L’appellation même de « poème en prose » repose sur une apparente contradiction. Pour le maître de philosophie du Bourgeois gentilhomme, les deux catégories de prose et de poésie s’excluent mutuellement. Cependant, depuis Molière, maints artistes se sont fait fort de bousculer les catégories traditionnelles. Si bien qu’en effet, il s’écrit aujourd’hui beaucoup de « poésie en prose ». Qu’est-ce donc que cela ?
1 Genèse du poème en prose
Le poème en prose est né au xixe siècle, époque de tous les changements et de toutes les révolutions. Bien des choses qui, jusqu’alors, paraissaient éternelles et immuables, apparaissent désormais comme contingentes, reposant sur une convention humainement établie et non sur une loi naturelle. En même temps que prenait fin l’Ancien Régime, mouraient un grand nombre de certitudes. Le partage entre prose et poésie est l’une d’entre elles.
1.1 La traduction en prose de poèmes étrangers
À cette époque, il était habituel de traduire des poèmes étrangers, en particulier des poèmes longs qui présentaient une dimension narrative, non pas en vers, mais en prose. Le public français commençait donc à s’habituer à l’idée que la forme versifiée n’était pas une caractéristique définitionnelle de la poésie. Si l’on peut traduire des vers par de la prose, c’est bien que les vers ne sont qu’une forme de la poésie, et non la poésie même.
À la fin du XVIIIe siècle, le poète écossais James Macpherson se présente comme le traducteur de poèmes attribués à l’antique barde Ossian. En réalité, il aurait largement adapté à sa guise les textes anciens. Toujours est-il que ces poèmes d’outre-manche parviennent en France à travers des traductions en prose. Petit à petit, le public français s’habitue à lire de la poésie dans une forme autre que le vers.
1.2 Aloysius Bertrand et Gaspard de la nuit
C’est en 1842, à titre posthume, que paraît Gaspard de la Nuit, recueil de poèmes en prose d’Aloysius Bertrand, généralement considéré comme marquant la date de naissance du poème en prose en France, même si, on vient de le voir, des précédents existent. Ces tableaux pittoresques et oniriques d’un Moyen-Âge fantasmé ont cependant été éclipsés par ceux, résolument modernes, de Baudelaire, qui a fait connaître Bertrand en faisant de lui l’inventeur du poème en prose.
1.3 Les Petits Poèmes en Prose de Baudelaire
Charles Baudelaire peut être considéré comme celui qui a donné ses lettres de noblesse au poème en prose. Grâce à Baudelaire, le poème en prose n’est plus seulement une expérimentation, une tentative isolée, mais bien une forme de poésie à part entière, qui a désormais droit de cité autant que n’importe quelle autre.
Comme il s’en explique dans la « Lettre à Houssaye » qui sert de préface aux Petits Poèmes en prose, Baudelaire rêvait de créer le « miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ».
Il s’agit, en somme, de sortir du caractère préformé du rythme de la versification traditionnelle. Dans la poésie versifiée régulière, le rythme a quelque chose de prévisible, puisqu’il se coule dans le cadre imposé par la métrique. Baudelaire recherchait quelque chose de plus souple, de plus familier, de plus adapté au monde moderne. Il ne dépréciait pas pour autant le vers, qui restait pour lui la forme noble de la poésie, telle qu’il la pratiquait dans Les Fleurs du Mal. Mais il souhaitait présenter un « pendant » (le mot est de lui) à ce dernier ouvrage, et ce furent les Petits Poèmes en prose. L’adjectif n’est pas anodin : il dit bien que, pour leur auteur, ces textes ne se placent pas sur le même plan que Les Fleurs du Mal. Il suffit pourtant d’ouvrir cet ouvrage pour se rendre compte que Baudelaire a écrit là un ouvrage fort savoureux, qui a su sonder le « spleen de Paris ».
Qu’y a-t-il de proprement poétique dans un texte comme « La femme sauvage et la petite maîtresse », où Baudelaire, non sans malice, donne à voir à la femme aimée le spectacle rebutant d’une femme exposée à la foule comme un monstre ? Un tel texte relève tout à la fois du récit et de la description. Il tient aussi de la réflexion morale, l’épisode qui nous est relaté étant destiné à faire réfléchir la femme aimée, présentée comme destinatrice du texte, et, partant, le lecteur lui-même. Je crois que ce qui fait de ce texte un poème, ce ne sont pas des caractéristiques formelles, mais le fait qu’il se donne à lire comme un objet poétique, qui vaut avant tout pour lui-même.
