La notion d’aspect verbal, longtemps réservée aux étudiants du Supérieur, a fait son entrée dans les programmes d’enseignement primaire. En effet, les programmes actuellement en vigueur (cycle 3) stipulent que les élèves doivent être « initiés à la notion d’aspect verbal ». Il s’agit donc d’une simple initiation à la valeur des temps, que l’on retrouve à la fois dans les domaines de la compréhension écrite et dans ceux de la production d’écrit. Dès lors, qu’est-ce que recouvre au juste cette notion ?
Au commencement était le Verbe
Pour bien comprendre ce qu’est l’aspect verbal, il faut revenir à la définition de ce qu’est un verbe. Un verbe, c’est une partie du discours, une classe grammaticale, qui rassemble des mots qui ont une même fonction majeure, celle de servir de base ou de pivot dans une phrase. Ces mots ont en commun avec les noms et les adjectifs d’être variables en nombre et en genre. Mais ce qui les distingue, c’est qu’ils sont en outre variables en personne (les six personnes de la conjugaison française) et en diathèse (la voix active ou passive). Eh bien, l’aspect, c’est une autre des caractéristiques du verbe, il varie également en aspect selon la façon dont on l’emploie.
L’aspect, qu’es aco ?
Un verbe désigne, le plus souvent, un procès (une action). Celle-ci peut avoir lieu dans le présent, dans le passé ou dans l’avenir : c’est ce qu’on appelle le temps du verbe, indiqué par le choix du tiroir verbal correspondant. Il n’y a guère que trois catégories temporelles : le présent, le passé et le futur. L’aspect, lui, va s’intéresser à la façon dont le procès va occuper le temps. Cela donne, si l’on veut, une information plus précise sur la façon dont le procès s’inscrit dans le temps.
Autant le temps d’un verbe est facile à déterminer, puisqu’il suffit de considérer sa terminaison, autant ses valeurs aspectuelles ne sont pas aussi clairement marquées d’un point de vue morphologique. La morphologie entre cependant en ligne de compte, comme nous l’allons voir, mais bien souvent aussi le contexte, les modalisations, etc. Aussi se demande-t-on parfois si l’aspect est bien une caractéristique du verbe (au même titre que sa personne, son temps, sa voix) ou s’il n’est pas simplement une nuance sémantique de la phrase entière, ou du moins du syntagme verbal. Autrement dit, si l’aspect a une dimension grammaticale, avec une opposition entre des tiroirs verbaux dont la sélection permet de choisir un aspect ou un autre, il a aussi une dimension lexicale, où l’aspect découle essentiellement du sémantisme du verbe et des modalisations associées.
Les principales oppositions aspectuelles
1. Le procès est envisagé dans sa totalité
a. Aspect accompli et inaccompli
L’aspect accompli désigne un procès considéré comme achevé au moment où parle le locuteur, alors que l’aspect inaccompli désigne un procès considéré comme étant encore en cours, ou comme ayant encore un impact sur le moment de l’énonciation.
La différence entre ces deux aspects apparaît clairement lorsqu’on oppose deux phrases différentes. Ainsi, le présent « il meurt » marque l’inaccompli, là où le passé composé « il est mort » marque l’accompli. D’ailleurs, s’agissant de ce dernier passé composé, c’est la valeur aspectuelle qui importe, davantage que le fait qu’il s’agisse du passé : il est (actuellement dans l’état suivant) mort. Le passé composé est l’accompli du présent.
Cette opposition est également à l’œuvre dans le choix entre passé simple et imparfait (Il mangeait quand le téléphone sonna), même si une autre nuance aspectuelle intervient alors : la distinction entre aspect sécant et non-sécant.
b. Aspect perfectif et imperfectif
Un procès perfectif est un procès qui a besoin d’aller jusqu’à son terme pour qu’on puisse dire qu’il a eu lieu. L’exemple donné par Wikipédia est très parlant : le verbe sortir est perfectif, parce que ce n’est qu’une fois qu’on est sorti (de la maison, par exemple) que le procès a effectivement eu lieu. Si l’on est interrompu en cours de route, on n’est pas sorti. Le verbe chanter au contraire est imperfectif, car même si l’on est interrompu dans son chant, on a quand même chanté.
c. Aspect sécant et non-sécant
Pour comprendre cette autre distinction aspectuelle, il faut avoir à l’esprit qu’un procès peut être représenté par un segment sur une droite, borné à droite et à gauche par un début et une fin.
