Quand Michèle rencontre Shéhé

Michèle Finck est une poète et universitaire reconnue, qui explore, dans ses poèmes comme dans ses travaux critiques, les rapports et les liens de la poésie et de la musique. Puis, un beau jour, elle rencontre « Shéhé ». Une rencontre bouleversante, à l’origine du livre Poésie Schéhé Résistance, paru en 2019 aux éditions du Ballet Royal.

« Nom : Shéhé »

« Nom : Shéhé. Pays : Syrie. Métier : Être humain. » Ce nom propre scande l’ensemble de l’ouvrage. C’est le nom d’une jeune femme venue étudier en France, et mener un mémoire de littérature sous la direction de Michèle Finck à l’Université de Strasbourg.

Shéhé, c’est aussi la pulsation du Réel venant cogner à la porte, et bousculer l’existence somme toute tranquille du professeur de littérature. Avec Shéhé, c’est toute une réalité que, d’ordinaire, nous ne connaissons que de loin, par médias interposés, qui s’impose. La réalité de la guerre, l’horreur des bombes, le calvaire d’une femme battue, l’épreuve de la rue… Michèle Finck ne pouvait pas rester indifférente. Dès la première page du livre, la poète se revendique comme la « scribe » de Shéhé.

"Shéhé :   étudiante en lettres       à l'université
D'Alep.     Shéhé.     Tout à coup     ta vie
A basculé.     2012.     C'est la guerre."

L’horreur de la guerre

C’est toute l’horreur de la guerre que Shéhé porte avec elle. Son souvenir brûlant rejaillit avec force lorsqu’éclatent les attentats du 13 novembre :

"Angoisses     de mort     plantées     dans crâne.
Images de     Syrie     en guerre     à la télévision.
Pertes de plusieurs     proches     à Alep :
Volcan    de cadavres.     Lave d'os.
Tu     ensevelis     les cadavres     dans ton
Ventre.     Le 13 novembre     2015
(Shéhé hors Shéhé)
En France     te terrifie.     Phobies
De mot     t'empêchent     de marcher
Dans les rues     de Strasbourg.     De marcher."

Avec Shéhé, nous voyons directement ce que c’est que d’être victime de la guerre, que d’être une femme dans cette horreur, que de fuir un pays et de connaître à nouveau la misère en France. Avec Shéhé, « Histoire fait irruption ».

Les vers hachés de tabulations de Michèle Finck traduisent ce choc de se retrouver face à face avec l’Histoire. Avec l’horreur. La poésie n’est alors plus cette activité tranquille, ce loisir du dimanche du professeur de littérature. Elle devient une nécessité impérieuse, un devoir. Puisque poésie est « dire ce qui est ».

Le sort de Shéhé nous renvoie à nos existences tranquilles d’Occidentaux. Michèle Finck se compare ainsi à son propre père qui exerçait la même fonction de professeur de littérature à l’Université de Strasbourg :

"Père     toi qui as enseigné     40 ans     à l'université
De     Strasbourg.     Père mort.     As-tu
Une seule fois     vu     une de tes     étudiantes
Avoir faim ?     Ramassée     SDF     par le SAMU
social ?    Avoir écrit     un mémoire     en faisant
Les poubelles ?     Mangeant     les restes
De l'Occident     malade ?"

La poésie se fait alors témoignage et engagement. Il faut dire cette réalité afin qu’elle soit connue et qu’elle ne survienne plus. Plus jamais.

Le rythme de l’opératorio

Ce livre n’est pas seulement un témoignage : il est aussi un « livret-poème / pour / Boulevard de la Dordogne / un opératorio de Gualtiero Dazzi », créé en 2019. Aussi la musique a-t-elle une grande importance dans cet ouvrage, comme elle en avait aussi, pour des raisons très différentes, dans les précédents recueils poétiques de Michèle Finck.

Ces vers sont scandés de nombreuses répétitions, dont celle du nom même de Shéhé, et s’entrecoupent de tabulations qui laissent de nombreux blancs. La phrase ne saurait être ample et fluide lorsqu’il s’agit de dire l’horreur. Michèle Finck a puisé, dans le souvenir de son père frappant le sol de sa canne, le rythme adéquat, ce martèlement qui donne tout son poids aux mots. Pas de fioritures stylistiques, pas d’enjolivures inutiles ni de commentaires larmoyants : la réalité se suffit à elle-même. Un opératorio haletant et syncopé. Comme une Shéhérazade au souffle coupé. « Shéhé Hors Shéhé ».

"Shéhé    ton nom     est     Résistance.
Shéhé    mon nom     est     Résistance.
Shéhé     soeur     humaine.
Des fils     invisibles     nous relient
Que rien     ne pourra     trancher."

Références de l’ouvrage
Michèle Finck, Poésie Shéhé Résistance, Fragments pour voix, Le Ballet Royal, coll. « Grand Ballet », 2019.
ISBN 978-2-9568011-0-8.

À noter
Je présenterai prochainement la poésie de Michèle Finck dans le cadre d’un colloque organisé par l’Université de Nice et consacré aux femmes poètes d’aujourd’hui.

Image d’en-tête par Mandy Fontana de Pixabay

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