Mauvais en orthographe : quelles solutions ?

C’est Aude Denizot, professeur de Droit à l’Université du Mans, qui l’écrit dans les colonnes du Figaro Etudiant : les étudiants, y compris ceux qui ont de bons résultats par ailleurs, sont mauvais en orthographe. Face à ce phénomène, quelles solutions apporter ?

Des profs trop peu exigeants ?

Les solutions sont simples, à en croire Aude Denizot : il suffirait que les élèves, dès l’école élémentaire, écrivissent davantage, au lieu de simplement compléter des photocopies. Elle plaide aussi pour que l’orthographe soit pénalisée dans toutes les matières, et non uniquement en cours de français. Ces affirmations laissent entendre que les professeurs du primaire et du secondaire sont trop peu exigeants, et qu’ils portent l’entière responsabilité de la persistance des erreurs rencontrées dans les copies des étudiants. Je ne pense pas que cela soit si simple…

Un constat réel

J’ai commencé à enseigner à l’Université, pendant quatre ans, où l’on m’a notamment proposé d’enseigner la méthodologie générale, consistant pour une large part en une remise à niveau en orthographe. J’ai donc pu moi-même constater que les étudiants rencontraient effectivement des difficultés, y compris pour des règles habituellement enseignées à l’école primaire.

Pour ma part, je crois qu’il s’agit avant tout d’un problème qui dépasse de loin le cadre de l’école. Les élèves d’aujourd’hui ne sont pas plus bêtes que ceux d’hier, et beaucoup réussissent les exercices qui leur sont demandés. Simplement, on constate que la réussite à un instant T ne suffit pas à entraîner l’automatisation des règles, qui permet de ne plus avoir besoin d’y penser. Les élèves comme les étudiants sont, la plupart du temps, capables d’énoncer les règles et réussissent à les mettre en application. Ils n’ont pas un défaut de connaissances. En revanche, ils ont un manque d’automatisation. Les connaissances ne se transfèrent pas en acquis définitifs. Si bien qu’il faudrait reprendre éternellement les mêmes notions.

De fait, au collège et au lycée, il est normal et sain que les cours de français se consacrent davantage à des notions plus avancées qu’à la révision des mêmes règles déjà travaillées à l’école primaire. Mais, si l’on comparait les élèves à des ordinateurs, on pourrait dire qu’ils ont une bonne mémoire vive mais très peu de mémoire morte. Ainsi, dès qu’une notion n’est plus travaillée, on a l’impression que les connaissances qui y sont rattachées sont, sinon effacées, du moins très difficilement accessibles. Autrement dit, on a affaire ici à un problème non de compréhension, mais de mémorisation à long terme.

Un problème non de compréhension,
mais de mémorisation

Je remarque que les élèves réussissent plutôt bien à orthographier les mots qui répondent à une règle logique : avec de l’entraînement, ils savent quand il faut doubler la consonne s, ou encore ils comprennent qu’il faut écrire un m devant m, b et p. C’est que de tels exercices sollicitent assez peu la mémoire : il est inutile d’apprendre par cœur l’ensemble des mots concernés, puisque la connaissance d’une règle qui se résume en une phrase ou deux permet de retrouver l’orthographe de tous les mots auxquels elle s’applique.

En revanche, dans bien des cas, il n’y a pas véritablement de règle qui explique pourquoi tel mot s’écrit d’une manière et pas d’une autre. Il y a certes une explication, qui nécessite de recourir à l’étymologie, mais pas vraiment de règle simple. C’est ainsi que le son [ã] peut s’écrire « an » ou « en », que le son [ɛ̃] peut être rendu par les graphies « in », « ein » ou « ain », ou encore que le son [o] s’écrit tantôt « o », tantôt « au », tantôt « eau », sans qu’il soit possible de l’expliquer par une règle simple et infaillible.