Parfois, le procès est envisagé sans tenir compte des bornes. C’est l’aspect sécant. Quand je dis « il marche », on ne sait pas depuis combien de temps il marche, ni s’il va s’arrêter et à quel moment prendra fin cette action. Les bornes sont gommées.
Le choix d’un autre tiroir verbal, ou la présence d’informations complémentaires, font parfois que les bornes sont marquées. C’est l’aspect non-sécant.
Cette opposition explique que l’on doive faire le choix entre passé simple et imparfait. Le passé simple a un aspect sécant. Quand je dis « Il marcha », on envisage un procès avec ses bornes temporelles. Si je dis « il marchait », je considère le procès sans tenir compte de ses bornes temporelles.
REMARQUE
Par conséquent, la différence entre passé simple et imparfait ne repose pas, contrairement à ce que l’on entend parfois ici et là, sur la durée des procès envisagés. On peut très bien dire « mille ans s’écoulèrent » et « une feuille tombait ». La différence tient à la façon dont le procès est envisagé. C’est une différence aspectuelle.
2. Seulement une phase du procès est envisagée
L’aspect de phase concerne les énoncés où l’on considère seulement une phase du procès. Celui-ci est généralement marqué par une périphrase verbale. On peut s’intéresser seulement à la préparation, au début, à la durée, à la fin ou à ce qui suit la fin d’un procès.
- L’aspect inchoatif considère essentiellement le procès dans son début. Il est généralement marqué par les modalisations se mettre à, commencer de, etc.
- L’aspect terminatif considère le procès dans sa fin (on peut dire aussi égressif). Ce sont les phrases avec finir de, cesser de, etc.
- Avec l’aspect prospectif, le procès est envisagé comme étant sur le point de se produire. On parle aussi d’aspect imminentiel. Ce sont les périphrases en être sur le point de, s’apprêter à, etc.
- L’aspect rétrospectif présente le procès comme venant d’avoir lieu. On insiste sur la phase post-processuelle. Ce sont les périphrases en venir de, etc. Certains en font un synonyme de l’aspect accompli.
- L’aspect duratif ou continuatif insiste sur la phase médiane du procès. Ce sont les périphrases en continuer de.
3. Aspect itératif
Le procès est représenté comme se reproduisant de nombreuses fois. Le présent de l’indicatif peut être marqué par l’aspect itératif : Il mange à la cantine, par exemple, peut renvoyer non pas à un seul repas, mais bien à une habitude prise par la personne.
En anglais, le présent simple peut marquer l’aspect itératif, contrairement au présent en V-ing. Si je dis I am running, c’est que je suis en train de courir, alors que si je dis I run, je peux présenter une habitude (aspect itératif).
En français, l’aspect itératif n’est pas marqué par une désinence verbale spécifique, et ce sont souvent les autres éléments de la phrase, notamment les adverbes et compléments de temps, qui l’indiquent (chaque semaine, tous les lundis, régulièrement…).
Pour en savoir plus
Pour construire cet article, je me suis basé sur :
- Catherine TRESSON, « Aspect (grammaire) (carte mentale) », Encyclopaedia Universalis, https://www.universalis.fr/encyclopedie/aspect-grammaire/, consulté le 26/01/22.
- Gosselin (L.), 2018, « L’Aspect verbal », in Encyclopédie grammaticale du français,
en ligne: encyclogram.fr - Wikipédia, articles « Aspect » et « Aspect perfectif/imperfectif »
- Geneviève SALVAN, Cours de grammaire pour l’Agrégation de Lettres modernes, cours portant sur les emplois du présent dans les Salons de Diderot.
On notera que le présent article n’est qu’un résumé qui ne se veut pas un résumé scientifique. Pour des informations plus complètes, je vous renvoie à ces sources. Pour l’anecdote, je me permets de préciser que certains articles scientifiques utilisent une terminologie complexe. Je ne résiste pas au plaisir de citer ce passage, extrait de Damourette et Pichon, grands grammairiens du XXe siècle, cité par Christian Surcouf :
"Soit en synchronie et en coréalité avec le moi-ici-maintenant, ce qui constitue le centre actuel de l’actualité noncale, exprimé par le savez ; soit en dehors de cette synchronie et de cette coréalité, ce qui constitue le centre actuel de l’actualité toncale, exprimé par le saviez. Il n’y a donc qu’une seule ère noncale, celle dont l’origine est le moi-ici-maintenant, mais une infinité d’ères toncales possibles." (DAMOURETTE & PICHON 1911-1936, 246 §1749)
Si certains d’entre vous sont capables de traduire en français courant, merci de laisser un commentaire au bas de l’article !

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