Longtemps directeur artistique du Printemps des Poètes, éditeur chez Gallimard, engagé dans des revues et maisons d’édition poétiques, Jean-Pierre Siméon, par ailleurs agrégé de Lettres modernes et formateur d’enseignants, a beaucoup œuvré pour la poésie contemporaine, pour la faire connaître, pour lui redonner sa place au sein de la Cité. C’est ainsi en tant qu’acteur culturel que j’ai d’abord rencontré le nom de Jean-Pierre Siméon. Il a été l’invité d’honneur du festival Poët Poët qui a eu lieu au printemps. Aussi ai-je voulu découvrir, au-delà du défenseur de la poésie, le poète lui-même. Quelques mots à propos des ouvrages récents de Jean-Pierre Siméon.
Poète, mais aussi romancier, dramaturge, essayiste, traducteur (de l’anglais) et auteur d’ouvrages pour la jeunesse, Jean-Pierre Siméon possède une bibliographie impressionnante, et il va de soi que je n’ai ni le temps ni les moyens de parcourir l’ensemble de cette œuvre qui s’étend de la fin des années 1970 à nos jours. Plus modestement, profitant de l’occasion offerte par la venue du poète, je me suis procuré ses ouvrages les plus récents, et c’est de ceux-là seulement dont je vais parler à présent.
1. Lettre à la femme aimée au sujet de la mort

En 2017, Jean-Pierre Siméon réunit en Poésie/Gallimard trois recueils auparavant parus chez Cheyne (1998, 2002 et 2005). Il y pratique un vers libre simple, où rejets et enjambements sont rares, au service d’un lyrisme à hauteur d’homme, célébrant la vie sans emphase, dans son tragique comme dans sa beauté. J’aime que certains poèmes commencent par « Ou bien » ou par « mais », comme s’ils étaient une réponse à un discours antérieur silencieux. J’aime aussi que le poète ne s’excuse pas d’être lyrique, et prolonge une voie ouverte par les Bonnefoy, Jaccottet, Sacré, Bobin, Maulpoix…
Amants qui nous accompagnez, nomades
dans un monde nomade où
les ciels et les mers font un lit pour les morts […] (p. 48)
Aimons-nous c'est l'heure puisque nous passerons comme un matin dans la confusion des nuages [...] (p. 110)
2. À l’intérieur de la nuit

À l’intérieur de la nuit est un très beau petit recueil paru en 2021 chez Cheyne. Avant même de lire les mots, on est attiré par la beauté de l’objet-livre, où des pages bleu-nuit alternent avec les pages blanches. Les caractères sont argentés sur le papier bleu, et bleus sur le papier blanc. Une telle finesse de fabrication fait penser à un livre artisanal, mais cette première édition a été tirée à 1400 exemplaires, ce qui est beaucoup quand on parle de poésie, et qui mérite d’être souligné.
C’est en vers libres, plutôt brefs, que s’écrit cette ode à la nuit. Il s’agit avant tout d’une nuit paisible, celle où l’on profite d’une « incantation des grenouilles », où l’on peut entretenir une « conversation avec l’étoile » (p. 25). Loin de nous placer face à la mort, la nuit est l’occasion de contempler « la vie mise à nu » (p. 25). Certains poèmes se rapprochent du haïku :
Nous n'aimerons bien le jour Que pour avoir aimé La nuit (p. 57)
La « nuit négative » et la « nuit d’hôpital » ne sont pas passées sous silence, mais le ton d’ensemble demeure doux, paisible et feutré.
Deux fois plus nuit la nuit d'été Comme deux fois plus vrai Le baiser Sur le quai d'une gare (p. 23)
3. Une théorie de l’amour

Rien de dogmatique dans cette La théorie de l’amour parue en 2021 chez Gallimard. Cent trente « propositions » sur l’amour, sous la forme de fragments brefs, précèdent trente poèmes qui les développent.
Le présent de vérité générale permet de donner corps à des pensées qui explorent le mystère de l’amour :
Aimer c'est donner corps à un mystère Mais quel mystère ? Celui très étrange et commun D'éprouver un dehors au plus profond de soi (p. 51)
Les circonstances de l'amour Valent mieux parfois que l'amour qu'elles donnent De même que la clarté d'un feu Nous est plus propice dans la nuit Que sa chaleur indécise (p. 99)
Amour est l'égarement désiré de l'âme Dans le brusque inconnu Qui mène au baiser -- au feu de la question Qui survit à toutes les réponses (p. 88)
La forme du fragment, la simplicité du langage, la force des images — comme celle de « baisers noirs » qui ont un « goût de fleur » — permettent à la parole d’à la fois dire l’amour et de l’interroger. Toutes les facettes de l’amour, de la plus sensuelle à la plus spirituelle, sont explorées au détour de ces pages où l’amour fonde une vision du monde. On pense tantôt à Ronsard, à Hugo, à Éluard, et à tant d’autres poètes de l’amour…
4. La poésie sauvera le monde
et autres essais
Jean-Pierre Siméon a également écrit plusieurs essais pour défendre la poésie dans une société qui la néglige trop souvent. Il s’agit de La poésie sauvera le monde (Le Passeur, 2015), Aïe ! un poète (2003, Le Seuil, rééd. 2014-2016, Cheyne) et de Petit éloge de la poésie (Gallimard, coll. « folio 2 € », 2021).



Il fallait oser intituler un essai La poésie sauvera le monde. On se doute qu’une telle phrase risque de faire sourire. La plupart des gens méconnaissent totalement le pouvoir de la poésie. C’est que celui-ci, comme celui des arts en général, ne s’observe pas sur des instants ponctuels, mais sur le temps long. La poésie marque son temps en profondeur, même si elle ne fait pas les gros titres des journaux. Et ce n’est pas métaphoriquement mais bien littéralement que la poésie, parce qu’elle accompagne des visions du monde plus fines et plus généreuses, sauvera le monde…
Ces trois essais, je prendrai le temps de les lire plus en profondeur avant de vous en parler de façon détaillée. Ils méritent, je crois, un article distinct…
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Jean-Pierre Siméon
invité du festival Poët-Poët
Cette année, Jean-Pierre Siméon était l’invité d’honneur du Festival Poët-Poët, grand festival de poésie organisé chaque année à Nice et dans les Alpes-Maritimes dans le sillage du Printemps des Poètes. Il est notamment intervenu à l’occasion d’une table ronde sur le pouvoir réparateur de la poésie.
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Image d’en-tête trouvée grâce à l’outil Pexels proposé par WordPress.
J’ai Sermons joyeux à la maison et je l’adore…
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en effet la poesie sauvera le monde, les dictatures et autres etats totalitaires ne s’y trompent pas d’ailleurs: les poetes sont toujours les premiers à être emprisonnés voire éliminés de manière plus radicale. Avant les romanciers et écrivains d’ailleurs, qui suivent de près surtout s’ils sont aussi poètes de temps en temps. Voir Anna Akhmatova par exemple. Et dans le Japon du XIXe siècle, certains haïkistes sont partis les premiers en prison. En prison pour 3 lignes ! cela dit bien le pouvoir de la poesie.
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Eh oui, beaucoup ne se doutent pas de ce pouvoir de la poésie !
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