C’est avec des mots simples, proches de la langue orale quotidienne, que Dimitri Porcu, poète franco-sarde âgé de quarante-quatre ans, développe une expérience à la fois personnelle et collective, une expérience de l’existence entre ciel et mer, entre père et mère, entre légèreté et engagement, dans un recueil intitulé Tous-Solo.
Tous-Solo est un ouvrage de soixante pages paru en mars 2022 aux éditions de l’Aigrette. Mêlant langue française et langue italienne, il est à l’image de son titre, faisant se conjoindre la contemplation solitaire et la fraternité collective. Le choix d’un vers libre qui suit le rythme de la syntaxe procure une impression de fluidité, de légèreté, qui sied à l’ambiance ensoleillée du recueil.
"Assis au soleil
Seul en moi
Seul en nous
J'entends le bruit des gens
Qui sautent dans l'eau
J'entends le bruit des gens
Heureux d'être
Seulement des gens" (p. 12)
Ce sont par ces mots que s’ouvre le recueil, où la félicité est trouvée dans des plaisirs simples, dans la capacité à savoir se saisir des joies du quotidien, laissant à distance ce qu’on ne peut changer : « Je suis bien / Finalement / Pour un moment » (p. 12). Cette légèreté, cette tendance à voir le verre à moitié plein, paraît intimement liée à l’art du jazz, du free jazz, où les douleurs du monde se subliment en musique, par la grâce d’un accord de saxophone ou de clarinette alto.
« Ne croyez pas que tout ce bleu soit sans douleur », écrit Jean-Michel Maulpoix dans Une histoire de bleu. L’azur méditerranéen s’est toujours, depuis les Grecs, nimbé de tragique. Et lorsque Dimitri Porcu, à son tour, nous parle de cette mer-là, des rivages italiens, de la Sardaigne dont il est originaire, c’est en refusant le cliché de carte postale :
"Les îles ne donnent plus leurs rêves
Au premier venu
Ne font plus confiance
À celui qui ne connaît pas
Ne succombent plus à la fantaisie" (p. 17)
Apparaissent la conscience de la finitude, le constat de la précarité de l’être, le passage irrémédiable du temps, la souffrance de la solitude à l’heure du confinement, mais aussi l’horreur des attentats… Tous ces éléments négatifs sont autant de raisons supplémentaires d’écrire de la poésie. Parce que la poésie est aussi un cri, un combat de tous les jours, contre ce qui nie l’humain, contre ce qui nie la beauté et l’espoir. Il s’agit de continuer de tendre des « Mots-Oiseaux », des « Mots migrateurs » par-delà tout ce qui inquiète.
Sans se départir de son initiale légèreté, le poème s’insurge contre la trop fréquente marchandisation de la nature, et le gauchissement des thèmes écologistes :
"Ô belle Nature
Valeur marchande
Produit boursier
Vendue en sachet recyclable
Ton vert partout
Tout est vert" (p. 26)
Le poète, « Humaniste survolté, / Altruiste débordé, / Optimiste distingué » (p. 31), nous rappelle combien écrire de la poésie est un enjeu vital, au sens littéral de ce mot. L’expérience de la solitude conduit à l’exacerbation d’un humanisme qui s’exprime sous la forme du cri, d’une nécessité de poursuivre « vaille que vaille » (p. 32), afin de faire « taire l’immonde » (p. 35) :
"Sur la route
Le long poème s'écrit tout seul
Ce cri dans ma tête" (p. 52)
Et ces deux vers décrochés par le retrait reviendront comme un leitmotiv pour scander ce poème marqué par le jazz, par Leonard Cohen, par Nanni Moretti, et tant d’autres, ce poème comme écrit sur la route, en transit entre ici et ailleurs, puisque nous ne sommes en vérité que cela, des êtres de passage, chargés alors de vivre au mieux ce bref moment, et de rester fidèles à nos valeurs, loin de toute certitude :
"Je sais aussi avec certitude
Que
J'emmerde les certitudes
Les intégristes de tout
Les doctrines tous azimuts
Les nationalistes de tous bords
Les tueurs de femmes
Les tueurs d'hommes
Je sais avec certitude
Qu'il faut continuer
Croire
Encore
Aux utopistes
À l'amour
Crier moi-aussi à la liberté
Avec mes sœurs et mes frères
À la liberté
Oui
La liberté libérée
La libertà liberata" (p. 59)
Peut-être certains d’entre-vous trouveront-ils ces vers trop simples. Peut-être certains d’entre-vous préféreraient-ils des rimes, ou une versification plus complexe, ou encore une écriture davantage théorique et métadiscursive. Oui, ce poème est simple et direct, et c’est ce qui le rend percutant. Cette simplicité est, je crois, le signe que nous sommes, en cette première moitié du vingt-et-unième siècle, revenus à des temps troublés qui nécessitent une telle simplicité. Même si les enjeux historiques sont bien différents, nous vivons à nouveau une époque où il faut « crier à la liberté », comme, en son temps, Éluard le faisait en scandant le nom de « Liberté ». Dimitri Porcu le fait avec finesse, sans se départir de son initiale légèreté, avec l’élégance du jazzman, avec la nonchalance du saltimbanque, avec toute la lucidité d’un homme de son temps.
Merci à Dimitri Porcu pour son commentaire sur Facebook :
« Gabriel Vittorio et l’équipe de RaP. MERCI encore.
Gabriel, un Immense merci pour tes mots fluides, tes mots références, tes mots lecteurs, tes mots vrais, pour parler des miens et de moi.
Tu touches juste !
Tu touches pile !
Je suis,
touché
Coulé.
A bientôt j’espère sur nos rivages, entre musique, mots et mer…que nous partageons. »
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