L’aube se nimbait d’un voile, ce matin, et moirait le ciel de reflets argentés. Sur la plage du Centenaire, à l’embouchure du Paillon, les galets répétaient inlassablement leur chant cristallin. Aujourd’hui, les rares coureurs matinaux n’étaient pas les seuls à s’être levés pour assister à ce spectacle. Sur la plage, une petite foule s’est réunie autour de Marilyne Bertoncini et Sophie Allain.
On ne pouvait rêver meilleur décor pour une lecture de poésie. La nudité de la ligne d’horizon, le turquoise ourlé d’écume de la mer, le vol des mouettes et même de quelques canards… Derrière, la ville encore à demi endormie. L’endroit même invite à pleinement savourer l’instant, dans ce temps calme et indécis entre le rêve et l’éveil.
Il ne s’agit pourtant pas de simplement s’évader. Les mots de Marilyne Bertoncini nous emmènent à une autre plage, celle d’Onagawa. Une plage au destin hautement tragique, puisqu’elle fut frappée de plein fouet par le tsunami qui provoqua également le désastre de Fukushima.

Magnifiés par les accompagnements mélodiques de Sophie Allain, les mots de Marilyne Bertoncini résonnent de façon particulièrement puissante face à cette mer calme dont on imagine le possible déchaînement. La poétesse a su inscrire de façon particulièrement vivante cette tragédie qui a fait des milliers de morts en l’espace de quelques minutes.
Nous sommes happés par cette histoire d’amour absolu, cruellement interrompue par la vague destructrice. Elle, employée de banque, partie se réfugier sur le toit d’un immeuble qui n’était pas assez haut pour échapper à la vague. Lui, plus loin du littoral au moment de la catastrophe, épargné mais inconsolable, recherchant coûte que coûte le corps de sa bien aimée disparue, plusieurs années durant. Une histoire vraie, qui aurait pu être celle de chacun de nous. Marilyne Bertoncini scande les syllabes du mot « Onagawa », qui s’élèvent dans le ciel niçois malgré leur poids tragique.
Une histoire d’une très grande beauté, servie par une tout aussi grande simplicité. Nul excès de pathos, nulle exclamation larmoyante : le tragique se suffit à lui-même, et sublime l’amour de deux êtres, injustement séparés par la vie. D’elle, il ne restera qu’un dernier SMS, ultime trace de son existence, du fait de la disparition d’un corps que lui ne cessera de chercher.
Face à ces mots, face à la mer, chacun se recueille, chacun médite. La mer, l’amour, la mort. Y a-t-il sujet qui nous concerne davantage ? Chacun contemple ces roses éphémères fichées dans les galets, magnifique symbole, car polysémique : images d’espoir et de vie, d’une vie capable d’émerger de l’aridité des galets, mais aussi images de fragilité, rappel de notre mortelle condition. Une illustration parfaite du thème de l’éphémère.
Après avoir vécu un instant si intense, chacun demeure un instant interdit. Les syllabes du mot « Onagawa » continuent de résonner dans les esprits. Puis, les langues se délient. Il ne s’agit pas simplement de bavarder : un véritable temps de partage s’instaure, rendu possible par ces mots si forts. Chacun a conscience, en savourant son café, son pain au chocolat ou son croissant, d’avoir vécu un instant particulier, plus intense, plus riche de sens et de beauté.

Pour découvrir plus amplement l’univers de Marilyne Bertoncini, je vous invite à vous reporter aux articles que je lui ai déjà consacrés, l’un au sujet de La Noyée d’Onagawa, l’autre consistant en un entretien avec elle.
Je vous rappelle que cette lecture de poésie s’inscrit dans le Festival Poët Poët, dont j’ai maintes fois parlé sur ce blog. Prochaines manifestations : une « sieste poétique » à Aiglun le jour même, et un grand spectacle à l’Entre-Pont (le « 109 »), route de Turin à Nice, lundi soir.

Poignant. Magnifique. Merci pour cette poésie en prose et ce paysage si bien choisi pour évoquer cette rude tragédie. Nous connaissons bien Sophie et sa maman. Nous n’attendons que de bonnes et belles choses de sa part. Sauf qu’elle nous surprend toujours.
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