La poésie résonne dans les murs du monastère de Saorge.

(photo personnelle)
Dimanche 26 septembre, des mélodies envoûtantes, mêlées de voix théâtrales, s’élevaient autour des colonnes du monastère de Saorge. Ce monument perché sur la montagne, d’ordinaire calme et silencieux, s’est en effet peuplé d’amoureux de la poésie, pour clôturer la quinzième édition du festival « Poët Poët ». Atelier d’écriture, performances musicales et poétiques étaient au menu de cette dernière journée du festival…
Un partenariat fructueux
C’est un partenariat fructueux qui associe, depuis plusieurs années, le festival de poésie avec ce lieu magnifique et un peu hors du temps. L’ancien monastère franciscain, aujourd’hui désacralisé, surplombe la haute vallée de la Roya. À moins de deux heures de route de Nice, il offre un cadre propice à une expression intimiste de la poésie, où s’effacent les frontières entre artistes et public.
La journée de Saorge s’inscrivait au terme d’une riche programmation, certes compliquée par les contraintes sanitaires. Cette quinzième édition du festival a donc eu lieu en deux parties. La première s’est tenue, comme à l’ordinaire, au mois de mars, dans le sillage du Printemps des Poètes. Mais les manifestations destinées au grand public avaient été reportées à l’automne. Le public niçois a ainsi notamment eu l’occasion de retrouver Serge Pey, parrain d’une précédente édition, et de faire connaissance avec Sapho, marraine du festival 2021, avec des performances poétiques qui se sont tenues à Nice et à La Gaude.
Vue sur le haut village de Saorge
(photo personnelle)Une église à proximité du monastère
(photo personnelle)
Comme c’est le cas depuis plusieurs années, le festival s’est donc achevé avec une journée au monastère de Saorge, s’exportant ainsi dans l’arrière-pays, comme pour prendre de la hauteur, sortir des rumeurs de la ville, et retrouver la poésie dans un cadre plus intimiste. Le déroulement de la journée, similaire dans son esprit à celui des éditions précédentes, permet d’effacer la frontière entre artistes et public, puisque ce dernier est d’abord invité à participer à un atelier d’écriture, et donc à prendre une part active à la célébration de la poésie, avant d’assister aux performances de l’après-midi, là encore dans une proximité totale avec les artistes.
Un atelier d’écriture
Cette édition 2021 aura cependant été bien particulière pour moi, puisque Sabine Venaruzzo, organisatrice du festival, m’a proposé d’animer l’atelier d’écriture de cette année. Même si cela a déjà été fait de vive voix, je me permets ici de la remercier encore pour sa confiance et pour l’immense plaisir qu’elle m’a fait. Cette première partie de la journée s’est tenue dans la belle bibliothèque du monastère. J’ai donc présenté le thème annuel du Printemps des Poètes, le Désir, en citant de nombreux poèmes anciens et modernes, avant de laisser les cinq participants se plier avec joie à l’écriture.
La bibliothèque du monastère
(photo personnelle)J’avais apporté quelques livres de poésie
(photo personnelle)
Une introduction en musique

