Sans doute, la poésie de Claude Ber peut-elle dérouter au premier abord. Mais, bien vite, l’on est convaincu par son authenticité absolue et sans compromis, par son humanisme chevillé au corps et à l’âme, et, plus encore que par son humanisme, par sa vigoureuse et chaleureuse humanité. Chaque fois que j’ai rencontré Claude Ber – à Cerisy, à Nice –, celle-ci m’est apparue comme une personne extrêmement vivante, qui parle et qui écrit comme elle vit. Cette voix majeure de la poésie d’aujourd’hui est de ces pointures qui savent vous mettre à l’aise en quelques mots. C’est avec grand plaisir que je me ferai aujourd’hui l’écho des propos qui l’ont concernée, au sein du colloque Poèt(e)s qui s’est récemment tenu en ligne.
Qui est Claude Ber ?
Le jour du colloque, c’était à Patrick Quillier que revenait l’honneur et la joie de présenter Claude Ber. Il a ainsi rappelé que, après avoir reçu une solide formation philosophique, elle a enseigné, puis été inspectrice (IA-IPR), avant d’assumer des responsabilités ministérielles. Elle a pris sa part dans la Cité, et cet engagement résonne constamment dans son œuvre.
Sa bibliographie est marquée par une longue période sans publications : Claude Ber était requise par la nécessité de prendre soin d’une personne qui vivait la folie. Cette expérience singulière a influencé plus d’une page de son œuvre, notamment dans La mort n’est jamais comme.
Au-delà de ces aspects biographiques, Claude Ber est surtout une poète qui n’hésite pas à chanter l’infini, qui scande la délivrance. La poésie, pour elle, n’est pas un exercice intellectuel. Elle est simultanément charnelle et spirituelle. Claude Ber a toujours, comme elle le dit elle-même, préféré les mystiques aux dévots. Elle chante l’initiation au plus haut, dans le sillage d’Ulysse, de Jonas, de Simbad, sous le haut patronage des fous et des folles.
Claude Ber nous pousse à renouer avec le « courage d’entendre », puisant elle-même dans le courage d’une grand-mère résistante, qui lui expliquait : « Il y a des choses que non », phrase particulièrement marquante, qui deviendra le titre de l’un des ouvrages de la poète. Aussi Claude Ber appartient-elle à ce mouvement de la poésie qui n’hésite pas à reprendre certains traits de la tradition épique, celle où le « je » apparaît moins comme un individu que comme l’étendard d’un « nous », d’une parole collective.
Pour Patrick Quillier, cette initiation, cet engagement fraternel et sororal dans la vie profonde, jusqu’à la folie, fait qu’elle réitère le procédé de la seconde naissance : Marie-Louise Issaurat-Deslaef renaît sous le nom de Claude Ber, voix qui claudique dans le murmure balbutiant des réitérations inaugurales.
Lectures de Claude Ber
La poète elle-même a ensuite pris la parole, remerciant Patrick Quillier pour cette présentation dans laquelle elle se reconnaît. Elle dit ensuite la difficulté pour elle de choisir des textes à lire, tant il est vrai que ses livres de poésie ne sont pas des recueils, qu’ils ne sont pas composés de pièces indépendantes les unes les autres. Ils ont, bien au contraire, une unité qu’il est difficile d’émietter.
Claude Ber a néanmoins fait le choix de lire des extraits issus de ses trois plus récents recueils : La mort n’est jamais comme, où alternent poèmes courts et longs, Il y a des choses que non, avec des poèmes plus longs qui ressortissent d’une veine davantage épique, et enfin Mue, qui tisse de façon continue et étroite l’écriture narrative et le passage à une écriture poétique, avec des quatorzains qui s’écartent de la forme fixe du sonnet.