Je voudrais ici avancer une hypothèse : ici, et contrairement peut-être à ce que l’on pourrait s’imaginer, la mémorisation est plus coûteuse intellectuellement que la compréhension. Il suffit généralement de quelques minutes pour que les élèves vous assurent avoir compris la règle, et effectivement, dans les quelques minutes qui suivent directement son énonciation, les élèves sont capables de l’appliquer, y compris d’ailleurs des élèves en difficulté. Il est beaucoup plus fastidieux, en revanche, de mémoriser sur le long terme. Cela demande un effort beaucoup plus conséquent, et certains élèves ne sont pas armés pour y parvenir.

Quand ça s’enregistre tout seul…

Si vous interrogez des personnes adultes qui ont une orthographe excellente, vous apprendrez généralement que son apprentissage n’a pas été une torture particulièrement éprouvante. Ces personnes-là, en général, ont mémorisé sans s’en rendre compte les règles les plus complexes, sans que celles-ci n’aient besoin d’être formulées. Par quel miracle ? Mais par immersion dans l’écrit.

L’immersion est une pratique hautement recommandée dans l’apprentissage des langues étrangères. Rien ne vaut, nous assure-t-on, un bain linguistique permanent, fourni par un séjour dans les pays concernés, pour apprendre à parler une langue étrangère. À défaut, pour ceux qui n’ont pas les moyens financiers de s’offrir des voyages réguliers en pays étranger, on recommande de regarder des émissions et des films en langue étrangère.

La même chose vaut pour l’écrit, qui demeure pour un grand nombre d’élèves un monde étranger, qu’ils ne fréquentent que ponctuellement, là où d’autres baignent à temps complet dans l’univers des livres. Quand vous baignez en permanence dans l’univers de l’écrit, celui-ci n’est plus une langue étrangère. Et les règles s’inscrivent dans la mémoire sans qu’on ait besoin de les apprendre, de la même manière qu’un enfant apprend à parler sans avoir besoin d’apprendre des règles. C’est presque une lapalissade que de recommander de lire pour savoir bien écrire. Mais recommander est facile, tandis qu’il est beaucoup plus complexe de faire en sorte que les élèves lisent effectivement.

On ne sera pas surpris en apprenant que ce bain culturel est culturellement et socialement très marqué. Certains enfants grandissent dans un milieu où les livres sont omniprésents, et où ils sont sources d’activités familiales partagées, tandis que d’autres n’ont jamais franchi les portes d’une bibliothèque, et ne s’y sentent d’ailleurs pas vraiment à leur place.

Quelles solutions ?

Heureusement, des solutions existent, et beaucoup d’entre elles sont déjà mises en œuvre au quotidien par des milliers de professeurs.

  • On ne dira jamais assez l’importance de leçons spécifiquement dédiées à un point d’orthographe précis. Elles permettent de mettre l’accent sur cette notion particulière, qui ne doit pas être noyée dans la masse d’autres informations. L’élève doit découvrir la règle en manipulant le langage, puis s’exercer à l’appliquer.
  • On sera d’accord avec Aude Denizot pour dire que les dictées sont un exercice indispensable, à pratiquer de façon quotidienne ou presque. À ceci près qu’il importe de rappeler que c’est l’un des exercices les plus difficiles, puisque la totalité des règles apprises est susceptible d’intervenir. Et que la version traditionnelle de la dictée est davantage un support d’évaluation que réellement un moyen d’entraînement. Il faut donc miser sur les variantes que sont la dictée négociée, la dictée préparée, l’autodictée, la dictée flash, etc., qui ont toutes un intérêt différent, et insister sur la correction et la compréhension des erreurs.
  • Puisque le problème est celui de la mémorisation sur le long terme, on pourra travailler sous la forme de rituels orthographiques. L’an dernier, j’ai ainsi proposé, chaque jour, à mes élèves, de justifier l’orthographe d’une phrase donnée. Cela permettait de reparler de notions antérieures. Il existe aussi des jeux et ateliers autonomes, à faire seul ou en petit groupe. Quelque chose de facile à mettre en place, et qui ne nécessite d’investir aucun argent, est la mise à disposition de fiches sous plastique, sur lesquelles on écrit au feutre effaçable.
  • Je suis également assez d’accord pour affirmer l’importance de la copie. Mais il me semble nécessaire de distinguer la copie pure et simple, où l’élève écrit d’après un modèle correctement orthographié, et la copie des exercices, où deux tâches se superposent, ce qui peut faire trop pour certains élèves. Il faut faire les deux.
  • Enfin, il découle de ce qui précède qu’il faut créer un bain immersif dans l’écrit, et pour cela favoriser la lecture sous toutes ses formes. Le « quart d’heure de lecture », également parfois appelé « Silence, on lit ! », est une activité essentielle en ce qu’elle permet d’ancrer l’habitude de lire. Il importe aussi de mener des séances de littérature autour d’œuvres intégrales, en y incluant les grands textes du patrimoine : les profs voudraient peut-être changer un peu des contes de Perrault et des fables de La Fontaine, mais si ce n’est pas eux qui enseignent cette culture commune, qui le fera ? On recommandera aussi le « speed booking », qui permet aux élèves de partager leurs goûts de lectures.
  • Au-delà des exercices d’orthographe « type Bled » dont parle Aude Denizot, il est important aussi de ne pas négliger les séances de production d’écrits, en y incluant la fameuse séance de « toilettage orthographique ». Il faut que les élèves s’habituent à s’exprimer à l’écrit. La pratique du « cahier d’écrivain » est en ce sens extrêmement pertinente.