Je vous invite, pour en savoir davantage sur cet ouvrage fascinant à plus d’un titre qu’est Le Spleen de Paris, à vous reporter aux différentes lectures que j’ai déjà proposées de plusieurs de ses poèmes.
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2 Définir le poème en prose
Définir le genre du poème en prose relève de la gageüre, tant celui-ci s’inscrit en dehors de règles préétablies, et que la liberté prévaut avant toute autre forme de considération. Il semble certain, en revanche, que le poème en prose n’est pas de la « prose poétique ». On peut ainsi proposer plusieurs tentatives de définition, dont aucune ne semble parfaite.
2.1 Difficulté de la définition
Comme je l’ai noté dans ma thèse de doctorat, plusieurs éminents critiques notent le caractère indéfinissable du poème en prose.
C’est ainsi que Daniel Leuwers affirme, dans son Introduction à la poésie moderne et contemporaine (Nathan, Paris, 2001), que le poème en prose « reste aussi difficile à définir ; et l’on est toujours tenté de se contenter d’une référence aux modèles, de dire : le poème en prose, c’est Le Spleen de Paris ou les Illuminations, et tout ce qui leur ressemble ». De même, pour Jean-Louis Joubert, dans son essai sur les Genres et formes de la poésie (Armand Colin, Paris, 2003, pp. 109-110), « ni ses traits formels […], ni ses choix thématiques ne permettent de […] donner [au poème en prose] une définition stable » ; il « continue d’être un objet problématique, à l’identité mal définie ».
Les poèmes en prose de Baudelaire sont eux-mêmes fort différents entre eux : certains jouent d’assonances, d’allitérations, de répétitions qui créent une forme de musicalité, certes différente de celle instaurée par le vers régulier, mais une musicalité tout de même. On pourrait donc être tenté de considérer que cette musicalité marque la poéticité de ces textes.
Pourtant, force est de reconnaître que, parmi les textes du Spleen de Paris, certains se lisent comme de brefs récits, parfois comme de mini-contes fantastiques. Ils ne sont pas ciselés comme le seraient des vers. Certains sont essentiellement narratifs, d’autres davantage descriptifs.
Si les poèmes en prose de Baudelaire sont très divers entre eux, on imagine bien que l’ensemble des poèmes en prose écrits depuis présente une hétérogénéité bien plus grande encore. Aussi importe-t-il d’avoir à l’esprit cette grande diversité, laquelle est tout à la fois formelle, thématique et esthétique.
2.2 Ce que le poème en prose n’est pas
S’il est difficile de définir de façon précise ce qu’est un poème en prose, en revanche il n’est pas très malaisé d’identifier ce qu’il n’est pas, et avec quoi il risque cependant d’être confondu. En particulier, il convient de distinguer « poème en prose » et « prose poétique ». Il importe aussi de rappeler que, contrairement à ce que l’on croit souvent, vers et prose ne constituent pas un choix binaire, et qu’il est des formes poétiques impossibles à rattacher à l’un ou à l’autre.
En premier lieu, il faut affirmer que le poème en prose n’est pas la « prose poétique ». J’appelle « prose poétique » (enfin, je ne suis pas le seul) un passage de prose qui possède des accents « poétiques ». Autrement dit, la prose poétique, c’est, d’abord et avant tout, de la prose. Ce sont, par exemple, certaines pages des Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand, ou encore des Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau. Ou, pour prendre un exemple dans le vingtième siècle, Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq. La « prose poétique », ce n’est pas de la poésie, c’est de la prose qui cherche à y ressembler. C’est un extrait d’un roman qui se détache du reste de l’ouvrage par ses qualités stylistiques, par ses thèmes plus ou moins oniriques, par sa beauté.
Pour le dire de la façon la plus concise possible, la prose poétique, c’est de la prose aux accents poétiques, mais ce n’est pas de la poésie. Le poème en prose, en dépit de sa forme non versifiée, est de la poésie. Le poème en prose, c’est un texte qui se donne avant tout à lire comme étant de la poésie, même s’il n’adopte pas la forme versifiée.
Je voudrais ensuite insister sur le fait qu’il est faux d’affirmer que vers et prose embrassent l’ensemble de ce qui peut s’écrire, et que tout texte résulte soit de l’une, soit de l’autre catégorie. En somme, il est des textes qui ne sont ni prose, ni vers.