Pendant la pause de midi, une averse orageuse nous a fait craindre que la suite du programme puisse être quelque peu perturbée, mais celle-ci a été aussi brève qu’intense. À quatorze heures, des mélodies envoûtantes, aux résonances orientales, se sont élevées dans le cloître du monastère, sous les doigts des musiciens Jérôme Gracchus et Lilia Kassab. Une belle invitation à découvrir cet instrument oriental qu’est l’oud, un luth très répandu dans les traditions arabes, ici accompagné de guitare et de violon.
Mise en voix des productions
Au terme de ce prélude, l’assemblée a été conduite vers le réfectoire du monastère, orné de fresques représentant les quatre vertus cardinales du bon moine franciscain. C’est là que nous avons présenté au public les résultats de l’atelier d’écriture du matin, chacun venant lire à tour de rôle le texte produit.
Le réfectoire du monastère
(photo personnelle)Des murs ornés de fresques
(photo personnelle)
Déambulations poétiques
Nous avons ensuite été conduits vers les salles de prière qui se trouvent derrière l’église du monastère. Les spectateurs passaient d’une salle à l’autre, où se tenait un un comédien ou une comédienne qui proposait une mise en voix de poèmes de Sapho. Non pas la poétesse qui vivait dans l’Antiquité sur l’île de Lesbos, mais celle d’aujourd’hui, l’artiste d’origine marocaine, née en 1950 à Marrakech, connue pour ses débuts au « petit conservatoire de Mireille », pour ses talents de chanteuse et pour ses livres de poésie.
C’est dans cette salle que Lilia Kassab a proposé une performance musicale à l’oud.
(photo personnelle)C’est ici que les participants ont pu entendre une mise en voix de certains poèmes de Sapho.
(photo personnelle)
Concert et lectures dans l’église
C’est au terme de ces lectures que la poète elle-même est apparue. Nous avons alors été conduits dans l’église du monastère , où Jérôme Gracchus et Lilia Kassab ont mis en musique certains poèmes de Sapho, initialement composés pour être lus et non chantés. J’ai été impressionné par la clarté, la justesse et la beauté de la voix de Jérôme Gracchus, qui se mariait parfaitement avec cette mélodie si complexe.
La poète a ensuite livré sa propre performance, très vivante, rythmée de nombreux changements de ton, usant d’une voix puissante comme du chuchotement, alternant des passages très sérieux et solennels avec d’autres qui décrochent un sourire, n’hésitant pas à jouer de l’onomatopée et du bruitage. La connivence avec le spectateur est permanente, grâce au jeu des regards et aux apartés placés de façon propice, qui rythment la performance.
Images de l’église du monastère de Saorge, où s’est tenu le concert final (photos personnelles).
Un goûter de clôture
Artistes, organisateurs et public se sont ensuite retrouvés autour d’un goûter partagé dans les jardins du cloître, plantés de sauge et de marjolaine, mais aussi d’aubergines, de courgettes et de fleurs d’agrément. Nous admirions les sommets abrupts, avec lesquels jouaient les derniers nuages qui se dissipaient lentement. C’est dans ce cadre privilégié que l’ensemble des participants a pu se retrouver, abolissant toute frontière entre artistes et public.
Vues sur les jardins du monastère et sur le village de Saorge (photos personnelles)
C’est donc la tête pleine de mots, de sons et d’images que nous avons quitté la vallée de la Roya. Le monastère de Saorge n’est certes qu’à deux heures de route de Nice, mais je ne crois pas me tromper en affirmant que chacun a vécu cette journée comme une forme de dépaysement, comme une salutaire sortie des routines quotidiennes, comme une saine respiration au pays des mots, loin des contraintes et des vicissitudes de l’existence laborieuse et urbaine. C’est là, je crois, tout ce qui fait le sel de cette journée : il ne s’agit pas simplement d’assister à un spectacle, de consommer de la culture comme on consommerait n’importe quoi d’autre, mais de vivre un moment privilégié, partagé entre artistes et public, où musique et poésie redonnent à chacun du souffle, et quelque chose comme de l’espoir.

Les éditions précédentes du festival
Vous pourrez retrouver sur ce blog mes comptes-rendus des éditions précédentes de ce festival, avec la venue de grands poètes contemporains comme Serge Pey, Valérie Rouzeau, Jean-Pierre Verheggen, Marc-Alexandre Oho Bambe, et bien d’autres. Rendez-vous, pour cela, sur la page « Printemps des Poètes » de ce blog, qui recense les articles correspondant à ce thème.
Ecrit lors de l’atelier de Saorge
Plus rien
Dans ce monde
Ne lui appartient
La vie s’est emparée de lui
Sa vie s’est désemparée
Sa vie
Elle l’a déserté
Sa vie
En un lien obscur
Lacrymal
Sa vie papier de verre
Efface le nom des jours
Râcle les hiers et les lendemains
Les aurores rugueuses
Les crépuscules qui crissent
Graviers sous les pas
Chemins vers nulle part
Et par ailleurs sans issues
Ni commencements
Une vie à la croisée des chemins
Boueux
Pluvieux
Rien dans ce monde ne lui appartient
Tout lui échappe
Quelle direction choisira-t-il ?
Vers quel désert propice au désir ?
Vague silhouette dans le reflet du sable
Forme floue au corps abrasif
Il aimerait s’y frotter
S’y décharner
S’acharner
Mais
L’horizon
L’horizon au loin
A portée de main
A un jet de pierre
L’horizon s’éloigne à chaque pas
Le sel lui brouille la vue
Le soleil l’éblouit
Reflet d’une blanche lame qui percerait son cœur s’il n’y avait cette femme évanouie qui danse dans la vapeur brûlante du sel et qui lui échappe dans ce monde où plus rien ne lui appartient sinon ce désir d’horizon
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