On le voit, il n’y a pas de solution miracle, mais une convergence d’outils qui, réunis, finissent par avoir des effets positifs sur l’orthographe des élèves. Et ces outils sont déjà mis en œuvre dans les classes ! Il faut donc arrêter de s’en prendre au laxisme des professeurs, qui est à mon sens une fable. Mais, de même que les muscles fondent dès qu’on cesse tout entraînement sportif, les automatismes orthographiques disparaissent si l’on n’écrit plus. Or, beaucoup d’entre nous n’écrivent qu’à l’école, et les souvenirs sont difficiles à mobiliser lorsque la vie adulte n’exige que très rarement d’y avoir accès.

Pour en savoir plus

J’ai écrit cet article en réaction à un article du Figaro Étudiant, qui interroge une professeure de droit sur le piètre niveau orthographique des étudiants.

Par ailleurs, vous trouverez sur ce blog de nombreux articles relatifs, d’une part, à la langue française, et d’autre part, à l’enseignement. Parmi ceux-ci, vous serez peut-être intéressés par les suivants :

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7 commentaires sur « Mauvais en orthographe : quelles solutions ? »

  1. Moi aussi je me questionne depuis des années sur cette question, ton article résume assez bien la question et propose les solutions. Je dois dire que cette immersion est nécessaire notamment pour cette mémoire visuelle qui fait souvent défaut aujourd’hui et le passage à l’écrit avec la production. J’ai dû former des adultes qui voulaient faire de la remise à niveau en orthographe et je suis toujours étonnée de la différence qu’il y a pour eux entre l’oral et l’écrit. Mon élève actuel s’en sort aussi très bien avec la pratique de la lecture à voix haute et le théâtre cela l’aide beaucoup à apprivoiser l’écrit.

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  2. Pour des jeunes plus âgés, je « rachète » (carotte) la moitié des points perdus (bâton) (-1 point pour 10 erreurs) à condition qu’ils corrigent eux-mêmes leurs négligences, sur la base du volontariat, en expliquant la règle qui leur a permis de trouver la forme correcte – par exemple la règle d’accord du participe passé, l’étymologie qui explique la forme… Cette méthode, outre qu’elle les oblige à s’interroger sur la règle ou la forme, les responsabilise en leur faisant comprendre qu’ « être mauvais en orthographe » n’est -le plus souvent- pas une fatalité! Mais ce n’est pas la panacée non plus…

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  3. Après avoir enseigné le français pendant vingt ans dans un collège, j’ai pu remarquer d’énormes problèmes par rapport aux compétences langagières. Durant mes dernières années, je donnais des dictées formatives afin d’aider les étudiantes et les étudiantes à comprendre leurs erreurs. Je trouve votre article fort intéressant. Merci.

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