parce que quand j’arrête, c’est pire. »

Sophie Allain et Michel Saint-Dragon

Et les poèmes se succèdent, soulignés par les interludes au violon de Sophie Allain. C’est avec des mots simples mais puissants que Michel Saint-Dragon emporte son public. Chacun, pour lui, est tel un livre : vous connaissez sans doute des gens bande dessinée, des gens encyclopédie, d’autres encore qui sont recueil de poésie. Du murmure au cri, le poète fait sien ce propos de Charles Bukowski, dans « Roll the dice » : « If you’re going to try, go all the way. » Si tu t’apprêtes à essayer, va jusqu’au bout. Michel Saint-Dragon, scandant ce vers anglais, ajoute : « Donne tout ». Cet engagement absolu pour la poésie, chez un homme qui a décidé de ne vivre que de poésie et d’eau fraîche (et quelques bières quand même, faut pas déconner), cet engagement absolu se ressent dans l’intensité que le poète met dans chaque mot, comme dans chaque silence. Pour cette sincérité qui transperce la scène, merci.

Pour en savoir plus

  • L’association Del’art organise de nombreux événements culturels à la Trésorerie, à destination de tous et notamment des habitants du quartier.
  • Michel Saint-Dragon est le nom de scène de Michel Vieulle. Il a déjà publié deux recueils de poésie. Un troisième est en préparation. Il a participé à l’anthologie « Je dis Désirs » rassemblée par Marilyne Bertoncini à l’occasion du Printemps des Poètes. Il anime des scènes slam dans les Alpes-Maritimes.
  • Laurie Camous a déjà été évoquée dans ce blog à l’occasion de sa participation au Festival Poët Poët comme acolyte de Dimitri Porcu sur la scène de l’Entre-Pont, au « 109 » (anciens abattoirs de Nice).

Le blog Littérature Portes Ouvertes existe depuis Février 2015. Il suit la création poétique contemporaine et la recherche universitaire sur la poésie. Il traite également, de temps en temps, de théâtre, de roman, de philosophie, de linguistique, de pédagogie. N’hésitez pas à vous abonner au blog pour être informé des nouvelles publications.

6 commentaires sur « Michel Saint-Dragon à la Trésorerie »

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