Il s’agit, en premier lieu, de cette forme tierce qu’est le verset. Benoît Conort a montré, dans un article intitulé « Si verset il y a », que le tercet est irréductible tout à la fois à la prose et au verset. Il ne s’agit ni d’un vers long qui déborderait sur plusieurs lignes, ni d’un paragraphe court de prose. Le verset constitue une forme à part entière, elle-même assez difficile à définir, sauf à s’enfermer dans les modèles biblique ou claudélien.
Il s’agit aussi du calligramme, poème dont les mots sont disposés sur la page de manière à former une image. Cette forme a été popularisée par Guillaume Apollinaire. On peut rapprocher du calligramme le poème éclaté, que l’on pense au « Coup de dés » de Mallarmé, à certains poèmes d’André du Bouchet, ou à d’autres expérimentations contemporaines, si l’on considère qu’il s’agit d’un calligramme abstrait, où la disposition des mots sur la page ne vise plus à former une image figurative, mais apparaît dans un éclatement dont la signification peut être diverse.
Dans ma thèse, je remarque que certains poèmes de Jean-Michel Maulpoix, au demeurant peu nombreux, manifestent une certaine porosité entre prose et vers. Certains paragraphes ont des airs de vers libres. Certaines lignes isolées dans des textes en prose apparaissent comme de véritables vers libres. Et il arrive à Jean-Michel Maulpoix de pratiquer l’enjambement en prose, c’est-à-dire de poursuivre dans un paragraphe une phrase commencée dans le précédent. On le voit, nulle étanchéité entre prose et vers, mais une diversité de pratiques possibles, d’écritures mixtes, qui se jouent des normes et des conventions.
2.3 Tentatives de définition
Dès l’origine, le poème en prose se caractérise essentiellement par sa liberté, si bien qu’il semble vain de rechercher des critères, formels ou thématiques, qui suffiraient à justifier la classification d’un texte comme « poème en prose ». C’est bien plutôt parce qu’un auteur use d’une telle étiquette que son texte va être lu comme poétique, et non comme un simple récit, ou une description.
On pourrait dire : le poème en prose parle de la même chose que le poème en vers, à ceci près qu’il le fait en prose. Mais en vérité cela ne fonctionne pas. Les Petits Poèmes en prose ne sont pas la simple traduction en prose des Fleurs du Mal. Et de fait, ils ne parlent pas de la même chose. La dimension narrative est, par exemple, bien plus présente dans les poèmes en prose.
On pourrait dire : le poème en prose recherche la beauté par d’autres effets que la versification régulière. C’est déjà beaucoup plus convaincant. Mais nombre de poèmes en prose ne se signalent pas par l’abondance de métaphores, d’images, d’assonances, d’allitérations, brefs d’effets stylistiques qui viendraient « compenser » l’absence de vers.
On pourrait dire : le poème en prose manifeste son appartenance à la poésie par le fait qu’il présente la même densité stylistique qu’un poème en vers. Là, ça me convient mieux, et je pense même que cela marche assez souvent. Mais il faut tout de même savoir que, dans la poésie contemporaine, il y a toute une veine poétique qui, par souci d’authenticité, refuse les artifices stylistiques et recherche au contraire la plus grande nudité.
Par conséquent, je crois que le poème en prose manifeste son appartenance à la poésie simplement par le fait qu’y prédomine l’attention portée (tant par l’auteur que par le lecteur) sur le message lui-même, davantage que sur ce qu’il raconte. Autrement dit, le poème en prose, comme le poème en vers, accorde une place centrale à la « fonction poétique » du langage. Là où un roman a pour but de raconter, là où une pièce de théâtre cherche d’abord à montrer, le poème, lui, se pose avant tout comme un objet esthétique.
Luc Decaunes, auteur d’une anthologie du poème en prose que j’avais étudiée en écrivant ma thèse, emprunte à Maurice Chapelan un triptyque de trois substantifs qui lui paraissent circonscrire le genre du poème en prose : « brièveté, intensité, gratuité ». Ces infinitifs font du poème en prose un texte clos sur lui-même, qui se suffit à lui-même, par opposition à deux autres grandes finalités de la prose, « raconter » et « démontrer ». Si les poèmes en prose peuvent intégrer du récit et de l’argumentation, c’est de façon secondaire, et la fonction du langage qui prédomine reste la « fonction poétique ». Cela rejoint ce que je disais plus haut sur le fait que le poème en prose est, avant tout, un objet esthétique.
