C’était un vendredi soir de janvier. À l’heure où le campus Carlone se vide habituellement de ses étudiants, une vive lumière brillait aux fenêtres de l’amphi 75. L’amphi de danse. Sur les gradins, les spectateurs sont venus assister au récital de poésie de Béatrice Bonhomme.
L’intensité nue d’une voix poétique
La poète avait choisi pour cette représentation des poèmes issus de recueils différents. Certains très anciens. D’autres très récents. Certains que je connaissais déjà, et d’autres que je découvrais pour la première fois. La maison abandonnée, Cimetière étoilé de la mer, Les gestes de la neige…
D’une voix neutre mais attachante, qui n’entend pas jouer le texte à la façon d’un comédien, mais en exprimer l’intensité nue, Béatrice Bonhomme a témoigné ce soir-là de la grande diversité de sa poésie, de sa grande inventivité, mais aussi de sa non moins grande unité de ton et d’intention. J’ai été frappé par le fait que les poèmes, parfois écrits à des années d’intervalle, paraissaient avoir été écrits pour être mis ensemble.
Chaque texte se nourrit du vécu, d’une expérience concrète. Mais si la poète puise au plus intime, c’est pour atteindre à l’universel. Il ne s’agit pas de se dire, de parler de soi, mais de partir de la seule véritable expérience que nous avons, la nôtre, pour parler d’amour, de vie, de mort. J’ai été très ému par un poème consacré à la grand-mère de Béatrice Bonhomme.
Poésie des instruments à vent

Ces lectures étaient accompagnées des interventions improvisées de Claude Braud, instrumentiste professionnel, venu tout exprès de Paris pour cette performance. Il a alterné trois instruments à vent, flûte, clarinette et saxophone, avec des mélodies contemporaines, largement improvisées. Il ne s’agissait pas d’un simple accompagnement mais bien d’une performance à deux voix. J’ai été frappé par la grande qualité d’écoute des deux artistes, chacun extrêmement attentif à l’autre, qui a permis que fonctionne ce mariage de la poésie et de la musique.
Le spectacle s’est terminé avec un très intéressant temps d’échange entre le public et les artistes. Béatrice Bonhomme a pu revenir sur les enjeux de sa pratique poétique, tournée vers la nudité, vers un lyrisme nu, sans apprêts mais d’autant plus intense. Elle est revenue vers la genèse de cette aventure poétique, qui remonte à l’enfance, quand elle a appris à lire au milieu des fleurs et des couleurs des collines niçoises. Pour elle, les mots n’ont rien d’abstrait, ils ont une dimension charnelle autant qu’intellectuelle. Le corps possède ainsi une importance essentielle dans ses poèmes.
Ce temps d’échange a aussi permis d’expliquer comment ce spectacle s’est préparé, comment les deux artistes se sont connus et ont souhaité faire œuvre ensemble. Les deux artistes ont raconté la difficulté de répéter à distance l’un de l’autre, à l’aide des outils modernes de visioconférence, et la façon de contourner ces difficultés pour arriver au magnifique résultat que nous venions de partager.
De telles performances rappellent que la poésie est bien vivante. Que si sa place est dans les livres, elle l’est tout autant dans nos vies, au cœur de la cité. Ce genre d’événements est précieux, permettant de retrouver un lien, trop longtemps perdu, entre la poésie contemporaine et le public. Depuis l’aède et le griot, la poésie est un art collectif et fédérateur. Puisse-t-elle être le remède à l’individualisme et au cynisme de notre époque.
(Image d’en tête : la mer, si présente dans l’univers de Béatrice Bonhomme. Photo personnelle.)
