Aujourd’hui, nous allons battre en brèche une idée répandue. On entend beaucoup dire que la langue française ne compterait que cinq voyelles, six en comptant l’y. Or, il s’agit là de signes graphiques, non de sons. Des sons voyelles, il y en a bien davantage. Et seulement six lettres pour les noter.
Énumérons les voyelles
Alors, faisons le compte. Pour faciliter les choses, je n’utiliserai pas l’alphabet phonétique international mais la graphie la plus simple possible en français. Et j’éviterai autant que possible les descriptions techniques pour préférer des descriptions sensibles et drôles de chaque voyelle.
La lettre « a » note en réalité deux sons (voire trois : [a], [ä] et [ɑ]). Il y a le a de patte et le â de pâte. Si vous avez du mal à sentir la différence, essayez de bâiller en prononçant un a, et vous aurez le â. Le son se forme davantage à l’arrière de la bouche, d’où son nom de voyelle ouverte postérieure. Avec son chapeau circonflexe, il est un peu snob.
À la lettre « e » correspondent en réalité une multitude du voyelles. Il y a :
- Le e de fenouil. C’est un son très discret, qui ne cherche pas à se faire remarquer, ce qui explique peut-être que Rimbaud l’affuble de la couleur blanche. On l’appelle parfois « muet », même si c’est un abus de langage. Il se note [ə].
- Le é de épée, qui avec son accent aigu forme un son fermé. Il s’entend de loin.
- Le è ouvert, avec son accent grave, de flèche. C’est le son traînant de nos imparfaits, où il peut s’écrire aient, avec un beau record de cinq lettres pour un seul son.
- Le eu, proche de e mais en plus audible. D’ailleurs, quand vous morcelez un mot pour en scander les syllabes, le e devient eu. Fenouil devient feu-nouil lorsqu’on scande les syllabes. C’est le son [ø] que l’on trouve, par exemple, dans peu ou voeu.
- Le œ que l’on rencontre dans œuf, bœuf, neuf, jeune (et non dans jeûne qui utilise le son précédent).
À la lettre « i » correspond le son i. C’est assez simple, pour le coup. Une voyelle fermée et perçante. Rouge selon Rimbaud.
Pour la lettre « o », il y a plusieurs sons : le ô fermé (pot, sot, rigolo, cadeau) et le o ouvert (porte, sotte, rigolote). Ces sons sont traités comme n’en faisant qu’un dans pas mal de manuels de CP, entraînant parfois des confusions (les élèves n’entendent pas le même son, mais on leur dit que c’est le même !). Le chanteur Kenji Girac fait rimer épaule (ô) et espagnole (o), ce qui montre que c’est tout à fait possible dans le sud de la France.
Enfin, la lettre u se prononce u dans notre langue, et ou dans beaucoup d’autres. Ce sont deux voyelles bien distinctes, et entre lesquelles on n’est guère tenté de confondre, car nos oreilles ont l’habitude de les distinguer. Le mot couture contient ces deux voyelles.
Quant à la lettre « y », elle se comporte tantôt comme un « i » qui veut faire son original, tantôt comme une semi-consonne, proche alors de notre lettre « w ».
Nous en sommes déjà à 12 voyelles, mais ce n’est pas fini ! En effet, il reste encore les voyelles nasales, très courantes en français.
- Le a nasal, c’est le [ɑ̃] que l’on rencontre dans banc. (Il y a en principe une différence entre ã et ɑ̃, mais en français moderne on prononce
- Le e nasal se distingue mal du précédent, mais le fait même que l’on dispose de deux graphies différentes (an et en) me laisse penser qu’il a dû y avoir une différence.
- Le i nasal, c’est le in que l’on rencontre dans pain, brin, oursin.
- Le o nasal [õ], c’est le on que l’on rencontre dans savon.
- Le œ nasal, noté [œ̃] en alphabet phonétique, s’écrit le plus souvent un. Beaucoup de Français ne sentent plus la différence entre in et un. De fait, un célèbre dessin animé fait rimer « coquin, câlin » avec « Petit Ours Brun ». Pour moi, sans doute parce que je suis méridional, la distinction reste très nette, et je ne prononce pas un brin d’herbe de la même façon que la couleur brun. J’ai d’ailleurs écrit un article sur le sujet.
Nous arrivons donc à un total de 16 voyelles utilisées en français. Seize sons voyelles à écrire tout en ne disposant que de cinq lettres, d’où l’attirail de signes et de combinaisons de signes qui contribuent à rendre l’orthographe du français bien compliquée. En plus, comme si cela ne suffisait pas, nous utilisons plusieurs graphies différentes pour le même son, et inversement plusieurs sons pour la même graphie.
Les voyelles théoriques
Si une voyelle est un son produit sans obstacle mis à l’émission de l’air, il y a, en vérité, bien plus de seize possibilités. Il existe d’autres voyelles, qui ne sont pas utilisées par la langue française. Wikipédia en recense 34 dans l’article sur l’Alphabet Phonétique International, article que je vous recommande car on peut s’amuser à cliquer sur chaque symbole pour entendre sa prononciation. Vous entendrez ainsi de nombreuses nuances vocaliques qui nous sont peu familières. Il s’agit là, bien entendu, d’un tableau théorique, dans la mesure où aucune langue n’emploie la totalité des voyelles possibles. Certaines cases du tableau demeurent même vides, signe que la possibilité théorique d’une voyelle de ce type n’a été réalisée dans aucune langue.
L’article Prononciation du français de Wikipédia est également bien intéressant pour tous ceux qui voudront pousser la réflexion un peu plus loin.
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J’espère que cet article vous a plu. N’hésitez pas à vous emparer de l’espace des commentaires pour toute remarque, question ou suggestion. Vous trouverez d’autres articles sur la langue française en parcourant la catégorie « Linguistique » de ce blog. Je vous remercie pour votre attention et je vous dis à bientôt !