Cette définition a l’intérêt de demeurer suffisamment large pour inclure une grande diversité de pratiques poétiques en prose. Le poème en prose apparaît comme une catégorie assez large, au sein de laquelle on trouvera des textes très différents entre eux.
Aussi ne faut-il pas oublier que, dans la réalité, pour le vécu du lecteur, il n’arrive jamais de se demander si un texte est ou non un poème en prose, puisqu’il est, en général, déjà étiqueté comme tel. Et cet étiquetage suffit, en soi, à modifier la perception du lecteur, qui, ainsi prévenu, lira le texte comme relevant de la poésie. Je sais bien qu’il y a là une forme de provocation ; néanmoins je pense qu’il suffit qu’un texte de prose soit donné à lire comme relevant de la poésie (soit explicitement, soit implicitement, par son auteur lui-même, ou par d’autres) pour que le lecteur aborde le texte comme poétique. L’utilisation du qualificatif de « poème en prose », là où Baudelaire, notamment, eût pu en utiliser bien d’autres (Michel Brix propose ceux de « songe », « rêverie », « fantaisie »), oriente la réception du lecteur qui se trouve invité à lire les textes comme des poèmes.
3 Pour une typologie du poème en prose
Pour y voir plus clair dans cette nébuleuse du poème en prose, une typologie s’impose. Un critère simple, mais plus pertinent qu’il ne paraît, réside dans la longueur du poème. En effet, celle-ci est étroitement liée à l’intention de son auteur comme à la perception du lecteur. Un poème en prose de quelques lignes, comparable en longueur à un haïku ou à un quatrain, n’a évidemment pas les mêmes caractéristiques, ni les mêmes enjeux, qu’un poème en prose de plusieurs pages. Si le poème en prose est « bref » au sens où il se distingue du roman, il y a plusieurs degrés de brièveté, de l’extrême concision à des proses plus amples.
3.1 Les poèmes très brefs : note, fragment…
Certains poèmes en prose fondent leur poéticité sur une extrême concision. Cette esthétique de la brièveté peut prendre notamment la forme de la note, du fragment, revendiquant ainsi une part d’inachevé, de discontinu, de réflexion passagère. Ce sont, par exemple, les fragments des Feuillets d’Hypnos de René Char, les textes de La Semaison de Philippe Jaccottet (et la présence d’une date les rapproche du genre du journal intime), les textes d’Émondes de Jean-Michel Maulpoix qui entendent précisément illustrer une « poétique du fragment ».
3.2 Les poèmes longs
D’autres poèmes en prose, à l’opposé, occupent plusieurs pages. Parler de « poème long » est beaucoup dire, dans la mesure où il s’agit d’une longueur toute relative (nous sommes loin du roman ou de l’épopée). Il s’agit, par exemple, de la plupart des pièces du Spleen de Paris de Charles Baudelaire. Il s’agit souvent de textes narratifs ou descriptifs.
Chez Jean-Michel Maulpoix, plusieurs livres, tels L’écrivain imaginaire et Un dimanche après-midi dans la tête dans sa réédition, ressortissent du récit. Mais récit ne veut pas dire roman : pour moi, la fonction poétique prévaut sur la fonction référentielle, et ces récits appartiennent de plein droit à la poésie. Du reste, ces livres s’inscrivent dans la continuité des autres ouvrages de Jean-Michel Maulpoix, sans qu’une partition soit possible entre un travail « romanesque » qui serait indépendant du travail « poétique ». Dans ses propres bibliographies, Jean-Michel Maulpoix écrit « poésie, prose », avec une virgule qui peut se lire comme un tiret, « poésie-prose », marquant la continuité de ces deux mots, qui ne s’opposent pas entre eux, mais seulement avec les essais du poète. Du reste, la première édition de Un dimanche après-midi dans la tête présentait une forme discontinue. Les ouvrages comme Chutes de pluie fine, centrés sur des récits de voyage, et L’instinct de ciel, aux méditations nostalgiques, montrent toute la diversité du poème en prose « long » chez Jean-Michel Maulpoix.