Ces « miettes » issues de trois recueils cherchent cependant à dessiner un parcours, à présenter une réflexion sur l’écriture : La mort n’est jamais comme témoigne de la rencontre avec la folie et avec le deuil ; Il y a des choses que non dévoile une dimension plus épique, autour de la célébration de « l’espèce », tandis que Mus donne à voir une poésie plus méditative. Entre rêve et fiction, ce dernier ouvrage se présente comme le récit d’une matinée d’écriture dans une résidence poétique dans un monastère. Au cours de sept chapitres méditatifs, la poète note les micro-changements de la lumière, tout en insérant un bilan rétrospectif sur sa vie et en ouvrant sur une réflexion plus large, entre le collectif et l’intime. Cet ouvrage méditatif et spirituel tresse trois dimensions : le présent du je, le passé des carnets que feuillette la poète, et des quatorzains. Claude Ber rappelle que Mus est de la même racine indo-européenne que « mot » et que « muet », comme si la parole émanait du silence.
Éclairage critique de Maxime Aillaud
Maxime Aillaud, ancien élève de classes préparatoires littéraires à Toulon, professeur certifié, a enseigné à l’Université, tout en conduisant des ateliers d’écriture à l’hôpital et en prison. Il travaille à une thèse sur le deuil, sous la direction de Béatrice Bonhomme.
Son intervention, que vous pourrez prochainement retrouver dans la revue Nu(e), a cherché à montrer que, dans la poésie de Claude Ber, travaillaient de concert une langue-contre, une langue-avec et une parole de célébration, célébration du corps, du vivant, et du collectif, le tout grâce à un art de la déroute et du court-circuit.
Maxime Aillaud évoque chez Claude Ber un double mouvement simultané, consistant à « dire non et dire oui », dimensions constamment mêlées dans l’œuvre de la poète, et que l’exégèse ne sépare que pour permettre leur mise en évidence. Non à tous les fanatismes, à toutes les idéologies mortifères, à toutes les simplifications abusives, à la suite d’un père résistant et d’une grand-mère qui affirmait déjà en son temps : « Il y a des choses que non ». Et, simultanément, oui à la vie, oui à la simplicité de l’instant, oui à tout cela qui a lieu en nous et hors de nous, et qui ne demande qu’à être ressenti consciemment. Non aux mirages de l’ego, ce faux moi boursouflé d’illusions, et oui à une vision plus complexe de l’individu, complexe au sens étymologique, plié de nombreuses strates, que l’on peut comparer à un mille-feuilles.
Maxime Aillaud met ainsi en évidence tout un dispositif d’écriture qui permet à la langue de Claude Ber de se dresser contre l’inacceptable. C’est une langue qui s’insurge, contre la mort, contre la folie, contre la cruauté humaine. Maxime Aillaud parle de « langue-litanie », de « scansion torrentueuse », de la dimension « carnavalesque » d’une écriture qui énumère tous les outils dont savent se servir les hommes pour se faire souffrir. La poésie de Claude Ber résiste tout autant contre les « impostures du moi », les définitions stables et simplistes de l’individu, au profit d’un « détricotage de l’être », réduisant ce que nous croyons être « identité » en simple « radotage intime ». D’où la nécessité de se méfier des mots, des pluriels généralisants, de l’usage qui est fait de la langue, au profit d’une langue-entre, qui marie les registres de langue, associe les contraires, et joue tout autant de la soustraction que de l’amplification.
Si la poésie de Claude Ber se fonde sur un « non », elle est donc également, et de façon simultanée, un « oui », une « langue-avec » : avec les morts, avec la mort, – mais aussi avec le corps, célébré avec un appétit tout rabelaisien pour la vie, – et enfin avec le cosmos lui-même, faisant monde avec tout ce qui est, sans qu’il n’y ait plus nécessairement de frontière entre le moi et le monde.
Il y a ainsi, en somme, quelque chose d’héraclitéen dans cette poésie qui refuse de figer les choses et les êtres, qui s’écarte délibérément des représentations traditionnelles, qui pense le moi et le monde en constant mouvement, en embrassant charnellement la vie.
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3 commentaires sur « Connaissez-vous Claude Ber ? »