C’était une première pour moi. Animer un atelier d’écriture dans une maison de retraite. Pour ouvrir à tous les portes de la poésie, dans le cadre du Festival qui s’annonce.
Quand Sabine Venaruzzo, organisatrice du Festival Poët Poët qui se tient chaque année en différents lieux de la Côte d’Azur depuis plus de 15 ans, m’a proposé d’intégrer le « PoëtBuro », j’ai évidemment accepté avec joie. Pour cette édition 2022 placée sous le signe de « l’éphémère », thème annuel du Printemps des Poètes, j’ai animé un atelier d’écriture dans une maison de retraite de Nice.
En amont, un peu de préparation. Choisir quelques recueils à amener. Prévoir de lire quelques poèmes. Non pas en tant que modèles à imiter. Surtout pas. Mais avoir, quand même, un peu de matière. On n’écrit pas à partir de rien. Choisir des poèmes assez légers. Susceptibles d’égayer l’existence, que l’on devine morose, de ces retraités. Un recueil de poésie chinoise. Quelques haïkus aussi. Un livre de François Cheng. Le Pléiade de Jaccottet. Une façon d’introduire au thème de l’éphémère. En évitant, autant que possible, d’évoquer la mort, pourtant inévitable dès qu’on aborde l’éphémère. Même si je sais que son ombre planera quoi qu’on y fasse.
Vendredi 11 février, 14 h 30. On y est. Il y a forcément un peu d’appréhension en pénétrant dans l’hôpital. Ne pas savoir au juste ce qu’il va se passer. Sabine et moi sommes accueillis par Karine, qui nous a invités à intervenir dans cette maison de retraite. Nous sommes conduits vers une pièce qui ressemble à une salle de classe, avec des tables accolées en cercle. Au fond trône un paper-board. Par la fenêtre, on peut voir les collines niçoises éclairées par la lumière oblique d’un soleil blafard. Les retraités sont déjà installés. Certains en fauteuil roulant. Ils patientent calmement, sans bruit. Presque endormis. Une dizaine de femmes, et un homme.
Nous nous présentons, chacun à notre tour. Nous présentons le projet : recueillir des voix poétiques pour une diffusion au moment du Printemps des Poètes. Dans les haut-parleurs de la Coulée Verte, à Nice, mais pas seulement. Aussi dans des communes participantes : la Gaude, Aiglun, Clans. Expliquer que des voix d’enfants, des voix de retraités et des voix de poètes professionnels se mêleront dans ces haut-parleurs.
Pour l’instant, ils ne réagissent pas trop. J’essaie de leur faire dire leurs prénoms. Certains répondent. D’autres n’entendent pas. Je parle plus fort. Je leur demande ce que leur évoque le mot de « poésie », et j’écris leurs réponses au tableau. Exactement comme je l’aurais fait avec mes élèves. Cela constitue un premier échange. Un réservoir de mots pour la suite, aussi. L’important est d’abord de briser la glace. Qu’ils n’aient pas peur de prendre la parole.
Je leur lis quelques poèmes. Je leur parle un peu de l’éphémère. Je leur pose des questions. Nous prenons en note leurs premières réponses. Nous étions avertis, en effet, que la plupart d’entre eux étaient incapables d’écrire. Ils font état de leur solitude, de leur détresse. On voit bien que leur vie n’est pas drôle. On va se concentrer sur les petites joies simples du quotidien. Je leur explique que la poésie, ce n’est pas faire comme si tout allait bien. Je leur dis, ce n’est pas à vous que je vais faire croire que tout va pour le mieux. La poésie, ce n’est pas faire semblant que tout va bien. Mais elle peut aider à saisir ces instants éphémères qui nous font du bien.
J’ai l’impression que cette idée les détend. Ils parlent du coucher du soleil, sur la colline. De la possibilité de se promener dans le parc. Des arbres, qu’ils affectionnent. Je recueille leurs phrases. Petit à petit, sur le paper-board, le poème s’agence. J’écris le plus gros possible, avec mon écriture d’enseignant.
Puis vient le temps de l’enregistrement. Sabine relie son micro à son téléphone portable. Nous faisons répéter les vers aux uns et aux autres. Tous ne comprennent pas immédiatement la consigne. Quelques rires. Parfois, une phrase jaillit spontanément, qui ajoute un peu de profondeur, ou au contraire de légèreté, au poème déjà écrit. Ma joie, dit-elle, c’est que mon arrière-petite-fille me téléphone : elle est comme moi, elle déteste les carottes ! Instants très touchants.
Une résidente chante les vers de Charles Trenet : « Longtemps, longtemps, longtemps, après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues »… Un choix émouvant, tellement pertinent. Les convives reprennent en chœur. Nous enregistrons ces instants de joie. Nous avons réussi cela, mettre un peu de chaleur humaine, apporter un peu de joie. Une autre retraitée chante sa chanson préférée : « Padam, padam, padam ! » Tout le monde applaudit.
Une infirmière entre pour administrer un médicament. Il reste encore quelques enregistrements à faire. Nous nous assurons que toutes les voix ont été capturées, ne serait-ce qu’un petit peu. Puis il faut bien annoncer l’heure du départ. Ce n’est pas facile. On sent combien ces retraités se sont plu à cette activité. Ça nous change des mots fléchés, dit une convive. On sent combien ils se sentent seuls. Ce n’est pas facile de dire au revoir, de renvoyer ces gens à leur solitude. On se dit qu’on reviendra, qu’on leur fera écouter le résultat final. Je sais que ma petite participation a été bien peu de chose. Que cette heure plus joyeuse les renvoie, par contraste, à leur tristesse ordinaire.
Une fois sorti de l’hôpital, les voix attachantes de ces convives résonnent encore dans ma tête. Partager un café avec Sabine. J’ai besoin de ce temps-là. D’échanger avec elle. Cela aide à gérer l’émotion. Nous sommes tous les deux très touchés par ces petits vieux sympathiques qui se sont pris au jeu avec plaisir. Je fais remarquer à Sabine qu’il y a eu une vraie écoute des uns et des autres, de vrais temps d’échange. Ils auraient pu être refermés sur eux-mêmes, à ne vouloir parler que d’eux-mêmes. Bien au contraire, personne ne s’est coupé la parole, tout le monde s’est écouté. Le poème s’est vraiment construit de façon collective.
De retour chez moi, ce n’est pas terminé. Sabine m’a envoyé sur WhatsApp les différents fichiers enregistrés. Je dois faire le montage audio. Il faut d’abord récupérer ces fichiers sur l’ordinateur. Ensuite, les convertir dans un format lisible par le logiciel de montage. Puis écouter les différents fichiers. Couper ici et là, supprimer les bruits parasites, mettre bout à bout les mots et les phrases. C’est un travail fastidieux. Je m’y prends petit à petit. Au départ, je progresse lentement : je n’ai pas l’habitude de faire du montage audio. Assez rapidement, je me forme à l’utilisation du logiciel. Ça avance.
Bientôt, vous pourrez écouter, lorsque vous vous promènerez sur la Coulée Verte, les voix de ces nonagénaires qui, pour la plupart, ne sont plus capables de lire et d’écrire, mais qui ont encore du plaisir à parler, à formuler des vers libres, à rencontrer la poésie. Merci à eux.
À VENIR DANS LES PROCHAINS JOURS…
Le Printemps des Poètes approche. Je vous annoncerai en temps voulu le programme des festivités prévues dans le cadre du Festival Poët Poët 2022. Et, bien entendu, je rendrai compte des manifestations auxquelles je participerai.

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