3.3 Le « carré de prose »
L’étude de la poésie de Jean-Michel Maulpoix m’a conforté dans l’idée qu’existait un troisième grand type de poème en prose, entre le très court et le plus long : il s’agit du « carré de prose », généralement centré sur la page, d’une longueur proche de celle du sonnet. Trop long pour être considéré comme relevant d’une esthétique de la brièveté, trop court pour ressortir du poème long, ce poème de longueur intermédiaire est celui que pratique le poète dans Une histoire de bleu, notamment. Le cadrage sur la page fonde la poéticité de cette forme, qui en fait quelque chose de clos, qui n’enjambe pas d’une page sur l’autre comme le ferait une histoire.
*
Le critique Michel Brix ne voit dans l’expression de « poème en prose » qu’une « curieuse chimère », qu’un « mirage littéraire ». Une telle expression, en effet, ne fait que complexifier les taxonomies. Pourtant, le fait est qu’il s’écrit de la poésie en prose, tant il est vrai que l’opposition vers/prose, qui est une opposition formelle, ne recoupe pas l’opposition poésie/prose, qui est une opposition générique. On peut utiliser des vers pour écrire des traités de sciences ou de philosophie, tel le De rerum natura de Lucrèce, mais aussi pour écrire des chansons ou, plus prosaïquement, des slogans publicitaires. De même que le vers n’est pas réservé à la poésie, la forme prose peut être utilisée pour écrire des textes qui sont des poèmes.
Si de tels textes en prose sont poétiques, c’est moins en raison de critères formels que d’une justification pragmatique, extratextuelle, inhérente aux circonstances de la lecture. Certains textes de prose sont appelés poèmes parce qu’ils sont écrits par des poètes, parce qu’ils sont publiés par des éditeurs de poésie, parce qu’ils sont étudiés par des spécialistes de poésie, parce qu’ils interrogent le poétique. Il faut revenir à l’étymologie du poème, cette poïesis grecque qui ne signifie rien d’autre que « faire », infinitif particulièrement neutre et dépourvu de signification précise tant qu’on ne lui adjoint pas de complément. Je veux dire qu’un poème ne fait pas quelque chose (raconter, décrire, expliquer, démontrer, convaincre, persuader, etc.), il fait tout court, et qu’il se pose ainsi avant tout comme un objet poétique.
Que le poème en prose fonde sa poéticité sur la récupération d’un certain nombre de procédés habituellement présents dans un poème, ou au contraire sur l’évitement absolu de tout ce qui pourrait paraître comme un enjolivement, dans les deux cas il se caractérise par une certaine densité stylistique, par la mise en valeur de la « fonction poétique » du langage, et la mise des différents moyens du langage au service de la poésie.
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Sources
Pour réaliser cet article, je me suis appuyé sur le souvenir des cours de mes professeurs en hypokhâgne et en khâgne au Lycée Masséna de Nice, puis à l’Université de Nice. Je souhaiterais donc chaleureusement remercier ici Mme Paule Andrau, M. Daniel Caro, M. Jean-Marie Seillan et Mme Béatrice Bonhomme, qui m’ont successivement initié à l’étude de la poésie.
Cet article tient également compte des recherches que j’ai conduites dans le cadre de la préparation de ma thèse intitulée La Basse continue dans l’œuvre poétique de Jean-Michel Maulpoix, soutenue en janvier 2015 à l’Université de Nice, sous la direction de Béatrice Bonhomme.
Enfin, je vous invite à parcourir l’Introduction à la poésie moderne et contemporaine de Daniel Leuwers, parue chez Dunod en 1998 avant d’être rééditée chez Nathan Université en 2001. Je vous recommande également de consulter l’essai de Jean-Louis Joubert intitulé Genres et formes de la poésie, paru chez Armand Colin en 2003.
Impossible de ne pas nommer cette référence qu’est la somme de Suzanne Bernard intitulée Le poème en prose de Baudelaire à nos jours, parue chez Nizet en 1959. Il s’agit d’un ouvrage monumental, qui reste une référence pour l’étude du poème en prose. Incontournable est également Le poème en prose et ses territoires d’Yves Vadé (Belin Sup Lettres). Les poèmes en prose, de Julien Roumette, chez Ellipses, propose une intéressante histoire du genre. Enfin, on lira avec intérêt Poème en prose, vers libre et modernité littéraire de Michel Brix (éditions Kimé), qui remet en question le bien-fondé de ces formes chimériques, considérées davantage comme des monstruosités nées d’un contexte historique bien précis, que comme des catégories pertinentes pour la critique.